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témoins de la miséricorde Imprimer
Auteur : Tardivel
Sujet : témoins de la miséricorde
Date : 2008-05-27 17:12:51

LA MISÉRICORDE, MOTEUR DE LA VIE SPIRITUELLE


Conférence donnée par le père Jean-Raphaël Dubrule aux Témoins de la Miséricorde et aux intéressés, le dimanche 25 novembre 2007, en la paroisse Saint-Eugène-Sainte-Cécile à Paris.

Le style oral de la conférence a été gardé.


Introduction

Ce que je veux vous partager, c'est que notre difficulté dans la vie spirituelle, et donc dans la vie, car les deux sont liés, vient de ce qu'on ne comprend pas bien les choses. La vie spirituelle, la vie morale, ce n'est pas d'abord de l'ordre de la volonté, mais de l'intelligence. Si on comprend quelque chose, on a envie de la faire, et de la faire volontiers.

Mon but, dans cet enseignement, est de vous montrer comment la connaissance de la miséricorde divine peut changer radicalement votre jugement sur vous-même, sur votre vie, sur vos aspirations, et vous ouvrir des perspectives…


1. Le désir de la perfection chrétienne

Je pars du principe qu'on a tous un désir, ou qu'on a eu un désir, même confus, d'être saint. Il est très probable qu'après un temps fort, une retraite par exemple, ou un camp, on ait eu une forte volonté de plaire au Seigneur et de prendre au sérieux l'appel du Seigneur à la sainteté.

Alors, plein de bonne volonté, on se dit qu'on est appelé à être saint, ce qui est vrai, et donc à être parfait. « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. » Voilà la phrase du Christ qui nous porte.

Et on se fait un idéal de la perfection. On voit la perfection à notre manière, c'est-à-dire une vie sans défauts, sans faiblesses, sans péchés. Sur cette base, on se fait un programme de sainteté, avec des résolutions bien ficelées. On place la barre assez haut, mais c'est cela, la perfection, de toute manière.

Alors on cherche à être parfait, à être le plus fidèle possible à tous les commandements de Dieu, et on se lance avec joie dans la prière. Et on se rend compte qu'on commence à avancer sur le chemin de la perfection, qu'on quitte nos mauvaises habitudes et qu'on devient un homme de prière. On y arrive pas si mal, et on est assez content de soi. On se trouve même quelqu'un de bien, qui a enfin compris l'importance de la vie de prière.

Mais, car il y a un grand mais, cela n'a souvent qu'un temps, et au bout d’un moment, on se met à patauger, à ne plus y arriver, peut-être même à chuter gravement, et même, pire, à rechuter dans ce dont avait cru se débarrasser à la force du poignet.

La vie de prière régulière appartient à un passé lointain. Nos défauts dont on avait cru se débarrasser ressurgissent. Notre misère nous accable. On s'aperçoit qu'à nouveau on retombe dans les mêmes péchés, qu'on confesse toujours les mêmes, toujours, sans aucun progrès, et c'est lourd, très lourd à porter, à supporter. On aurait tellement voulu y arriver.

On se trouve en face d'un douloureux constat : je suis pécheur, ou du moins, je n'y arrive pas comme je le voudrais. Je n'arrive pas à être parfait comme le Père est parfait, et pas qu'un peu, mais pas du tout. J'avais cru être sur le bon chemin à un moment, mais je m'aperçois que ce n'est pas le cas.

Après avoir fait ce constat sur nous-mêmes, on regarde avec crainte le Bon Dieu et on se demande ce qu'il peut bien penser de nous. Alors on se l'imagine navré de notre manque de persévérance, on se l'imagine indigné. Il ne peut qu’être déçu de nous, puisqu'on est retombé là où on en était avant.

Dieu, le Saint par excellence, ne peut pas nous supporter ainsi, qui sommes tellement éloignés de sa sainteté.

Heureusement, on a quand même été au catéchisme, et l’on sait que Dieu pardonne nos péchés.

Il les pardonne du haut du ciel. "Tu es pécheur, mais je t'aime quand même, malgré tout. Je suis prêt à oublier si tu me demandes pardon", nous dit Dieu. Il nous pardonne tout, mais il est déçu par notre péché, par notre infidélité, et finalement, on s'imagine que Dieu se contente de notre médiocrité.

