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J'ai retrouvé l'intégralité de l'article Imprimer
Auteur : Arnold
Sujet : J'ai retrouvé l'intégralité de l'article
Date : 2009-03-28 09:56:47

Dans ma collection d'Itinéraires. Merci pour ces références qui ont facilité ma tâche:
Ils veulent convertir les jeunes… ?
par Hervé Kerbourc’h
ILS ÉTAIENT QUELQUES DIZAINES dans une chapelle assez laide, assez froide. Un harmonium jouait n’importe quoi, à contretemps, faux. Un prêtre en soutane disait et chantait une curieuse messe, celle de Paul VI, partie en latin, partie en français. Dans les détails, cela était par moments complètement incompréhensible. Ils ont dit que c’était bien. Puisqu’il y avait du latin… Communion en file indienne, debout. Quelques jours après les instructions de Jean-Paul II recommandant vivement un geste de révérence avant la réception du sacrement. Personne ne fit le moindre geste… et ils se disent traditionalistes . Il y eut un sermon, aussi. Un saint prêtre m’a-t-on dit, un homme de valeur…
J’en ai retenu deux choses. Premièrement, obéissance absolue à la hiérarchie. Sans commentaire. Deuxièmement, si on constate un recul de la foi, des principes intellectuels véritables, une apostasie galopante jusque dans le clergé, c’est à cause de la dégradation des mœurs, c’est parce qu’il n’y a plus de morale. Curieux renversement de ce qui pour moi, et je l’espère pour quelques autres, est l’absolue évidence. La hiérarchie des valeurs veut que les valeurs spirituelles et intellectuelles soient les premières. Les valeurs morales ne sont que des conséquences, vivre selon les règles de la morale, c’est faire des exercices d’application. Ce saint prêtre s’imagine-t-il vraiment que s’il pouvait restaurer la morale chrétienne, le dogme et les principes intellectuels se restaureraient d’eux-mêmes ? Hypothèse absurde. La morale ne précède rien. Elle suit.
L’après-midi il y avait une discussion. Cela tourna autour de trois thèmes : l’obéissance au pape, c’est-à-dire surtout que les fidèles ne doivent pas dire « Per ipsum »… (pourquoi disaient-ils per ipsum puisque partout on dit par lui ?…) et tous de chercher des techniques qui permettent à chacun dans sa paroisse d’empêcher les autres de le dire… Deuxième thème, la dégradation des mœurs… On y revient. Quel scandale, cette affiche de tel cinéma de Vannes, etc., etc., etc. (trois fois etc. parce que c’était très important). Troisième thème : nous sommes tous vieux, il faut recruter des jeunes, convertir des jeunes, les amener à l’Église catholique… Il y avait un jeune couple, c’était ma femme et moi, il y avait trois enfants, c’étaient nos trois enfants. Mais ils ne nous reverront plus. Ce n’est pas en prêchant la morale sexuelle de l’Église et l’obéissance au pape qu’ils convertiront des jeunes, surtout à notre époque de licence et d’anarchie. Cela ne peut se prêcher qu’à des catholiques, à des gens qui ont déjà la foi catholique. Une fois qu’on vit dans la lumière de la foi et des principes intellectuels véritables alors on peut (et on doit) faire descendre cette lumière dans tous les degrés de l’être, la diffuser partout en nous.
Ce qui est vrai pour la foi l’est aussi et davantage pour la charité. C’est ainsi que la charité vraie se reconnaît dans les actions les plus banales. Mais jamais personne ne fera monter la lumière des humbles actions moralement bonnes jusqu’aux principes intellectuels. Jamais un philanthrope ne découvrira la Sainte Trinité en pratiquant la philanthropie. Si tout découlait de la morale comme le prêtre semblait le prétendre, ils auraient raison. Mais comme c’est le contraire qui est vrai, ils ont immensément tort.
