Dans une période trouble comme l'est celle qu'a connue la France de 1789 à 1815, Talleyrand est un des rares à avoir voulu sauver les meubles et à avoir préféré les compromis aux bains de sang commis par les coupeurs de tête sans culotte et les généraux damnés de l'époque napoléonienne.
Un exemple: la Fête de la Fédération le 14 juillet 1790. Un magnifique moment de l'unité nationale. "Deux catégories de Français ne comprendront jamais l'Histoire de France : ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération." disait l'historien Marc Bloch. C'est Talleyrand qui a célébré la messe de la Fédération.
Dire que Napoléon a gagné beaucoup de batailles, c'est oublier que les batailles se livrent souvent dans les chancelleries diplomatiques. "Nous avons gagné la guerre, il reste à gagner la paix." a dit Clémenceau en 1919. Talleyrand a remarquablement bien négocié les traités de Presbourg (1806) et de Tilsit (1807). Napoléon, à côté, a enchaîné les déroutes militaires: l'expédition insensée en Egypte, en plein été, qui s'est terminée par le désastre d'Aboukir (1799); la défaite de Trafalgar, occultée par Austerlitz (1805); les boucheries d'Eylau (1807) et d'Essling (1809); la désastreuse expédition en Espagne (1808) qui a inspiré à Goya ses tableaux les plus flamboyants sur la cruauté de l'armée française; la désastreuse campagne de Russie, qui a réduit les effectifs de la Grande Armée de 85%; la défaite de Leipzig, commémorée en Allemagne comme étant la "bataille des nations" (allemandes sous-entendu) et dont le "Völkerschlachtsdenkmal", plus imposant monument d'Allemagne jamais construit, célèbre la mémoire; sans parler de Waterloo, le bouquet final, que Dominique de Villepin a tenté de présenter comme une glorieux moment de notre histoire dans son ouvrage "Les 100 Jours ou l'esprit de sacrifice".
Voilà, je me suis bien défoulé sur Napoléon (qui, soi-dit en passant, a réintroduit l'esclavage aboli par la Convention) que je ne supporte pas car je ne supporte pas les mégalos arrivistes qui ont ruiné l'image de la France dans le monde. Je lui suis quand même reconnaissant d'avoir nommé une commission de juristes compétents pour rédiger le Code civil, mais je suis surtout reconnaissant à Talleyrand d'avoir sauvé les meubles lors du congrès de Vienne.