Face à ce constat, il y a principalement deux attitudes :

 La première, c’est la fuite en avant dans la vie superficielle. Tout cela, ce n'est pas fait pour moi. Je reste chrétien, oui, mais un chrétien de surface, un chrétien du dimanche, sans plus.

 La deuxième, et c'est encore pire, c'est le désespoir. Oh pas forcément un désespoir psychologique, qui fait tomber dans la dépression, quoique cela puisse arriver, mais au moins un désespoir dans notre aptitude à plaire à Dieu, à devenir saint. On abandonne la partie puisque, de toute façon, on a bien compris qu'on était incapable d'y arriver.

On en arrive à cette conclusion : la sainteté, ce n'est pas fait pour moi. La sainteté, c'est pour les saints qui sont sur les autels, pour les curés d'Ars, les Padre Pio, les Thérèse d'Avila, ceux qui ont eu des aptitudes spéciales, ceux qui étaient saints dès leur enfance, dès leur jeunesse, comme Dominique Savio ou Louis de Gonzague. Mais on se persuade qu'on n’est pas de cette race là.

Et on fait ce qu'il y a de pire. On abandonne notre désir de sainteté.


2. L'amour dont Dieu nous aime

Alors, peut-on en rester là ? Est-ce que mon péché est un obstacle fondamental à la sainteté ? Est-ce que le constat de ma profonde faiblesse est un signe que je ne suis pas fait pour être saint ? Pour répondre à cette question, il faut travailler sur la vision qu'on a de Dieu.


a) Dieu aime en nous notre faiblesse.

La difficulté majeure est qu'on projette sur Dieu notre manière de voir notre vie. On colle sur Dieu la façon dont nous-mêmes pouvons regarder. Mais on va voir que l'amour de Dieu pour nous est autre, qu'il dépasse tout ce qu'on peut imaginer.

Pour changer notre regard sur Dieu, je vais partir du mystère de la Trinité. Vous allez vous dire : aïe, aïe, aïe, on n’est pas sorti, on nous avait annoncé un enseignement sur la Miséricorde et on se retrouve avec un cours sur la Trinité. Encore un de ces jeunes prêtres qui sort du séminaire et qui va nous ressortir ses cours.

Non, rassurez-vous, je pars de haut, de la Trinité, pour mieux éclairer le mystère de l'amour de Dieu pour nous.

Dans la Trinité, le Père engendre le Fils et l'aime, le Fils lui renvoie cet amour, et cet amour réciproque et commun se nomme le Saint-Esprit. C'est très réducteur, et il faudrait beaucoup de nuances, mais l'essentiel est là. Éternellement, le Père engendre le Fils et le Fils reçoit la divinité du Père. Mais le Père et le Fils, et le Saint-Esprit qui en procède, sont tous les trois le même et unique Dieu, égaux en perfection. Bien qu'il y ait un ordre en Dieu, il n'y a aucune inégalité, aucune imperfection chez une des Personnes par rapport aux deux autres. Elles sont différentes, distinctes, mais également parfaites.

Et quand les Trois dialoguent entre eux, éternellement, ils contemplent leur perfection. Quel bonheur, quelle paix. Cela fait du bien de savoir que malgré tout ce qui se passe dans le monde, il y a ce dialogue des Trois, qui aiment leur perfection…

Venons-en maintenant à la création. Dieu décide de nous créer et de nous faire participer à sa perfection. Mais il reste que nous ne faisons que participer, nous dépendons de Dieu, et donc nous sommes irrémédiablement pauvres devant Dieu. Seul Dieu est absolument parfait. Dieu ne dépend pas. Les Trois existent éternellement et sont par eux-mêmes. Mais nous, nous dépendons de Dieu. Nous n'existons que parce que Dieu le veut, que parce qu'il nous donne d'exister. On peut faire ce qu'on veut, on dépend de Dieu, on vient de Lui.

Maintenant, considérons l'amour de Dieu pour nous. Qu'est-ce qui va attirer son amour ? Qu'est-ce qui fait qu'il va aimer sa créature d'un amour fou ? Est-ce que c'est la perfection qu'il trouve en nous, ce que nous pouvons faire de bien ? Oui, mais ça, cela vient de lui, il le trouve déjà en lui, si je puis dire.

Alors, est-ce que Dieu n'aime que ce qui est parfait en nous ? N'y a-t-il pas en nous quelque chose qui ne se trouve pas en Dieu ?