Il y a des jeunes qui cherchent une doctrine solide, satisfaisante pour la raison, qui cherchent une philosophie qui soit une vraie sagesse et non une critique d’une autre philosophie, qui cherchent le sens du symbolisme dans les loges maçonniques ou auprès de quelque guru plus ou moins hindou, qui cherchent une illumination spirituelle auprès de quelque maître plus ou moins zen. Il y en a beaucoup qui cherchent, et très peu apparemment finissent par trouver la vraie religion. Parce que l’Église est muette sur ce que cherchent les jeunes qui cherchent. Non, hélas, elle n’est pas muette. Elle bavarde comme un parti social-démocrate, démagogue et adoratrice du monde que ces jeunes voient sans espérance, sans doctrine, sans le moindre point de repère intellectuel. Je me suis converti malgré le pape, malgré les évêques, malgré cette hiérarchie à laquelle il faudrait paraît-il que j’obéisse de façon inconditionnelle. Malgré le pape, qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que si on m’avait donné à lire les discours hebdomadaires de Paul VI, je ne me serais certainement pas converti, parce que l’anarchiste que j’étais y aurait retrouvé les mêmes obsessions progressistes et démago-humanistes que je combattais, la même logorrhée inconsistante sur la paix et la justice, etc. Je me suis converti quand j’ai compris, en dehors de l’Église catholique, ce qu’est un rite sacré, et ce qu’est la Tradition, particulièrement la tradition sacerdotale. J’ai acquis de lumineuses certitudes intellectuelles sur la tradition et le symbolisme rituel. La conjonction avec l’Église s’est faite grâce au livre splendide de la fille spirituelle de Dom Guéranger, première abbesse de Sainte-Cécile de Solesmes, Mme Cécile Bruyère. Puis j’ai trouvé la liturgie et les Pères. J’étais catholique, parce que tout ce que je découvrais était admirablement conforme aux certitudes intellectuelles dont j’ai parlé. Cassien, saint Augustin, saint Bernard, Dom Guéranger venaient étayer, développer et transfigurer tout ce que je savais vrai.
La Vulgate fut une nouvelle révélation de l’Évangile à cause de sa puissance d’expression et de la précision d’un grand nombre de formules trop souvent abâtardies ou même faussées dans trop de bibles françaises (par exemple, le « Principium, qui et loquor vobis » (Jean 8, 25), réponse de Jésus aux Juifs qui lui demandent qui il est, que je n’ai trouvé traduit nulle part selon le sens évident de la phrase latine, phrase d’ailleurs intraduisible quant à la force d’expression, parce que la phrase française pour être correcte et compréhensible doit comporter beaucoup plus de mots que la phrase latine. Mais de là à trouver : absolument ce que je vous dis, ou bien : la même chose que ce que je vous ai dit depuis le début, ou même : ai-je besoin de vous répondre ?…).
Mon Père spirituel se gardait bien de proposer à mes méditations les productions de la hiérarchie d’alors, qui est sensiblement la même qu’aujourd’hui, pape excepté. Mais peu à peu je m’aperçus que ceux qui étaient sacramentellement les authentiques continuateurs de la Tradition erraient bien loin de cette Tradition dont ils ne parlaient plus et même que certains d’entre eux rejetaient. Et j’ai vu que dans l’Église, on ne comprenait plus rien aux rites et à la Tradition et qu’on n’hésitait pas à les détruire, d’une façon plus ou moins ouverte, plus ou moins arrogante et imbécile. Alors il est bien difficile d’expliquer aux gens qu’on est catholique mais qu’on ne partage pas du tout les idées de ceux qui représentent la religion catholique à la télévision, à la radio, et dans la presse. C’est tellement difficile que certains préfèrent cacher soigneusement qu’ils sont catholiques plutôt que de se voir assimilés aux ahuris fraternels des joyeuses assemblées charismatiques ou œcuméniques ou socialo-progressistes. Depuis que l’ « affaire Lefebvre » a révélé au public les « intégristes » je me dis « intégriste » sans surestimer ce que cette épithète veut dire pour mon interlocuteur. Par exemple Mandouze dit que les intégristes sont d’incurables analphabètes dont la religion commence et s’arrête au Concile de Trente . De la part d’un tel personnage, cela ne surprend pas. Mais il est une publication que certains traditionalistes conseillent, et qui présentait récemment les « intégristes » d’une façon guère plus flatteuse. Il s’agissait de trois réactions au passage du pape en France. La troisième était celle d’un protestant. Le personnage n’est pas précisé davantage. La première est celle d’une femme particulièrement bonne et droite, mais sans religion. La seconde (on notera le contraste), est celle « d’un vieil ami intégriste, tout raidi dans une fidélité qui ne lui permet pas de discerner l’accessoire de l’essentiel » ( ).
