Sur le site orgue.free.fr, il y a un forum où les organistes, parfois réputés, partagent leurs expériences et leurs compétences. Je retranscris ci-dessous un message "savoureux", quoique dramatique...

Inutile d'aller intervenir sur leur forum, qui est exclusivement réservé à l'orgue et aux organistes. Je ne pense pas qu'une invasion de tradis aurait un effet forcément bénéfique...

Auteur : Jean-François Ouilhon (193.249.173.xxx)
Sujet : ordinaire des dimanches
Date : 13/12/2003 23:49:28


ORGUE EN LETHARGIE


PROGRAMME DE L’ORGUE A L’OCCASION DE LA GRAND-MESSE DES FAMILLES DU « DIMANCHE DE PAQUES » 2003, QUELQUE PART EN DIOCESE DE BAYONNE

ENTREE EN PROCESSION: Peuple de baptisés.
En attendant, à l'autel, innommable bazar et éclats de voix. Gesticulations. Souk. Courses dans les allées.
Répétition déphasée, administrée par un pseudo guitariste surprise, venu avec ses rythmes rigolos, désagrégés et boiteux qu'un prix de Rome serait dans la totale incapacité de prendre en dictée.
L'heure du début de l'office est passée de quelques 8 ou 10 minutes. Confusion et anarchie.
« Alors, ce chant, tu nous le chantes ou pas ? ! »
Tout à coup, apparemment plus de chant, mais exigence et réclamation de l'orgue directement au micro. Bienvenue au royaume de la délicatesse et du savoir vivre.
« L'entrée est déjà consommée et la moitié de la procession est au pied de l'autel mais, après cette annonce genre « Comice Agricole », il faut vite jouer quelque chose. Que jouer et, surtout, dans quelle esthétique ?
Malaise oppressant des jours de grand ridicule. Improvisation sur l'Alléluia de Pâques totalement intruse, poussiéreuse, déplacée et inutile, car affreusement éloignée du genre précédant, lui même indéfini. Bref ! Horrible et insupportable mariage des genres.
encore et toujours le marché, en bas. Je cherche une contenance qui ne viendra pas. Sentiment de métier mal fait et de honte profonde. »

CHANT DE PROCESSION: après la procession, çà devient dès lors évident. Peuple de baptisés, donc.
Exception faite du mot clé « Alléluia » glissé dans le refrain, aucun rapport direct avec le thème du jour.

GLORIA: Gloire à Dieu il est grand, gloire à Dieu il est bon, tralala, clap clap et déhanchements à volonté.
Horrible et bête à la fois. Machin sans aucune solennité. Nul et très honnêtement laid. Genre « Big-nit » après avoir fumé une cigarette interdite et mélangé tout ce qui ne pouvait pas l'être. Pas la moindre compétence musicale ou artistique ne se dégage de cette insupportable erreur.
Bref ! Gloria sans orgue le jour de Pâques.

PSAUME: Ce jour que fit le Seigneur. Parlons-en. A une voix et sans originalité. Versets des dimanches ordinaires. Sans la moindre saveur, ni bonne, ni mauvaise. Sans aucun danger pour personne. Automédication sans risque.

ALLELUIA: Dieu est une fête aujourd'hui, c'est lui qui l'a promis, oh oh oh oh oh ! Olé olé, avec guitare.
Alors là, Vue imprenable sur le ridicule. Applaudissements. Comble et sommet de l'ânerie inconsciente. Apogée de la caricature nouvelle vague. Descente en eaux troubles. Brasse au milieu des boulettes de fuel. Hum.
Exit l'Alléluia de Pâques. Noël sans « il est né le divin enfant ». Coup de grâce sur l'ordre du jour !

EVANGILE:
illustration avec pancartes portées à bout de bras. Incohérentes et incompréhensibles gesticulations.
Les binoclards d'en dessous de la tribune n'y voient que des ombres. Faisant malencontreusement partie des deux castes depuis que j'occupe ce poste, je témoigne de la parfaite inutilité de ce genre de tralala.
« Allez donc lire un machin qui bouge et qui n'est même pas écrit en entier, au delà des trente mètres »
Cà me rappelle toujours quelque manif. Donc, comme chacun sait, peine perdue et sans aucun intérêt.