Eh bien si, et c'est le fait d'être dépendant. Le fait de dépendre d'un plus grand que nous, cela ne se trouve pas en Dieu. C'est quelque chose qui est propre à l'homme. Et c'est pour cela qu'il nous aime. Cette dépendance, je l'appelle notre pauvreté. C'est la pauvreté de la Vierge Marie, qui était parfaite parce que sans péché, mais qui se savait toute petite parce que créature. C'est notre pauvreté ontologique, c'est-à-dire la pauvreté qui vient, non de notre péché, mais de notre condition de créature. C'est la pauvreté d'Adam et Ève avant qu'ils ne chutent.

Dieu nous aime donc parce qu'on est pauvre de cette manière, et pas principalement parce qu'on est fort.

Pour donner une comparaison, on peut dire que Dieu nous aime à la manière dont des parents aiment leur bébé qui est entièrement dépendant d'eux, et qui est tout faible. Ils l'aiment parce qu'il dépend d'eux, ils l'aiment d'un amour gratuit.

Il est difficile de se rendre compte de cet amour de Dieu pour nous, car nous sommes intimement persuadés que Dieu aime en nous ce qui est parfait. Et instinctivement, nous présentons à Dieu nos bonnes actions, notre bon côté.

Alors pour nous convaincre que c'est bien notre pauvreté qui attire le regard du Père, regardons l'Ancien Testament, et l'histoire du peuple hébreu.

Dieu a choisi le peuple élu gratuitement, comme le peuple qu'il préférait à tous les autres. Et Il lui a souvent redit qu'il aimait son peuple d'un amour de prédilection, plus que les autres peuples.

Que dit-il à son peuple :

« Si Yahvé s'est attaché à vous et vous a choisis, ce n'est pas que vous soyez le plus nombreux de tous les peuples : car vous êtes le moins nombreux. » (Dt 7, 7)

Or, dans la mentalité de l'Ancien Testament, le nombre est synonyme de puissance, et le fait d'être peu nombreux est la marque de la faiblesse. Dieu choisit Israël pour sa faiblesse. Et l'amour qu'il a pour lui est un amour de prédilection.

"Parce que tu es petit, je t'ai choisi", veut dire le Seigneur à Israël, et non pour tes qualités. Et ce qui vaut pour Israël vaut aussi évidemment pour nous, aujourd'hui, en 2007.

Une autre citation de l'Ancien Testament nous montre cet amour de Dieu pour ce qui est faible en nous.

« Il y a des faibles qui réclament de l'aide, pauvres de biens et riches de dénuement; le Seigneur les regarde avec faveur, il les relève de leur misère. » (Sirac 11, 12).

Vous voyez que je n'invente rien. Mais il faut un peu se forcer pour croire que Dieu aime notre faiblesse, notre pauvreté, car cela va contre notre orgueil.

Alors venons-en à la conclusion qui s'impose. Comment s'appelle cet amour qui aime ce qui est faible, qui choisit ce qui est petit, qui se penche sur la misère ? Cet amour qui aime notre pauvreté avant tout, c'est évidemment la miséricorde. C'est ce qu'on appelle l'amour miséricordieux de Dieu. C'est l'amour qui aime la créature parce qu'elle est créature et donc entièrement dépendante.


b) La force du péché

Vous allez vous demander pourquoi j'ai tant insisté sur ce qu'est la miséricorde. Et en plus, vous l’avez bien remarqué, sans parler du péché. La miséricorde est, vous l'aurez compris, indépendante du péché. Elle s'exerce indépendamment de nos péchés. La Miséricorde n'est pas un plan B du Bon Dieu. Dieu ne s'est pas dit : "Aïe, aïe, aïe, ma création ne fonctionne pas du tout comme prévu, l'homme n'en a fait qu'à sa tête et il faut que je trouve quelque chose pour rattraper le coup. Eh bien tiens, si j'étais miséricordieux avec eux."

Non, je caricature à l'excès, mais c'est pour mieux souligner que l'amour dont Dieu nous aime avant notre péché est le même que celui dont il nous aime après notre péché. L'amour de Dieu ne change pas. C'est éternellement un amour de miséricorde.

Mais vous allez me dire que cela ne répond toujours pas à la question. Quel est le rapport entre la miséricorde et le péché. Car nous sommes marqués par le péché. C'est ça qui nous intéresse. Comment l'amour miséricordieux voit-il notre péché ?

