si je vous ai bien compris, cher Scrutator, et résume fidèlement votre pensée.


D'accord pour qualifier de "post-moderne" un changement de méthode d'appropriation du savoir, encore que je ne voie pas l'intérêt de se situer hors de son temps en employant ce qualificatif intellectualiste. Quant au changement de stéréotypes, il a commencé, d'une certaine façon, avec le Dictionnaire des idées reçues de Flaubert, qui voulait moins les détruire que les répertorier et ironiser à leur propos. Mais je crois qu'il faut entrer dans le détail:


-L'abandon de l'érudition, de la scolastique ou de l'esprit de synthèse épouse certes "l'adolescentisme" de nos générations du divorce et des familles recomposées, mais est consécutif au siècle des Lumières, qui s'est posé commme le siècle de la raison et a davantaage été celui de l'entendement (cf. l'abbé de Condillac et l'importance qu'il donnait aux sensations dans l'origine des connaissances).

Seulement cette substitution de l'entendement à la raison a aussi obéi à une grande lassitude que me résumait un prêtre se préparant à dire sa messe: pendant le premier millénaire, celui de la patristique, l'Église a été un lieu de spiritualité; pendant le second millénaire, celui de la scolastique, elle est devenue une école, ce qui a stérilisé, non pas la foi, mais les fidèles.

À cela s'ajoute cette considération de Michelet dans Le peuple, que cette métaphysique sublime qui était portée par l'Église catholique (ne pas être explicitement chrétien ne l'empêchait pas de l'admirer et même de vouloir la continuer pour avérer son rêve de fraternité universelle, pour mettre en oeuvre des idées chrétiennes devenues folles?) n'était pas à la disposition du peuple, de sorte que l'Église disposait d'un trésor dont les gardiens du temple étaient les clercs. Or quelle que soit la réhabilitation du Moyen-Age à laquelle on a procédé depuis Michelet, on ne peut nier que l'éducation n'était pas la priorité de cette époque et que la métaphysique chrétienne des paysans était beaucoup plus latente que patente.


-La démocratie est passée de la lutte des classes à la lutte des minorités (vous y allez un peu fort quand vous parlez de "despotisme des minorités").

À cela je vois deux raisons:

la Révolution était d'origine bourgeoise, et le marxisme lui-même s'est toujours affirmé comme une conquête de la bourgeoisie en faveur du prolétariat qui devait la remplacer.

En outre, le social libéralisme a remplacé la sociale démocratie. La bourgeoisie qui a perdu toutes ses valeurs s'est endormie sur ses intérêts.


-Par conséquent, la distinction passé-avenir ou conservation-progrès me paraît relativement dépassée. Qui croit encore sérieusement au progrès?


-La distinction vrai-faux a été utilement remplacée par la volonté de s'ajuster. Car, pour parodier la phrase qu'on attribue (ou que j'attribue par erreur) à Madame Rolland, je crois que l'on peut dire: "vérité, que de crimes on [a commis] en ton nom!"


En revanche, "la psychiatrisation du contradicteur potentiel" est un des traits saillants du débat pseudo-démocratique organisé entre ceux qui pratiquent sans le savoir le postulat de Ballanche, qui est la négation même de la démocratie ("On ne discute bien que si l'on est d'accord", et qui s'accordent, je vous en donne acte, sur la déconstruction des stéréotypes, c'est-à-dire pour, non pas vivre par-delà (car ces gens ont une éthique), mais briser les frontières du bien et du mal, et pour transgresser plutôt que pour progresser.

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