Autrement dit, pour toute l’intelligentsia « catholique », les « intégristes » sont tous de vieux schnoques demeurés. Mais pour l’homme de la rue, ce sont des gens qui veulent garder la messe et le catéchisme comme ils étaient « avant », et cela me convient.
Il y a ceux qui voudraient faire croire que Paul VI était un pape parfaitement traditionnel. De son vivant, ils s’acharnaient à extraire de ses déclarations des phrases à résonance traditionnelle. Je veux bien croire qu’ils avaient un but pastoral, et qu’ils se donnaient pour mission de faire conserver aux gens l’attitude normale du catholique vis-à-vis du saint-père, mais je m’aperçois qu’ils continuent ; alors qu’ils feraient mieux d’oublier et de faire oublier ce pape. Cc qui était admissible à cause du but pastoral ne l’est plus. Car les textes traditionnels de Paul VI ne pèsent pas lourd à côté de tout ce qu’il a dit et écrit d’antitraditionnel. L’obéissance et la piété n’ont rien à faire avec le mensonge. Car c’est un mensonge de prétendre que Paul VI était un pape traditionnel. Et c’est une imposture de faire croire qu’il voulait conserver la langue latine dans la liturgie, car même s’il a dit cela une fois, avec le concile, il a dit aussi expressément le contraire. A force de prendre les chrétiens pour des imbéciles on en fait des veaux. Un fidèle catholique ne doit pas être un veau. Il doit réfléchir et voir les choses comme elles sont et non pas comme les fanatiques du pape-quel-qu’il-soit voudraient qu’elles soient. La vraie souffrance du catholique n’est pas dans l’abandon déchirant d’une liturgie que l’on aime pour adopter par une obéissance tragique une liturgie dont on voit clairement les défauts et les erreurs (erreurs au niveau de l’expression du sacré). La souffrance du catholique traditionnel est de se voir seul face à l’abandon quasi-général de ce rite éminemment vénérable, admirablement construit au cours des siècles par des saints qui en ont fait une œuvre d’art sacrée parfaite dans son organisation, dans son rythme, dans son unité irréformables. Un théologien écrit ceci : « Certes, je regrette un peu l’ancien Missel. (…) Il m’a été plus pénible encore d’abandonner ordinairement le latin pour célébrer en « vernaculaire », mais je comprends que les religieuses dont je suis l’aumônier préfèrent qu’il en soit ainsi ; au reste est-on prêtre pour soi seul ? » ( ) sic. Laissons là les commentaires que l’on pourrait faire de cette phrase étonnante.
Mais le plus étonnant est que ce même théologien a établi un impressionnant catalogue des erreurs et des déviations qui apparaissent dans la traduction française du Nouveau Missel Romain. Voilà un prêtre qui écrit une longue étude sur les défauts multiples de la traduction française du nouveau missel mais qui lit en public ce missel tous les jours, par obéissance au pape, à son évêque… et à ses religieuses. Je ne doute pas qu’il en souffre, mais cette souffrance ne me touche pas. La démarche n’est pas cohérente. La nouvelle messe en langue vulgaire rompt la tradition. Jusqu’au concile, les papes ont répété avec force que la messe devait être dite exclusivement en latin. Ils ont toujours parlé d’impiété, de sacrilège, lorsque certains voulaient utiliser la langue vulgaire . Et voilà que tout à coup le sacrilège devient vertu, par le biais de l’obéissance. Toute rupture de la tradition est antitraditionnelle. Ce n’est pas une évidence, c’est une tautologie. Par conséquent, je ne vois pas où est le soi-disant problème de l’obéissance.