Le péché, qui nous accable bien souvent, qui nous effraie quand il revient, toujours le même, avec toute sa laideur, a un énorme avantage. C'est ce que j'appelle la force du péché. Cet avantage, c'est de nous rappeler de manière criante que nous sommes des pauvres, que nous n'y arrivons pas tout seuls. Que nous avons besoin de toujours être soutenus par la grâce de Dieu. Le péché, quand il nous déchire le cœur, parce que nous le voyons dans toute sa vérité, nous pousse à nous humilier, à rester pauvres. A rester petits et à demander au Bon Dieu, dans sa miséricorde, de nous aider.

C'est un peu trop fort pensez-vous. On ne peut pas parler des avantages du péché, car c'est une offense à Dieu, à sa majesté, à son amour. C'est un mal en soi qui reste inacceptable. J'y reviendrai dans les objections un peu plus loin.


c) La miséricorde revalorise, promeut

Si nous comprenons ainsi l'amour de Dieu, cela nous évite de tomber dans une fausse idée de la miséricorde.

Car on peut avoir tendance à se représenter la miséricorde comme un voile jeté sur nos péchés. Dieu constate qu'on est pécheur, qu'on l'offense, mais il fait comme si on n'avait rien vu. "Tu es pécheur, mais je t'aime quand même. Tu n'es pas parfait, je m'en rends compte, mais je me contente de cet état un peu pitoyable, parce que je suis un Dieu bon, au fond." Voilà l'attitude que l’on peut prêter au Seigneur.

C'est un peu la vision protestante de l'amour de Dieu. L'homme reste profondément mauvais, corrompu, mais Dieu n'en tient pas compte. Par la mort de Jésus, nous ne sommes pas purifiés de l'intérieur, mais le Christ obtient que nous ne soyons pas condamnés pour notre misère.

Eh bien non, et il faut s'opposer fortement à cette vision, d'où qu'elle vienne. Car la miséricorde nous reconstruit, nous relève, nous remet debout. L'amour miséricordieux entre en contact avec notre misère. Jean-Paul II, dans son encyclique sur la miséricorde, le dit bien :

« La signification véritable et propre de la miséricorde ne consiste pas seulement dans le regard, fût-il le plus pénétrant et le plus chargé de compassion, tourné vers le mal moral, corporel ou matériel : la miséricorde se manifeste dans son aspect propre et véritable quand elle revalorise, quand elle promeut, et quand elle tire le bien de toutes les formes de mal qui existent dans le monde et dans l'homme. Ainsi entendue, elle constitue le contenu fondamental du message messianique du Christ et la force constitutive de sa mission. » (Jean-Paul II, Encyclique Dives in Misericordia, n° 6)

C'est tout le thème de la Parabole de l'enfant prodigue, qui est peut-être la page de la Bible qui nous révèle le mieux le cœur du Père. Cet enfant, qui a tout quitté, qui a tout perdu, qui était en train de se démolir, cet enfant est reconstruit par l'amour miséricordieux du Père. Il n'y a aucune leçon moralisante chez le Père, mais simplement la joie, car « son fils que voilà était mort et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé ! » (Lc 15, 24).

Le cœur humain, même le plus détruit, surtout le plus détruit, est transformé par la miséricorde, est reconstruit. Cette reconstruction intérieure est signifiée par la plus belle robe que le Père remet à son fils. L'amour du Père a restauré son fils. Quel cœur que le cœur de Dieu. Comme Dieu est grand dans sa miséricorde !

« Cet amour est capable de se pencher sur chaque enfant prodigue, sur chaque misère humaine, et surtout sur chaque misère morale, sur le péché. Lorsqu'il en est ainsi, celui qui est objet de la miséricorde ne se sent pas humilié, mais comme retrouvé et "revalorisé". Le père lui manifeste avant tout sa joie de ce qu'il ait été "retrouvé" et soit "revenu à la vie". » (Jean-Paul II, Encyclique Dives in Misericordia, n° 6)

C'est l'image du fil qui symbolise notre amitié avec Dieu. Le péché le casse, la miséricorde refait le nœud un peu plus court… Donc, au final, on s'est rapproché de Dieu.

