Le ministre du mariage: une question loin d'être tranchée

Le Forum Catholique

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Chicoutimi -  2017-07-29 09:45:39

Le ministre du mariage: une question loin d'être tranchée

Mgr Eugenio Corecco (1931-1995), qui enseigna, entre autre, à l'université de Strasbourg et qui devint évêque de Lugano en Suisse, fut un spécialiste de droit canonique qui a revitalisé la thèse selon laquelle le prêtre est ministre du mariage.

Il démontre que ni la scolastique ni les documents magistériels n'emploient le terme de ''ministres du mariage'' en ce qui concerne les époux. Tout au plus, on retrouve cette expression dans deux enseignements de Pie XII qui n'a pas usé de son autorité pour trancher la question.

Le conception des époux comme ''ministres'' du mariage est devenue de plus en plus forte avec l'oeuvre de théologiens comme Schillebeeckx et s'est imposée exagérément suite à la traduction des rituels après la réforme liturgique de Vatican II et serait renforcée par une mauvaise compréhension du sens du ''sacerdoce baptismal''.

En somme, il prouve que la vision des époux comme ''ministres'' du mariage n'est qu'une opinion (légitime, certes, mais une opinion). Il affirme également que la question du ministre du mariage n'est pas mûre pour être tranchée dans l'Église catholique, et le moins que l'on puisse faire est d'inviter les uns et les autres à ne pas présenter comme certain ce qui n'est qu'une opinion.

J'ai mis la main sur le cours qu'il donnait concernant cette question très précise. Voici un résumé de l'essentiel, mais pour ceux qui veulent lire le document en entier il suffit de cliquer sur le lien ci-bas.

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''La question du ministre du mariage est particulièrement difficile. En Occident, de façon relativement récente, s'est installée l'opinion assez commune selon laquelle les époux seraient les ministres du mariage. Cette opinion (c'est loin d'être une certitude) contredit frontalement la pensée des Églises orientales (qu'elles soient catholiques ou orthodoxes), pour lesquelles il est ''évident'' que le ministre du mariage est le ministre ordinaire des sacrements, à savoir l'évêque ou le prêtre. (...)

1. L'opinion commune en Occident: les époux sont quasi-ministres du mariage.

Il faut préciser d'emblée qu'il s'agit d'une opinion, assez commune il est vrai, mais qui a toujours été librement discutée depuis qu'elle a été formulée. [On considère généralement que c'est Duns Scott qui l'a formulée pour la première fois clairement...]. (...)

La première chose qu'il nous semble important de souligner est que la thèse voulant que les époux soient les ministres de leur mariage est une opinion, non une vérité doctrinale. Opinion respectable certes - elle a pour elle de bons auteurs avec des arguments sérieux - mais une opinion seulement. [Parmi ces auteurs citons Edward Schillebeeckx, Le mariage est un sacrement, Paris, 1961...].

L'autre position, celle qui préfère dire que c'est le prêtre qui est le ministre du mariage, est tout aussi respectable; elle a pour elle également de bons auteurs avec des arguments pertinents, et peut-être un certain ''plus'' que nous préciserons. [Parmi ces auteurs citons Melchior Cano, De Locis...; de nos jours cette thèse a été ''revitalisée'' par E. Corecco, Il sacerdote ministro del matrimonio?].

C'est dire que dans l'enseignement catéchétique comme dans l'homilétique, il ne faut pas présenter l'une ou l'autre opinion comme une certitude. [On s'inspirera avec profit de la prudence du Catéchisme de l'Église catholique à cet effet qui se borne à mentionner que la thèse des époux ministres est une opinion de l'Église latine, et qu'il est certain que dans l'Église orientale c'est le prêtre...].

Nous précisons cela parce qu'une petite enquête à laquelle nous avons procédé auprès d'époux, de théologiens, de pasteurs (y compris quelques évêques...) nous a révélé que l'opinion selon laquelle les époux seraient ministres tendrait à devenir une certitude théologique, voire doctrinale, ce qui est objectivement exagéré. [Les aléas de la traduction française des rituels latins après la réforme liturgique de Vatican II a pu favoriser ce fait...]

Il faut savoir dire: ''je ne sais pas avec certitude'', et plus généralement ''l'Église cherche encore''.

Les grands scolastiques, dont saint Thomas, qui tiennent bien le lien inséparable entre le contrat matrimonial et le sacrement, n'ont jamais enseigné pour autant que les époux étaient les ministres; ils restent silencieux sur cette question, et cette prudence doit nous servir d'exemple.