Je me suis converti quand j’ai compris le sens et la beauté de la Tradition. Je me suis converti malgré un pape qui a tout fait pour amoindrir l’aspect sacré du rite principal de l’Église, pour profaner le Mystère et ouvrir la porte à toutes les aberrations possibles. Je me suis converti à la Tradition sacrée qui seule peut me mener à Dieu. Je ne me suis pas converti à la religion d’un pape. Le pape a changé. Mais rien n’a changé dans l’Église. Jean-Paul II m’a beaucoup impressionné par sa prestance, par sa voix, par ses attitudes, sa foi profonde, éclatante et chaleureuse. J’aimerais l’aimer et l’admirer, moi aussi, comme ceux qui sont en adoration devant le pape-quel-qu’il-soit. Mais il n’a toujours rien dit pour la messe traditionnelle. Il a même critiqué ceux qui « se durcissent en s’enfermant (…) à un stade donné (…) d’expression liturgique dont ils font un absolu, sans en pénétrer suffisamment le sens profond » (sic). Bien qu’il préfère le nouvel ordo il ne lui serait pourtant pas difficile de dire simplement que celui-ci n’a pas aboli l’ancien et que tout prêtre peut légitimement employer l’ancien missel. Je ne vois pas en quoi cela pourrait nuire à sa politique de récupération en douceur (subtile et intelligente mais je le crains, inefficace, voir note 1). Une telle déclaration ne changerait rien à l’attitude des évêques et des prêtres qui font l’opinion. La situation matérielle serait toujours la même. Mais nous ne serions plus des parias. Nous aurions un pape qui nous aurait souri, une fois, et cela suffirait pour qu’on l’aime comme on doit aimer le saint-père.
Les « ultramontains » du XIXe siècle et des papes comme saint Pie X ont insisté sur la nécessité d’une obéissance absolue au saint-siège ; un vrai fidèle ne doit pas seulement acquiescer aux définitions dogmatiques, mais aussi il doit se conformer à tous les conseils, à tous les souhaits du pape. Ils avaient raison, et en même temps ils ont eu tort. Ils avaient raison, parce que le pape était quasiment le dernier bastion de la Tradition, dans le monde qui se déchristianisait, et même dans l’Église, qui commençait à être infiltrée par la subversion. Ils ont eu tort, parce qu’ils n’ont pas prévu (mais qui leur en ferait grief ?) qu’un jour, un pape pourrait ne pas être le gardien vigilant, le restaurateur authentique de la Tradition face à tous les modernismes, et le vivant témoin de sa vitalité.
Il y a plusieurs demeures dans la maison du Père et les chemins de la conversion sont tous différents les uns des autres. J’ai lu récemment un livre admirable qui peut certainement contribuer à la conversion de personnes qui s’intéressent au symbolisme, c’est le livre de Jean Hani : Le symbolisme du temple chrétien. Le problème de cette voie, c’est qu’on risque de se perdre (et combien le font !) dans l’étude du symbolisme de toutes les religions et de finir dans le ron-ron de l’histoire des religions, alors qu’on avait commencé une recherche spirituelle… On confond symbolisme vivant et efficace avec culture livresque et stérile.
Je pense qu’un esprit philosophique peut être attiré vers la religion catholique par des livres comme l’admirable Introduction à la philosophie de saint Thomas de Gilson, qui ne peut être du reste qu’une révélation pour les jeunes qui, comme moi, n’ont jamais entendu dire un mot, pendant leurs études, sur la philosophie entre Platon et Descartes. Je pense aussi que Chesterton peut « parler » aux jeunes d’aujourd’hui, les amener à réfléchir sainement et à découvrir la Tradition qui a fait réfléchir Chesterton sainement. Il peut les attirer par son style et son humour qui sont très modernes, comme par sa façon de prendre systématiquement des exemples farfelus pour expliquer des choses graves et importantes.