Après la chute et le relèvement, on s'est trouvé plus proche de Dieu. La miséricorde est bien un tremplin vers Dieu, qui utilise notre péché pour nous rapprocher de Lui. Ne fallait-il pas être Dieu pour trouver une telle parade au mal qu'est le péché ? !


3. Entrer dans ce regard de Dieu sur nous : notre misère nous rapproche de Dieu.

Nous sommes invités à rentrer dans ce regard de Dieu sur nous. Nous sommes appelés à prendre les lunettes de Dieu pour nous regarder et nous aimer. Et nous nous rendons compte alors que Dieu ne nous aime pas malgré notre faiblesse, mais grâce à notre faiblesse.



Quelles en sont les conséquences, pratiquement, dans ma vie courante ? Car c'est cela qui m'intéresse, concrètement. Comment cet autre regard sur Dieu et sur moi-même peut changer ma vie spirituelle, et donc ma vie tout court ? Cela peut se résumer en quelques points :

 Surtout ne pas s'effrayer de ses fautes, de ses péchés. Même si ce sont des fautes récurrentes, honteuses, douloureuses. Mais prendre du temps pour rentrer dans le regard de Dieu. Ne jamais, jamais, jamais désespérer de notre appel à la sainteté (et si j'insiste, c'est que le risque est très réel).

 Se dire qu'on est appelé à utiliser sa faiblesse, ses fautes, ses chutes - même lourdes - pour aller vers Dieu. Chaque chute que l'on subit, qui est vécue comme un coup d'épée dans notre cœur, doit être transformée en tremplin vers Dieu. Le péché est un tremplin car il nous accule à ne plus compter sur nous, il nous accule à demander de l'aide. « Dieu, viens à mon aide, Seigneur, à notre secours », chantons-nous au début de chaque office.

Il y a un risque de savoir intellectuellement qu'on est pardonné, celui que cela ne descende pas dans le cœur. C'est le signe qu'on n'a pas compris la force du pardon, pardon qui non seulement efface le péché, mais aussi nous fait progresser, nous rapproche de Dieu.

 Changer notre façon de nous regarder. Nous nous constatons toujours aussi faibles et pécheurs, mais loin de nous en lamenter, nous nous en réjouissons, car c'est un moyen de nous élever vers Dieu. Cela transforme la vie, et je peux en témoigner, la vie spirituelle, notre vie de relation à Dieu.

Car la légende dorée des saints qui sont parfaits dès leur enfance, je n'y crois pas.

On devient saint en vivant de la miséricorde et en sachant utiliser ses fautes.

 Enfin, nous ne pouvons vivre réellement de la miséricorde qu'en utilisant le moyen que Dieu nous a donné : le sacrement de la réconciliation. Vivons-le comme un temps privilégié de progrès spirituel, comme un tremplin, et pas comme une corvée. N'ayons pas peur de ce sacrement absolument sublime.



4. Deux objections :

Je vous avais annoncé des objections qui peuvent être avancées à ce qui vient d'être dit. Les voici :


a) Première objection :

Vous êtes bien gentil, mais j'ai toujours appris qu'il fallait apprendre à haïr son péché. Vous me dites qu'il faut au contraire l'aimer.

 Il est évident que ce n'est pas ainsi qu'il faut comprendre la "force du péché". Non, on n'aime pas son péché, mais on le laisse à sa place. Il est commis, et il a cet immense avantage qu'il nous rappelle notre pauvreté ontologique , notre petitesse, notre faiblesse, notre dépendance totale vis-à-vis de Dieu.

Là encore, je n'invente rien. C'est l'enseignement de la Parole de Dieu. Regardons l'exemple de saint Paul.

« 7 Et pour que l'excellence même de ces révélations ne m'enorgueillisse pas, il m'a été mis une écharde en la chair, un ange de Satan chargé de me souffleter -- pour que je ne m'enorgueillisse pas ! 8 A ce sujet, par trois fois, j'ai prié le Seigneur pour qu'il s'éloigne de moi. 9 Mais il m'a déclaré : "Ma grâce te suffit: car la puissance se déploie dans la faiblesse." C'est donc de grand coeur que je me glorifierai surtout de mes faiblesses, afin que repose sur moi la puissance du Christ. 10 C'est pourquoi je me complais dans les faiblesses, dans les outrages, dans les détresses, dans les persécutions et les angoisses endurées pour le Christ ; car, lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort. » (2 Co 12, 7-10)