Plus encore, du côté du Magistère on observe une même réserve. Au concile de Florence, le Décret pour les Arméniens mentionne les sept sacrements en précisant le ministre de chacun, sauf pour le mariage pour lequel il ne dit rien d'autre que les époux sont la ''cause efficiente du mariage'' par leur consentement. Il est clair que dans ce contexte et avec cette terminologie très scolastique, dire ''cause efficiente'' c'est ne pas vouloir dire ''ministre''. Le concile de Trente ne dit rien sur le sujet, pas plus que Vatican II. Le Nouveau Code de Droit canonique ne dit rien non plus. Le magistère de Jean-Paul II est tout aussi réservé. [Le fait est d'autant plus notable que les travaux préparatoires du Synode romain sur la famille qui devaient aboutir à l'Exhortation Apostolique Familiaris consortio auraient voulu que les époux furent clairement reconnus comme ministres. Le document pontifical se garde bien de le dire, alors qu'il développe assez largement le ''ministère'' des époux dans la vie de l'Église domestique qu'est la famille].

Pour être honnête, il faut cependant relever deux documents de Pie XII que l'on pourrait invoquer. Il s'agit en premier lieu d'un discours à de jeunes mariés en 1941:


''Dans le mariage, quel est l'instrument de Dieu qui a produit la grâce dans vos âmes? Est-ce le prêtre peut-être qui vous a bénis et unis dans le mariage? Non (...). Le prêtre n'est qu'un témoin qualifié, le représentant de l'Église, et ne fait que présider les cérémonies religieuses qui accompagnent le contrat matrimonial. C'est vous-mêmes qui, en présence du prêtre, avez été constitués par Dieu ses ministres du sacrement du mariage.''



Il est clairement dit et répété ici que les époux sont les ministres du sacrement. Mais nous savons que toutes les paroles du Pape n'ont pas la même valeur. Il faut faire application ici des règles les plus classiques d'interprétation. Relevons seulement les principales: cette mention est isolée, et nous savons que ce qui fait l'autorité d'un enseignement ordinaire est sa constance et sa clarté. Nous sommes ici au contraire en présence d'un ''hapax''. D'autre part, ce discours n'a aucune solennité, ne traduit aucune intention de dirimer un débat (or le débat existe bien), et l'on ne saurait le mettre sur le même pied que des mentions solennelles conciliaires ou pontificales. Or la doctrine du mariage a fait l'objet de bien des encycliques et de bien des décisions conciliaires qui, par leur silence conscient sur le sujet, enseignent plus fortement qu'un simple discours de circonstance.

Nous ne nions nullement que le Pape puisse un jour enseigner que les époux sont les ministres de leur mariage, mais s'il le fait, compte tenu de la complexité de la question, il le fera dans un texte dont le fond et la forme seront à la hauteur de l'importance du sujet. Or cela n'est pas encore advenu.

On sollicite aussi Pie XII pour un autre texte, tiré de l'encyclique Mystici Corporis:


''Par le mariage, où les époux sont l'un pour l'autre les ministres de la grâce, le Seigneur a procuré l'accroissement extérieur et ordonné la communauté chrétienne.''



L'expression utilisée ''ministres de la grâce'' peut s'entendre en deux sens. Soit dans le sens de ''ministres du don de la grâce'', c'est-à-dire du sacrement, soit dans le sens de ''ministres de la vie de la grâce'', c'est-à-dire que les époux sont acteurs de la vie conjugale et familiale qui découle du sacrement. Ce second sens est bien connu de la tradition. (...) C'est ce second sens qui nous semble être celui de l'encyclique (...).

La question revient à ceci: si le rite essentiel du mariage est exclusivement l'échange des consentements, il est clair que les époux sont ministres du sacrement, et il est tout aussi certain que le prêtre n'est qu'un témoin qualifié. Mais ceci serait assurément une nouveauté qui trancherait sur l'extrême réserve de tous les documents magistériels. Notons aussi que l'opinion inverse qui fait du prêtre le ministre du mariage n'a jamais été réprouvée; elle peut être tenue sans aucune infidélité, des papes l'ont admises comme docteurs privés. [Ainsi Benoît XIV (1740-1758) qui reprend la thèse de M. Cano (''Opinion très probable'' dit-il).]

En un mot, la question n'est pas mûre pour être tranchée dans l'Église catholique, et le moins que l'on puisse faire est d'inviter les uns et les autres à ne pas présenter comme certain ce qui n'est qu'une opinion.

