Introduction
VINCENT : (...) Aussi me semble-t-il que Dieu m'ordonne de vous demander, mon cher oncle, de me donner dès maintenant tous les conseils et toutes les pensées réconfortantes dont nous aurons besoin, les miens et moi-même, pour lutter contre les assauts du désespoir dont nous souffrons déjà et souffrirons davantage encore avec la peur du Turc (2). Ainsi pourrai-je, me souvenant de vos bonnes paroles, diriger convenablement notre barque et nous garder d'un naufrage spirituel.
Vous n'ignorez pas, mon cher oncle, quels malheurs déjà se sont abattus sur nous, malheurs qui ont plongé quelques-uns d'entre nous dans de tels abîmes de tristesse que je ne puis trouver les mots qui les réconforteraient. Et maintenant, depuis que ces nouvelles récentes nous sont parvenues, et que nous savons notre pays menacé par les Turcs, nous ne pouvons plus penser qu'aux dangers qui nous attendent. Nous sommes obsédés par des images terribles : la grande puissance de nos ennemis, leur profonde malice, leur haine, leur cruauté sans égale, les vols, les incendies, les ravages que sème leur armée partout où elle passe : ils tuent, ils emmènent les gens loin de chez eux, séparent les couples et les familles, envoient les uns en esclavage, jettent les autres en prison, en conservent aussi pour les faire méchamment figurer dans quelque triomphe et les faire ensuite égorger en la présence du Grand Turc.
Ceux qui auront été épargnés perdront tous leurs biens ou seront perdus eux-mêmes à moins qu'ils ne renient le Christ, notre Sauveur, pour passer à la fausse religion de Mahomet. Pourtant, et ceci est le plus affreux, nombreux sont ceux qui, vivant parmi nous, s'apprêtent déjà à se soumettre à l'adversaire, ou lui sont déjà alliés. Cela épargnera peut-être à notre région l'invasion turque, mais ceux qui s'inclineront devant leur loi ne laisseront rien à leurs voisins ; ils se feront donner nos biens et nos corps, à moins que nous n'agissions comme eux et ne reniions également notre Sauveur. Nul Turc, en effet, n'est aussi cruel envers un chrétien, que ne l'est un chrétien qui a renié sa foi. C'est pourquoi, si nous persévérons dans la foi, nous courrons le danger d'être traités plus sauvagement encore et de mourir d'une mort plus cruelle que si nous avions été emmenés en Turquie. Toutes ces menaces pèsent d'autant plus sur nos cœurs que nous ignorons laquelle se réalisera pour nous et que beaucoup d'entre nous souhaitent dès maintenant que les montagnes les engloutissent, que la terre se fende et les accueille en son sein.
Mon cher oncle, pendant que Dieu vous laisse encore à nous, donnez-nous de bons conseils, que je mettrai par écrit et conserverai afin qu'ils nous aident à supporter les terribles frayeurs qui, comme vous le savez, ont déjà accablé notre maison et continuent à la menacer. (...)
Source : livres-mystiques.com
Que Jésus Miséricordieux vous bénisse
ami de la Miséricorde