Saint Paul nous parle d'un péché sur lequel il reste flou (une écharde dans la chair). Chacun de nous peut y mettre le péché qui le marque le plus. Et bien saint Paul a compris que le Seigneur permettait qu'il garde ce péché pour ne pas tomber dans l'orgueil. Et saint Paul a ces deux phrases inouïes, incroyables, en d'autres termes des phrases totalement évangéliques : « Je me glorifierai surtout de mes faiblesses », et « Je me complais dans mes faiblesses ». Personne d'entre nous n'aurait jamais osé aller jusque là. C'est pourtant la Parole de Dieu. Je trouve cela personnellement complètement fou, et cette folie me réjouit le cœur.


b) Deuxième objection

Mais on m'a parlé du combat spirituel, et si j'ai bien compris, là, c'est Dieu qui fait tout, qui nous donne tout. On n'a plus rien à faire qu'à demander pardon. Est-ce que ce n'est pas affadir l'exigence évangélique ?

 Il est absolument certain que c'est Dieu qui donne tout. C'est le mystère de la gratuité. La gratuité du salut, si bien mise en valeur dans la parabole des ouvriers de la onzième heure , ne nous est pas instinctive parce qu'on trouve cela trop beau.

Et le combat spirituel va justement être de comprendre qu'on fait des efforts non pas pour y arriver, pour mériter le salut, qui est et reste offert gratuitement, mais pour toucher le cœur de Dieu.

Pour illustrer cela, j'aime beaucoup l'image que sainte Thérèse de l'Enfant Jésus donne de l'enfant et de sa mère en haut de l'escalier. On s'y reconnaît si bien.

Il s'agit d'un petit bébé, tout petit, qui sait à peine marcher à quatre pattes. Il est en bas d'un grand escalier, avec des grandes marches. Un escalier d'adultes quoi. Et il essaie de monter tout seul retrouver sa maman qui l'attend en haut. Il essaie, difficilement, en jetant son petit pied en l'air. Quelle énergie il dépense pour arriver à gravir une marche ! Et sa maman regarde cela avec amour, avec bienveillance. Elle est émue de voir tous ces efforts. Et puis au bout d'un moment, elle est tellement apitoyée par son petit bébé qu'elle descend le chercher et le monte dans ses bras, en quelques secondes.

Voilà le résumé des efforts que nous devons faire. Non pas faire des efforts pour mériter de Dieu qu'il nous fasse progresser dans la sainteté, mais des efforts pour apitoyer le cœur de Dieu. Apitoyer Dieu, voilà l'enjeu de mes efforts.

Vivre de la Miséricorde, ce n'est pas arrêter mes efforts pour prier, pour aimer mon prochain, pour lutter contre mes péchés, mais c'est changer l'esprit de ces efforts. Je ne les fais plus pour présenter quelque chose de positif à Dieu, pour montrer que j'y arrive, mais pour apitoyer son cœur.

Ne pas se décourager, aller se confesser, croire que c'est Dieu qui fait tout, et que nous, on ne fait rien, cela demande un vrai combat, car c'est le combat contre notre orgueil. Et je pense que c'est le combat le plus dur à mener. Et qu'il dure toute la vie.


Conclusion

Si j'ai voulu vous parler de la profondeur de la miséricorde comme moteur dans la vie spirituelle, c'est que je pense que c'est absolument central. La Miséricorde n'est pas une dévotion périphérique, mais c'est le cœur de l'Evangile.

Jean-Paul II disait que la miséricorde est « l'ultime planche de salut pour le IIIe millénaire ». Sommes-nous prêts à nous rattacher à cette planche gratuitement offerte ?

Pour finir, je citerai une phrase que Jésus a dit à sainte Faustine, et qui me semble résumer à merveille la spiritualité de la miséricorde :

« Quelle immense joie emplit mon cœur lorsque tu reviens vers moi. Je te vois très faible, c'est pourquoi je te prends dans mes bras et je te porte à la maison de mon Père. » (Sainte Faustine, Petit Journal n° 1486).

Que cette simple phrase qui résume tout puisse servir de moteur pour toute notre vie.


Ordination de l'abbé Dubrule (Société des Missionnaires de la Miséricorde) dans le rite traditionnel en septembre 2007:



La conférence


La discussion

 témoins de la miséricorde, de Tardivel [2008-05-27 17:12:51]