Mais je n’essaierai pas de faire un catalogue des différentes catégories de conversion. Ces choses-là sont complexes et secrètes. Il y a un vrai mystère de la conversion. Quand je discute avec un agnostique j’essaie de trouver le point où je pourrais le toucher, mais jusqu’à présent je n’ai encore jamais trouvé. Aussi je suis quelque peu effaré quand je vois des gens faire des théories et des dogmes à ce sujet. Ainsi j’ai pu lire dans une introduction à un petit ouvrage sur sainte Thérèse de Lisieux que la « petite voie » était la seule qu’on puisse proposer aux hommes de notre temps. Sans doute je ne suis pas de mon temps, ou bien peut-être je ne suis pas catholique ? Lorsque j’ai ouvert les écrits autobiographiques, j’en ai lu quelques pages, et j’ai abandonné. Quelque temps après j’ai fait un gros effort et j’ai fini le livre. Mais il ne m’en est rien resté. Sauf l’impression générale qu’on pouvait tout comprendre de travers dans ce livre si on n’était pas déjà catholique, devenir quiétiste ou protestant. Deux ou trois choses m’avaient choqué. Je ne me souviens plus que de l’une d’elles. Sainte Thérèse dit que l’Évangile lui suffit et qu’elle n’a pas besoin de commentaires. Puisque l’Église dit qu’elle était une sainte je le crois volontiers, et puisqu’elle était une sainte il est bien possible que l’Évangile lui suffisait et qu’elle recevait des lumières spéciales pour le comprendre. Mais cette affirmation est très dangereuse : « sainte Thérèse a dit qu’elle n’avait pas besoin de commentaires, donc je n’ai pas besoin de commentaires » (si j’en parle, c’est qu’on m’a fait cette remarque). Quant à moi je ne comprends pas grand chose à l’Évangile, et les commentaires des Pères sont pour moi une pluie extraordinaire de traits de lumière. Je n’ai pas de lumières spéciales et je suis bien content d’avoir celle des phares de l’Église pour balayer la nuit de mon intelligence. Saint Thomas aussi était un saint, et il a fait ce tour de force incroyable d’écrire un livre dans lequel il n’y a rien de sa plume, mais tout de son génie. Il a écrit un commentaire complet, mot après mot, des quatre évangiles en utilisant exclusivement des citations des Pères mises bout à bout, séparées parfois seulement par une virgule. C’est la Catena Aurea, la chaîne d’or, somptueux joyau de la Tradition. Je ne dis pas qu’on ne peut pas se convertir avec sainte Thérèse, ou que la petite voie n’est pas la bonne voie. Ce serait absurde puisque l’expérience montre les bienfaits des écrits et exemples de la sainte de Lisieux. Je prétends seulement avoir le droit de suivre une autre voie.
Des intolérances, il y en a d’autres. Il y a ceux qui ne voient que par les apparitions mariales et les prophéties. Ce serait également refuser l’évidence de contester qu’il y a des conversions sur les lieux des apparitions de la Vierge. Mais ces conversions posent un nouveau problème. Elles sont souvent sentimentales et un véritable travail doit suivre pour qu’elles atteignent la sphère proprement spirituelle, et il ne pourra se faire que si c’est la grâce c’est-à-dire une influence spirituelle qui a produit le sentiment en vue de la conversion.
Et souvent les jeunes ne voient dans la religion catholique que des dévotions sensibles, sentimentales, surtout si on leur parle de traditionalisme. Si vous leur parlez des apparitions de la Sainte Vierge, ils souriront. Si vous leur parlez du Sacré-Cœur, ils vous prendront en pitié. Les dévotions sentimentales ont proliféré depuis la fin du Moyen Age (depuis la déviation intellectuelle de la Renaissance, ceci est important à souligner), jusqu’à faire oublier parfois leur fondement intellectuel et symbolique. Elles peuvent même aller plus loin, jusqu’à présenter à la dévotion des faits contraires à la théologie traditionnelle, comme par exemple la pâmoison de Notre-Dame qui contredit le Stabat Mater essentiel pour le rôle de coopératrice de Marie dans l’œuvre de la Rédemption. Il est frappant aussi de constater l’opposition qui existe entre les christs romans, crucifiés de gloire, dont le visage rayonne, vers l’intérieur, de la contemplation suprême – ce qui est l’expression du Saint-Suaire – et les christs tordus de douleur qui apparaissent à la Renaissance. Je ne veux pas dire que la dévotion aux douleurs de la Passion soit erronée ou stérile. Je constate seulement qu’on est passé de la contemplation mystique du Christ en gloire – tel qu’il est – à la dévotion aux souffrances physiques de Jésus, avec toutes les déviations morbides que cela peut comporter, ainsi que l’ont étalé trop de peintures et d’ouvrages « pieux ». La méditation de la Passion est un puissant moteur de la vie spirituelle et morale. Mais on peut fixer le crucifix au point d’oublier qu’Il est ressuscité. Le crucifix roman est la représentation iconographique de cette magnifique fête de l’Invention de la Sainte Croix, qui projette la lumière de Pâques sur la Passion et transfigure l’instrument sinistre de la Rédemption, comme les croix d’or et d’argent surchargées de pierres précieuses. Car le sombre instrument de torture est devenu le joyau incomparable, la clef du Paradis. Les jeunes qui cherchent une doctrine refuseront systématiquement aussi bien les magnifiques pieta du XVe que les pauvres Sacrés-Cœurs phtisiques au sourire triste et doux… et quelque peu niais de la grande époque sulpicienne.
