Ce soir, c'est avec un cruel sentiment de déception que je vais me coucher. Las d'avoir à effectuer de basses besognes, j'avais confié à un tiers quelques basses oeuvres que Mon Maitre pourrait me mander de commettre. Et l'ami en question se plut à me ridiculiser publiquement. Je sus alors qu'il me fallait montrer que j'étais encore à même de opérer seul, et qu'il n'était là que pour agir dans des cas extrêmes. Les yeux vissés sur mon écran, je furetais, en quête d'une proie. Le jeu était trop facile, décidément. Je ne pouvais agir en free-lance, sans le moindre appel de mon Maitre. Ce fut le moment que je choisis pour m'endormir. Ce fut celui qu'Il choisit pour m'appeler.

- Allô ?
- Lawrence
- Oui... je crois.
- C'est au sujet d'une mission.
- C'est Vous, Maître ?
- Oui, c'est moi.
- Maiiiiiis, de qui s'agit-il ?
- Vous avez été Scout, Wargrave, n'est-ce pas ?
- Oh... il y a si longtemps...
- Nous avons eu assez à souffrir de ses interventions. Des courriels insultants, souvent justifiés. Il faut y mettre bon ordre.
- Maiiiiis. Dois-je appeler Victor ?
- Vous me décevriez. Vous devez vous montrer assez ferme par vous-même, sans tomber dans des excès.

Là, je me suis osé à la question fatale.

- Vous ne l'aimez pas, hein ?
- Qui ? Votre louvette, ou votre homme de main ?
- Beeen, luiii.

Chaque seconde pesa une heure. Il ne réfléchissait pas. Il cherchait à ne pas me blesser. Le jugement tomba, net et sec.

- Non.

Je sus alors que je devrais composer seul. Avec Victor.

Extrait de Etats d'âmes de Lawrence Wargrave, édition augmentée de 2009