HOMELIE: pour les enfants seulement.
Au même moment, un jeune couple accompagné de ses deux enfants passe sous le porche, direction la sortie. « Est-il encore temps de trouver une messe quelque part ? » La maman lâche un: « Complètement débile » retentissant à des gens qu'ils croisent dans l'autre sens et qui marquent un arrêt pour le moins interrogatif, les yeux exorbités, façon ASTERIX avant la fatidique volée de poissons malodorants.
L'organiste est dehors. Il prend l'air en se faisant violence pour observer fidélité envers son orgue, mais le désir de définitivement tout abandonner ce matin là l'obsède réellement.
Profond sentiment d'inutilité absolue. Pensée fugace pour un ami qui joue, forcément ailleurs, de belles choses et qui improvise sur le thème de Pâques. M'enfin Retour au poste de pilotage.

PROFESSION DE FOI: Dialoguée blêblêblê

ASPERSION: ici non plus, absolument rien n'est défini dans le morceau de papier qui est servi à l'organiste en guise de conducteur. De toute manière, ils n'ont aucune idée de ce qu'est un conducteur. Il faut dire qu'ils ne veulent pas non plus se laisser expliquer. Une intervention de l'orgue est alors « hélée » au micro, comme s'il allait s'en suivre un extraordinaire numéro de cirque. Oups, vite une idée avant qu'ils n'insistent encore. Laissons tomber le thème grégorien de circonstance qu'ils n'ont certainement jamais entendu et c'est parti. Plus la moindre concentration possible dans un tel état; Deux jeux au hasard en prenant soin d'en choisir deux qui ne se mélangent absolument pas, et hue cocotte ! Improvisation sur l'eau vive. Après tout, çà au moins, ils connaissent et je ne risque pas d'être hors sujet. Leçon d'harmonie pour le guitariste en passant par la Lorraine, éclaboussures diverses via un pont quelque part en Avignon et retour à sa petite qu'est comme l'eau, vive.
« Essuyez-le, quelqu'un, il a encore du boulot. »

PRIERE UNIVERSELLE: Aucune idée.
Pas de partition. Pas de référence. C'est pourtant facile, y'a les paroles, qu'y disait.
« Bon, fais voir, chante moi ton truc une fois »

PROCESSION DES OFFRANDES
Rien n'est demandé, alors que la haute intervention de l'orgue y est toujours spécifiée. Allées et venues diverses dans le choeur. Confusion en tout sens. Suis dans la totale incapacité à comprendre ce qui ce passe et, surtout, à prévoir un tant soit peu ce qui va encore arriver d'un goût quelque peu agricole. Plusieurs manèges autour des micros, sans que personne n'y laisse jamais rien tomber. Dans la crainte, je ne joue rien. Finalement, la procession arrive à l'autel, via l'allée centrale, qui n'apparaît pas dans mon rétro, pourtant surdimensionné. Preuve supplémentaire que ceux qui ont prévu tout ce tralala n'ont tenu aucun cas de l'orgue. Il doivent s'imaginer que celui qui fait « pouêt-pouêt » là-haut jouit d'une vue panoramique imprenable sur tout l'édifice et agglomération urbaine environnante, et qu'il lui suffit donc de lever un peu les pieds pour apercevoir tout ce qui se passe entre le porche et le bistrot d'en face.
Bref ! Il fallait jouer.

SANCTUS: des dimanches ordinaires.
« Hmmm » Tout à coup l'ordinaire le plus fade devient inimaginablement confortable et tendrement douillet.

NOTRE PERE: dit du Burkina Faso ( accompagné de cette note de service: à Alléluia, lever les bras )
« Oui, oui notre père et Alléluia en même temps, çà se fait, il entend mieux »
J'invite ardemment celles et ceux qui ne connaissent pas cette chose abjecte à parfaire leur instruction sans plus tarder. Totalement profane, donc, et très largement utilisé dans une série télévisée pour « enfants », mettant en scène une marionnette à taille humaine animée par un acteur déchu ayant eu les pires déboires avec la justice, à propos des enfants, justement !
Ils voulaient que j'accompagne ce machin-là à l'orgue. Argument imparable, donc: « Impossible en levant les bras ».
C'est mieux à la guitare. De plus, quand le guitariste a les bras en l'air; c'est toujours çà de gagné pour la musique. Je me souviens qu'un accord très faux revenait sans cesse au même endroit, tel un tic, un grattage impulsif derrière l'oreille, une démangeaison mal placée.