Mais c'est là qu'intervient notre souci d'une théologie catholique oecuménique. Interrogeons par conséquent nos frères orientaux.

2. L'opinion commune en Orient: le prêtre, seul ministre.

(...)

a. L'époque des Pères

Bien que nous mentionnons les Pères dans le cadre de la tradition orientale, nous ne voulons pas omettre de rappeler que cet héritage est un bien commun à toute l'Église, qu'il s'impose par conséquent à la considération attentive de l'Église catholique.

La tradition patristique, pour le sujet qui nous occupe, est ferme, constante, unanime et clairement signifiée par la liturgie: le prêtre est le ministre du mariage; le rite sacerdotal est le couronnement des époux et la bénédiction nuptiale.

Pour ne prendre qu'un exemple, citons s. Jean Chrysostome:


''Ce que les époux de Cana ont fait, que ceux qui prennent femme maintenant le fassent aussi: qu'ils aient entre eux le Christ. Comment cela peut-il se faire? Par les prêtres eux-mêmes, car le «Christ leur a dit: Celui qui vous reçoit me reçoit.''



Plus encore:


''Il faut que tu appelles les prêtres, il faut que des prières et des bénédictions resserrent les liens afin que l'amour des époux en soit augmenté, et que l'homme et la femme soient joints l'un à l'autre par une action de Dieu.''



b) la période classique

La période classique est marquée par nombre de théologiens, parmi lesquels certains ont envisagé explicitement la possibilité pour les époux d'être les ministres de leur mariage. (...) Il est clair que cette réflexion est née de l'influence de la théologie latine qui privilégiait nettement l'aspect contractuel du mariage. Mais l'unanimité est loin d'être réalisée. (...)

c) l'époque contemporaine

Dans le courant du XIXe siècle, la théologie orthodoxe est revenue, semble-t-il, à un accord plus unanime: le prêtre est le ministre du mariage. Nous citons à titre d'exemple P.N. Trembelas:


''Sur ce point, nous nous séparons complètement de l'Église catholique romaine qui, comme signe visible et forme du sacrement du mariage n'admet que le seul acquiescement mutuel des époux; elle les considère comme ministres du sacrement.''



La difficulté oecuménique est là. Relevons que ce que les orthodoxes considèrent comme une position déterminée de l'Église catholique romaine n'est qu'une opinion, légitime certes, mais une opinion seulement.

Et puisque nous sommes dans la tradition orientale, il nous faut mentionner, à titre d'exemple, la position des catholiques orientaux. Pour faire bref, on peut se limiter au Nouveau Code de droit canonique des Églises orientales unies. Celui-ci mentionne au canon 828:


''Sont valides seulement les mariages qui sont célébrés selon le rite sacré devant le hiérarque local, ou le curé du lieu ou un prêtre auquel il a été concédé la faculté de bénir le mariage, et en présence d'au moins deux témoins, selon les prescriptions des canons qui suivent (...)''



L'alinéa 2 de ce canon ajoute de façon très précise:


''Ce rite est réputé sacré par l'intervention même du prêtre qui assiste et bénit.''



La formulation est intéressante. Le rite est sacré, c'est-à-dire dans notre contexte sacramentel par l'intervention du prêtre devant lequel les consentements sont échangés et qui personnellement bénit. Il y a comme une disposition ''passive'' du prêtre (il assiste à l'échange des consentements) et une disposition active (il bénit), cette intervention en ces deux formes conférant au mariage sa sacramentalité. Nous avons là, semble-t-il, une base intéressante.

(...)

Il y a une autre raison qui a joué pour que l'opinion des époux-ministres se soit répandue. Elle touche la nature du sacerdoce des époux. On a dit que les époux étaient ministres de leur mariage en raison de leur sacerdoce baptismal. Cette raison est la plus mauvaise que l'on peut avancer pour soutenir cette opinion. En effet, le sacerdoce baptismal n'est pas un sacerdoce ministériel, il lui est essentiellement différent (cf. Lumen Gentium n. 10). (...) Le sacerdoce baptismal des époux s'exerce dans et par toute la vie du couple et de la famille (...). Le sacerdoce sponsal et parental repose bien sur la grâce particulière du mariage, mais cela ne veut pas dire que les époux sont les ministres de leur propre mariage, ce sont deux choses formellement différentes, car le sacerdoce qui transmet la grâce propre d'un sacrement, c'est le sacerdoce ministériel. (...)

Source
http://www.leforumcatholique.org/message.php?num=832422