Ce n’est pas de leur faute s’il n’y a personne pour leur montrer que ces dévotions, et quelques autres, reposent sur des vérités théologiques de la plus haute importance et de la plus grande profondeur. On comprendra que je ne condamne pas plus ces dévotions que la ferveur pour les apparitions mariales ou la « petite voie ». Mais chaque chose devant être à sa place, le sentiment doit être à la sienne, qui n’est pas la première. Tout comme les applications morales, les dévotions sensibles ne peuvent précéder la connaissance de la vérité. Et, de même que la foi et la charité étendront peu à peu leur influence jusqu’à la vie des sens, de même la foi et la charité orienteront peu à peu les sentiments. Mais il faut bien, constater que le sentimentalisme dévotionnel a trop souvent tenu lieu de religion, comme le moralisme a trop souvent envahi la prédication, dans l’Église avant le concile. Dévotions et morales n’avaient absolument rien de mauvais en soi. Elles n’étaient pas toujours à leur place, le concile aurait pu remettre les choses en ordre. Hélas ! Il ne s’agit plus de désordre, mais d’une inqualifiable perversion. Le sentimentalisme et le moralisme sont toujours à la première place chez les représentants patentés de l’Église et dans leurs publications, mais ils sont devenus anti-traditionnels, anti-catholiques. Le sentimentalisme actuel c’est le larmoiement continuel sur toutes les injustices sociales et mondiales, vraies, supposées ou inventées, la peine de mort, le droit des enfants, les droits des animaux, et j’en passe… Le moralisme actuel c’est le contraire du précédent au nom de la spontanéité et de l’authenticité. La différence, c’est que sentiments et morale qui était autrefois dans l’aura sacrée sont maintenant sentiments et morale d’une abjecte prostitution aux phantasmes modernes. Une autre différence, c’est que le psychologisme qui pouvait envahir l’Église à certaines époques se heurtait à l’objectivité des sacrements et du dogme révélé, alors qu’il envahit tout aujourd’hui et dilue l’ensemble de la religion dans un subjectivisme et un individualisme négateurs de toute transcendance.
La religion catholique n’étant pas une doctrine ésotérique, il était normal que son enseignement s’adaptât à tous pour porter tous les hommes à Dieu selon leurs possibilités intellectuelles, et il était fatal que certaines dévotions finissent par avoir un développement qui occulte leur signification symbolique. La liturgie, quant à elle, culte public de l’Église, a toujours gardé son contenu total, toutes ses relations avec les réalités les plus élevées.
Ce qui peut être obscurci, à cause de l’incurie des pasteurs, c’est la compréhension des symboles liturgiques, compréhension pas seulement rationnelle, mais aussi intuitive, en mode poétique, approche et appréhension mystiques des mystères.
