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Le silence du Canon ( de la Messe)
par Diafoirus 2017-05-29 10:10:41
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Le Cardinal Sarah a écrit dans son dernier livre:
Le silence est l’étoffe dans laquelle devraient être taillées toutes nos liturgies. Rien dans ces dernières ne devrait rompre l’atmosphère silencieuse qui est son climat naturel.

Je vous fais profiter de mes lectures récentes.Voici un texte propre à nous faire comprendre un des aspects du silence dans la Liturgie

Le silence du Canon

Bernanos écrivait que le monde moderne est une conspiration voulue et organisée contre toute espèce de vie intérieure. Il est vrai qu'il est particulièrement difficile, chacun peut en faire l'expérience, de ne pas être presque constamment sollicité par ce monde qui nous entoure. Affiches publicitaires, bruits de toutes sortes ; que vous soyez chez le dentiste, dans un magasin ou dans un grand parking, il faut toujours qu'il y ait une télévision ou une radio allumée ; « un bruit de fond ». Comment dans ses conditions arriver un tant soit peu à se « recueillir » et à écouter Celui qui vient frapper, selon l'ex- pression de l’Écriture, à la porte de notre cœur ? Ce bruit ambiant est devenu tellement familier que le silence devient pour beau- coup presque insupportable. Parmi les fidèles assistants pour une première fois à la Messe selon le Missel traditionnel, vous en trouverez certains, mystère de la grâce, qui seront tout de suite conquis et comme happés par le caractère sacré des saintes Cérémonies se déroulant sous leurs yeux. D'autres par contre seront déconcertés.Certes, cette liturgie est belle et digne diront-ils sans problème. Mais pourquoi ce silence pendant le Canon ? Ces quelques minutes leurs sembleront si longues... et parfois si vides. Aussi il est bon de donner quelques commentaires à ce sujet.

Il est vrai qu'historiquement, le Canon commença par être récité à voix haute dans les premiers siècles et qu'il fut même parfois chanté. Il semble toutefois que, dès avant le VIe siècle, soit apparu en certains endroits l'usage de réciter le canon à voix basse. Si le Cardinal Bona dans ces études pense que l'usage « commun » du canon à voix basse date du XIe siècle, Benoît XIV lui, l'estime beaucoup plus ancien et l'explique par cette discipline de l'« arcane », en usage dans les premiers siècles, qui consistait à garder secret, au moins chez les non-initiés, pour ne pas les exposer à être moqués, les mystères de notre Foi. Dom Vandeur, dans La Sainte Messe, notes sur la liturgie, écrit : on ne peut nier qu'au IIe siècle, le célébrant disait à haute voix la prière eucharistique. Au Ve siècle, à l'époque du Pape Innocent I (401-417), il apparaît que l'usage contraire est déjà de règle à Rome.

Au VIe siècle, il était en vigueur en Orient puisque l'Empereur Justinien, en 565, ordonne aux évêques et aux prêtres de faire la divine oblation... de manière à se faire entendre du peuple fidèle. Il y a donc réaction.

C'est à cette époque qu'apparaissent les courtines entourant l'autel des basiliques, du Ciborium ou baldaquin qui le surplombe, preuve manifeste du secret dont on entoure le mystère sacro-saint... Il est certain qu'au IXe siècle, le canon, en Occident et dans la liturgie romano-carolingienne, ne se dit plus qu'à voix basse. La raison générale qu'en donne les anciens liturgistes est la crainte que les paroles d'un si grand mystère viennent à s'avilir et que le peuple n'en conserve plus assez le respect. Le St Concile de Trente excommunie quiconque dit que le rite de l'Eglise Romaine, par lequel on prononce à voix basse une partie du canon et les paroles de la Consécration, est condamnable.

Si certains virent (peut-être avec raison) dans la récitation du Canon en silence une mesure au départ pratique permettant au prêtre de ne pas attendre la fin du Sanctus chanté pour commencer la prière du Canon, la plupart des commentateurs du Moyen Age y virent eux une raison toute symbolique. St Thomas d'Aquin parle lui-même dans sa Somme théologique (IIIa, q83, a4, ad5) des prières appartenant au peuple, de celles propres aux ministres et de celles enfin réservées au seul prêtre, comme l'oblation et la consécration. Et c'est pourquoi, dit-il, celles-ci sont dites en secret. Mais St Thomas remarque pour autant que les fidèles sont toutefois invités à s'associer aux prières du prêtre, tant par le Dominus Vobiscum (et l'Orate Fratres) d'avant la préface auquel ils sont
invités à répondre, que par le Per omnia saecula saeculorum de la fin du Canon qui demande ici, en quelques sortes, l'assentiment des fidèles par leur Amen et leur permet de faire ainsi leurs les prières du prêtre. Le Père Lebrun, au XVIII e siècle, dans son Explication de la Sainte Messe, écrit qu'on a toujours fait cette réponse avec ardeur ; et St Jérôme nous dit qu'on entendait cet Amen retentir de toutes parts dans les églises comme un tonnerre. Les fidèles donnent par là leur consentement à tout ce que le prêtre vient de demander à Dieu en secret ; et ils doivent bien être persuadés, dit Théodoret, qu'en répondant Amen, ils participent aux prières que le prêtre a fait seul.

