Je viens enfin de lire Humanae Vitae et

Le Forum Catholique

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le torrentiel -  2017-08-12 18:48:35

Je viens enfin de lire Humanae Vitae et

(Meneau m’y incitait depuis longtemps) j'en tire la conclusion, à peu près comme dans Pascendi, que l'Église n'a pas son pareil pour poser de bonnes questions, mais que Paul VI comme Saint Pie X en éludent les réponses. Car leurs encycliques ont la qualité de la brièveté qui manque aux encycliques actuelles. Elles exposent excellemment l'état de la question, mais font l'économie des raisons pour lesquelles elles répondent leur éternel:"Non possumus". Au moins les encycliques actuelles passent-elles les questions qu’elles se sont proposées d’aborder au crible du bavardage dela sociologie pour faire un semblantd'analyse.


Évacuons d'emblée le rôle inutilement imparti à une Commission d'historiens, qui devrait évaluer, secrètement ou non, les conditions dans lesquelles laCommission devant conseiller le souverain pontif a examiné la question et surtout comment Paul VI a reçu les conseils de cette Commission. Il est de notoriété publique qu'il n'a pas du tout apprécié leurs conclusions, et il le fait savoir dans des termes qui sont sansappel. Après avoir vivement remercié les époux et les experts qui composaient cette Commission, le pape s'assied ainsi sur leurs conclusions: " 6. Les conclusions auxquelles était parvenue la Commission ne pouvaient toutefois être considérées par Nous comme définitives, ni Nous dispenser d'examiner personnellement ce grave problème...", écrit-il.

Je crois avoir lu sur ce forum que le pape avait installé une Commission qui devait lui permettre, non pas d’étudier les conditions historiques d’émission et de réception de l’encyclique de son prédécesseur, mais d’en écrire une sorte d’actualisation, à l’instar de ce qui s’est fait pour rerum novarum.


Il me paraît beaucoup plus intéressant d'examiner les bonnes questions que pose Humanae vitae et auxquelles l'encyclique répond par l'argument d'autorité. Ces questions se réduisent principalement à trois, me semble-t-il:


La première a trait au "rapide développement démographique". " Beaucoup manifestent la crainte que la population mondiale n'augmente plus vite que les ressources à sa disposition ; il s'ensuit une inquiétude croissante pour bien des familles et pour des peuples en voie de développement, et grande est la tentation pour les autorités d'opposer à ce péril des mesures radicales." La politique de la Chine était visée, la politique antinataliste du planning familial était redoutée pour l'Occident, mais l'encyclique se passera sans que l'Église qui parle au monde réexamine ces questions, déjà jugées assez sérieuses par un René Dumont ou un Alfred Sauvy, dont il se trouve que France Culture a rediffusé hier nuit un dialogue entre ces deux savants, qui s'inquiétaient en hommes de bonne volonté pour l'avenir de la planète au regard de la démographie et de notre manière de gaspiller les ressources naturelles. Tout justePaul VI, qui se promettait de proposer des solutions aux dirigeants du monde sur de bonnes pratiques en matière de démographie, se contentera-t-il de leur demander, dans ses "directives pastorales", de veiller à "la moralité" de leurs peuples.

L'absence d’examen de la question démographique dans Humanae vitae ouvrira une brèche successivement à Benoît XVI et à François pour se montrer très réceptifs au discours et aux alertes écologistes. Nul doute, donc, que, pour avoir éludé la question de savoir s'il n'y avait pas un seuil au-delà duquel la planète ne serait pas inhabitable si les hommes venaient à la surpeupler, et en fonction de l'inclination écologique de plus en plus manifestée parles derniers papes, Humanae vitae sera amodiée sinon reniée parce que la question démographique n’a pas été examinée à temps.


Deuxième constat que dresse l'encyclique en se gardant d'y répondre de façon convaincante:

"Enfin et surtout, l'homme a accompli d'étonnants progrès dans la maîtrise et l'organisation rationnelle des forces de la nature, au point qu'il tend à étendre cette maîtrise à son être lui-même pris dans son ensemble: au corps, à la vie physique, à la vie sociale et jusqu'aux lois qui règlent la transmission de la vie."

Le pape prévoit le transhumanisme. Mais les directives pastorales se borneront à en appeler aux hommes de science pour les exhorter à orienter leurs recherches vers une amélioration et une facilitation de l'appropriation des voies naturelles du contrôle exceptionnel des naissances, cependant que la majorité des scientifiques qui n'en aura cure, ivre de faire ce qui est en leur pouvoir (Simone Weil l'a bien souligné à la fin de L'enracinement, et elle avait un modèle dans sa famille, et encore n’était-ce qu’un mathématicien), s'orientera vers une procréation médicalement assistée que l'Église commencera par condamner très fermement, avant d'oublier que c'est une atteinte autrement plus grave que la contraception à l'économie de la Création, au point de ne considérer que c'est un mal que lorsqu'un couple de lesbiennes prétend y avoir droit, alors que c'est un mal, quel que soit le couple ou la femme seule qui y prétend : « Elle a fait un bébé toute seule ! »



Dernière solution à côté de laquelle passe Paul VI bien qu'il l'entrevoie et en s'abstenant d'expliquer pourquoi il ne la retient pas:

"Etendant à ce domaine l'application du principe dit " de totalité ", ne pourrait-on admettre que l'intention d'une fécondité moins abondante, mais plus rationalisée, transforme l'intervention matériellement stérilisante en un licite et sage contrôle des naissances ? Ne pourrait-on admettre, en d'autres termes, que la finalité de procréation concerne l'ensemble de la vie conjugale plutôt que chacun de ses actes ? »

Trois remarques sur ce point :

-Pi XII aurait donc introduit un "principe de totalité" qui serait à notre problème ce que le "[principe] de gradualité" était à celui de la communion accordée ou refusée aux divorcés remariés;

-il fut un temps où l'Église, avec Saint Thomas qui aimait répéter Aristote, accordait une certaine légitimité au contrôle des naissances. Malgré l'angoisse du débordement démographique à laquelle l’encyclique ne répond pas et pour majorer un enseignement dont le pape n'explique pas par l'examen de quels arguments il en est venu, Paul VI dénie ce principe de totalité à l’orientation générale d’uncouple, rend le contrôle des naissances exceptionnel, même si les conditions matérielles de la familleou les difficultés psychologiques du conjoints peuvent le justifier, reconnaît à cette fin l'utilisation des moyens médicaux appropriés, et introduit cette hypocrisie que lui-même reconnaît, et qui consiste dans « l’usage des périiodes infécondes » pour user du mariage, puisque l’acte conjugal n’est heureusement déjà plus exclusivement ordonné à la procréation.

Mais ceci est accessoire en regard de ce que permettrait le principe de totalité de Pie XII que Paul VI refuse d'appliquer à la matière contraceptive. La sexualité d'un couple ourrait être orientée vers la fécondité, mais l'Église tient à garder une sorte de maîtrise sur chacun des actes conjugaux, qui doit rester en principe et sous toutes ces réserves ouvert à la fécondité, bien que l'acte conjugal ne soit déjà plus exclusivement ordonné à la procréation.


Même les évangélistes, qui sont restés fidèles comme l'Église catholique, à un refus très strict de l'avortement,ne peuvent la suivre sur cette condamnation de la contraception, que le grand tort d'Humanae vitae quoi qu’on en pense, est de n'avoir pas suffisamment motivé.
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