AGNEAU DE DIEU: Donne la paix, tra lala la, tra lala la à ton frè-re (bis)
Accompagné à l'orgue façon guitare, mais avec des tuyaux et des accords justes.
Une longue hésitation au démarrage est venue du fait que l'organiste, on ne sait comment, a donné le ton en FA à la main droite, et en FA# à la main gauche. « Mais c'était pour riiiire ! »

COMMUNION: Le Christ est vivant, tralala, tsoin tsoin
Il était temps. Accompagné à l'orgue, par dessus les claquements de mains et les roulements de pieds façon danse indienne autour d'un totem. Toujours très original quand on sait qu'au bout d'un moment, il devient presque possible de distinguer chaque claquement, car ceux qui sont en avance rattrapent ceux qui semblent fort être en retard ! Ajoutez à cela le seul fait que plus personne ne chante dans le micro.
« Bon, tant pis, je leur joue autre chose ! »
Applaudissements. Une résurrection, çà vaut bien çà !

SORTIE: ( ?)
Que faire pour ne pas déparer, pour cadrer avec toute cette marmelade ? !
Ne pas oublier de couvrir et de recouvrir le brouhaha qui vient d'en bas, si l'on souhaite s'entendre confortablement jouer. Oublier, pour quelques minutes à peine, ce que l'on est venu faire ici. Voyons, voyons
Heu...Valse. Valse de manège, plutôt. Ré mineur comme il se doit. Trois temps, façon orgue de foire, avec toutes les variantes rythmiques qui vont avec. Attention au décollage et accrochez vos tympans.
Hééééééé....TUTTI de folie avec dix doigts à chaque main, octaves graves et tout le tremblement. Nous voilà partis pour « les amants de vingt ans », à la manière « cinéma de minuit », malaise ambiant et climat tragi-comique à couper à la hache. Refrains sans aucun masquage, parfaite justesse et décibels plein-pot, avec « versets » improvisés à la Cochereau, histoire de ne pas laisser croire au plus petit soupçon de mauvaise volonté. Bain de folie, fureur, rage et hystérie, les narines à la place des yeux et les oreilles qui pourchassent les étourneaux autour des piliers de la cathédrale.
Un pur régal. Ca fait du bien et çà sonne du feu de Dieu. Le grand LEFEBURE-WELLY ne se serait jamais privé d’un tel plaisir. Un effet à couper le souffle ! Un souffle à tout anéantir, même le pire !
J'ai été applaudi tel l'être extraordinairement exceptionnel que l'on ne croisera qu'une seule fois en cette belle matinée d'un jour de Pâques. J'ai presque envie de leur crier que ce n'était que moi, ou que ce n'était pas lui.

'tranche de vie anormalement étrange, durant laquelle bonheur rime douloureusement avec horreur et gêne, bien impudiquement avec peine
Lorsque je lève mes yeux, l'adorable petit ange qui vit dans le buffet, dans son égale et infinie douceur, me sourit encore, tendrement ; ouf !
Etourdi et empli de cette magnifique image, j'aurais mieux aimé l'écho, en ré mineur, des pierres… puis le vide ;un dimanche matin comme un autre.


« il y a une refête la semaine prochaine et puisqu'ils aiment bien çà, je leur jouerai bien LE RETOUR DES HIRONDELLES.
Tiens à ce propos, nous n'en avons aucune à la maison depuis maintenant deux ans et cela doit certainement avoir un rapport très direct avec les pesticides. Encore et toujours les pesticides. Encore et toujours un vrai sujet qui fâche. Tenez, l'autre jour, j'écoutais justement une émission à la radio, sur France-Info, je crois bien, dans laquelle il était question d'un débat politique, donc d'intérêts, à propos de l'enrobage du maïs de semence et de la douloureuse question de la dissémination de nos petits passereaux.





Jean-François OUILHON
Organiste de la cathédrale d'Oloron
;pour le moment