Pius Parsch écrivait lui plus récemment que l'Église s'enferme dans le silence pour exprimer le mystère de l'acte sacrificiel. Il faut bien comprendre que cette prière du canon est celle que l'on appelait la Grande Prière. La préface achevée, écrivait Dom Guéranger, le Sanctus résonne, alors le prêtre entre dans le nuage. On ne l'entendra plus que lorsque la grande prière sera finie...
C'est ce qu'on peut appeler par excellence la messe. Nous sommes ici dans le domaine proprement sacerdotal auquel les fidèles ne peuvent (et c'est le privilège de leur caractère baptismal de leur permettre cela) « que » s'associer. Jungmann, dans son explication de la Messe romaine (Missarum Solemnia) écrit : « Nous voici au moment où le prêtre pénètre seul dans le sanctuaire. Jusqu'ici se pressait autour de lui la foule du peuple, l'accompagnant de ses chants, surtout pendant l'avant-messe. Puis, les chants se sont faits plus rares et, la grande Prière ayant pris un essor vigoureux, après le Sanctus, ils se taisent. Il règne un silence sacré ; le silence est une digne préparation à l'approche de Dieu. Semblable au grand-prêtre de l'ancienne alliance, qui seul avait le droit, une fois l'an, de pénétrer avec le sang des victimes dans le saint des saints (Hb 9, 7), le célébrant se détache maintenant du peuple et s'avance vers le Dieu de Sainteté pour lui offrir seul le sacrifice ».

Comprenons donc bien que ce silence est mesure d'intériorité, de sacré et qu'il est pour nous un moyen privilégié de rentrer au cœur de ce mystère de la Messe. Que naisse en nous l'estime du silence, cette admirable et indispensable condition de l'esprit, disait le Pape Paul VI. Même lues à haute voix, ces prières toutes divines, ayant un pouvoir que n'ont même pas les anges, pourraient-elles être jamais comprises à leur juste valeur ?

N'est-ce pas un peu les vulgariser, et vulgariser ce mystère que de les exposer à nos incompréhensions ? Il est des moments où le silence est plus éloquent que n'importe quelle parole. Cette récitation à voix haute peut aussi parfois empêcher, par l'attention portée forcément sur les paroles (d'autant plus qu'elles sont dites dorénavant sur un ton narratif), au recueillement quant au Mystère qui s'accomplit ; paroles du Canon risquant même de devenir pour certains un écran empêchant de pénétrer le Mystère. Le Pape Pie XII ne remarquait-il pas dans son Encyclique Mediator Dei sur la liturgie qu'un bon nombre des chrétiens, en effet, ne peuvent se servir du Missel romain, même s'il est écrit en langue vulgaire, et tous ne sont pas aptes à comprendre correctement, comme il convient, les rites et les formules liturgiques. Le tempérament, le caractère et l'esprit des hommes sont si variés et si différents que tous ne peuvent pas être conduits et dirigés de la même manière par des prières, des cantiques et des actes communs.

L'adoration, dont le Catéchisme de l’Église Catholique nous dit qu'elle est le prosternement de l'esprit devant le Roi de Gloire et le silence respectueux face au Dieu toujours plus grand, ne demande-t-elle pas, à ce moment suprême, ce silence respectueux ?
Mgr Bugnini qui travailla lui aussi activement à cette réforme liturgique raconte dans son livre (La Réforme de la liturgie) l'évolution de notre grande prière : on commença dans la pratique la récitation du Canon à voix haute (pour ne pas « priver » les fidèles du cœur de la Messe) ; puis, comme cette prière était dite à voix haute... autant valait-il mieux qu'elle soit intelligible, et donc dite en langue vernaculaire. Mais comme le style très ancien du Canon n'est pas si aisé et si « adapté », alors le mieux fut de procéder à de nouvelles prières eucharistiques plus au goût du jour.
S'il faut, il est vrai, s'efforcer de toujours mieux pénétrer les mystères sacrés et mieux y participer selon la volonté des Papes, nous devons comprendre comme le rappelait Pie XII dans son encyclique Mediator Dei, que la principale participation des fidèles au Saint Sacrifice de la Messe consiste à s'offrir avec la divine Victime, de se laisser présenter par le prêtre dans sa patène au moment de l'offertoire. La Ste Messe est une œuvre divine.

Comme les apôtres qui demandaient jadis à Jésus de leurs apprendre à prier, demandons nous aussi à Dieu, à la Ste Vierge, de nous apprendre a assister et à toujours mieux participer au Saint Sacrifice. Présente au pied de la Croix, elle est encore au pied de l'autel à chaque Messe ; demandons à nos anges gardiens également, eux aussi présents autour de l'autel de nous apprendre à nous associer à leurs louanges.
C'est dans ce silence insupportable à l'homme extérieur, nous dit le Catéchisme de l'Église Catholique, que le Père nous dit son Verbe incarné, souffrant, mort et ressuscité, et que l'Esprit filial nous fait participer à la prière de Jésus.

Terminons par ces mots du livre de la Sagesse dont l’Église se sert pour l'Introït de la Messe du dimanche dans l'octave de Noël, à propos de la venue du fils de Dieu sur terre : « Dum medium silentium tenerent omnia et nox in suo cursu medium iter haberet omnipotens sermo tuus Domine, de caelis a regalibus sedibus venit. » Tandis que toutes choses tenaient le plus profond silence et que la nuit atteignait, dans sa course le milieu de sa route, votre Parole toute puissante Seigneur, s'élança de son trône royal des cieux...

« Le silence est consommation de l'œuvre de louange » Dom Delatte

Abbé Hubert Bizard
Fraternité Saint Pierre

Liturgie in Le Baptistère n°16 Aout Septembre 2005

     

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