Le trésor de la liturgie reste toujours intact, et (à condition d’avoir reçu un minimum de formation) chacun peut y puiser selon son degré d’avancement spirituel et y puiser davantage d’année en année. Je parle de la liturgie traditionnelle, de la liturgie complète, avec tous ses mystères, sa puissance d’évocation et son équilibre divin, et non du résumé vulgarisé qu’on veut nous servir en ersatz. On nous a dit : les temps ont changé ; la société a changé, il faut adapter la liturgie aux hommes d’aujourd’hui… Comme si depuis l’Empire romain les conditions socio-culturelles n’avaient jamais changé. Comme s’il y avait un rapport entre les sénateurs romains et les clans irlandais, entre les guerriers francs et la cour de Louis XV, entre le magnifique XIIIe et le lamentable XIXe ! Et pourtant ils avaient tous la même messe. Quoi de commun entre la basilique romaine et l’oratoire de branchages des ermites du haut Moyen-Age, entre la Sainte-Chapelle et l’église de Le Corbusier ? Pourtant ces édifices furent tous construits pour la même messe.
Cependant ils ont raison. Les temps ont changé. Sur le plan intellectuel, la rupture se situe à la Renaissance, rupture tragique qui obligea l’Église à cristalliser sa doctrine et sa liturgie. Sur le plan politique, elle se situe à la Révolution. Cependant une grande partie de la population continua à avoir des réflexes traditionnels et même souvent à vivre dans une société traditionnelle (je pense aux paysans) jusqu’en 1914. Et c’est depuis cette guerre que les temps ont totalement changé. Surtout depuis le développement des media qui ont définitivement détruit toute vie traditionnelle jusque dans les campagnes les plus reculées. Oui, les temps ont changé. La barbarie actuelle n’a jamais eu d’équivalent. Le point commun entre des peuples de cultures si diverses, entre des époques si différentes les unes des autres, c’était une juste notion de la Tradition, dont la messe, le sacrifice divin, était l’expression suprême. Du grand philosophe au modeste paysan, la lumière de la Tradition s’est progressivement éteinte. Mais tout en haut, il restait la messe. Saint Pie V avait pris ses précautions pour qu’elle, au moins, demeure, quoi qu’il arrive. Peine perdue. « Ils » ont cassé la messe. « Ils » ont cassé la Tradition jusque dans la messe. Et il y a des imbéciles qui ne s’en sont même pas rendu compte et qui trouvent beaucoup plus important de dénoncer l’affiche d’un cinéma porno… qui s’imaginent amener des jeunes à la foi catholique en leur récitant Humanae Vitae, qui gloussent d’indignation si on leur représente que Alexandre Borgia fut un bien meilleur pape que Paul VI, parce que malgré sa vie privée scandaleuse, il avait le sens de la Tradition et le souci de la maintenir.
A considérer l’état, l’influence et la compréhension des notions traditionnelles dans le monde contemporain, et sans envisager l’éventualité d’un miracle toujours possible, il est clair que la situation est humainement désespérée. N’en déplaise à ceux qui s’imaginent vivre le renouveau de l’Église, et qui gazouillent et s’ébrouent au milieu du désastre.



La discussion

 Deux sous de réflexion, de Arnold [2009-03-28 08:45:34]
      Ils répondent simplement, de Jean-Paul PARFU [2009-03-28 09:01:08]
          Je partage , de Clayve [2009-03-28 10:31:22]
      Votre propos rejoint celui..., de Vianney [2009-03-28 09:09:48]
          Problèmes ..., de Aigle [2009-03-28 09:27:01]
          C'est très vrai tout cela, de Arnold [2009-03-28 09:32:34]
          En ce qui me concerne, de Jean-Paul PARFU [2009-03-28 09:33:16]
          J'ai retrouvé l'intégralité de l'article, de Arnold [2009-03-28 09:56:47]
              "Per ipsum", de Aigle [2009-03-28 10:03:50]
                  Personne..., de Chataigne [2009-03-29 14:31:33]
          Le redressement doit être doctrinal..., de Athanase [2009-03-29 01:23:56]
              Quand on commence à reculer, l'ennemi n'attend pl [...], de Gentiloup [2009-03-29 13:10:55]
                  Mais, aussi ténue soit la question morale, elle.. [...], de Athanase [2009-03-29 16:28:28]
                      Les médias ne s'intéressent pas qu'aux moeurs... [...], de Gentiloup [2009-03-29 17:00:00]
      Mouais..., de AB Gédéon [2009-03-29 14:18:37]