Messages récents | Retour à la liste des messages | Rechercher
Afficher la discussion

L'évêque, l'historienne et les références bibliographiques
par Peregrinus 2017-04-30 20:26:41
Imprimer Imprimer

Lorsque dans Le diocèse d'Orléans au milieu du XIXe siècle (1), Christianne Marcilhacy, dont les travaux sont encore régulièrement cités, examine la "part de l'histoire" dans le phénomène de déchristianisation rurale qui affecte l'Orléanais, elle s'efforce de découvrir les premiers signes de désaffection des populations à l'endroit du culte catholique, et particulièrement des sacrements, dans la situation du diocèse d'Orléans au XVIIIe siècle. Le modèle est assez simple : les luttes entre jansénistes et antijansénistes, la négligence du clergé, les scandales donnés par les évêques, tout particulièrement par Mgr de Jarente de La Bruyère (1758-1788) et par son neveu et successeur Mgr de Jarente d'Orgeval (1788-1793), ont livré à elles-mêmes les populations, à peine catéchisées et de plus en plus éloignées des sacrements.

Il ne s'agit pas de remettre en cause le modèle proposé par C. Marcilhacy, même si la thèse récente de Gaël Rideau (2) a fortement nuancé l'imprégnation janséniste des milieux dévots urbains, mais d'attirer l'attention sur quelques procédés aussi étranges que regrettables dans l'usage que fait l'auteur de la référence ; procédés qui malheureusement ne lui sont probablement pas propres, ce qui est la raison qui m'a déterminé à rédiger ce message.

Voici comment C. Marcilhacy évoque la figure de Mgr de Jarente de La Bruyère :

Le successeur de Mgr de Montmorency-Laval est Mgr de Jarente de la Bruyère, qui classe l'affaire du jansénisme, mais mène une vie de libertin, passe pour l'amant de la Guimard et de quelques autres, fait tant et si bien qu'il est exilé de son diocèse en 1771, pour une année, assez joyeusement passée au Mans (3).


Les connaissances de l'auteur (spécialiste du XIXe siècle) sur le XVIIIe siècle sont largement de seconde main, ce qui n'a en soi rien de scandaleux. C. Marcilhacy cite donc les travaux d'un prêtre érudit local, l'abbé Paul Guillaume (4), qui constituent la seule et unique référence pour l'éloquent passage cité. On peut donc penser légitimement qu'elle ne fait que répéter ou résumer ce qu'a écrit l'abbé Guillaume.

Or il suffit de consulter les travaux de ce dernier pour s'apercevoir que le résumé qui en est fait est fortement biaisé.
En effet, l'abbé Guillaume, à tort ou à raison, déclare quant à lui (5) qu'une liaison entre l'évêque et la Guimard est très improbable et relève avant tout de bruits répandus contre lui par ses ennemis. Certes, C. Marcilhacy écrit qu'il "passe pour l'amant de la Guimard", ce qui pourrait ressembler à une précaution : mais elle vient alors tout juste d'affirmer que Mgr de Jarente mène une "vie de libertin", ce qui oriente fortement l'interprétation de son propos.
Or justement, l'abbé Guillaume estime quant à lui (6) que l'évêque a mené certes une vie mondaine, mais qu'il a su y conserver une certaine tenue et une certaine dignité. Peut-être se trompe-t-il : mais encore faudrait-il dans ce cas le signaler au lieu de prétendre s'appuyer sur lui pour affirmer le contraire de ce qu'il a écrit.

Le reste du passage est à l'avenant.

Mgr de Jarente

fait tant et si bien qu'il est exilé de son diocèse en 1771, pour une année, assez joyeusement passée au Mans.



Etant donné ce qui précède, on pourrait croire que la raison de son éloignement se trouve dans les scandales qu'il a donnés par son inconduite.
Mais Paul Guillaume, toujours seule référence mobilisée, nous dit quant à lui que c'est la disgrâce de Choiseul, dont Mgr de Jarente, ministre de la Feuille des bénéfices, était très proche, qui a provoqué son exil au Mans (7).
Quant aux termes choisis ("une année assez joyeusement passée au Mans"), ils produisent l'effet d'une litote et donnent à penser que cette année s'est passée pour le prélat dans la licence la plus effrénée : ce que ne disent ni Paul Guillaume, ni les biographes de Mgr de Jarente qu'il cite.

Il ne s'agit pas de réhabiliter cet évêque d'Orléans, qu'on ne pourrait donner comme modèle de zèle pastoral et de gouvernement ecclésiastique. Il s'agit en revanche de mettre en évidence l'usage malhonnête qui est fait, de surcroît par une historienne catholique, des références afin de construire une image plus vraie et plus belle que nature, une sorte de caricature de la vie religieuse à la fin de l'Ancien Régime, avec ses prélats libertins et son clergé soit négligent, soit janséniste ; sans reculer pour cela devant le recours à des procédés qui ne sont pas très éloignés de la calomnie.

Peregrinus

(1) Sirey, Paris, 1964.
(2) De la religion de tous à la religion de chacun. Croire et pratiquer à Orléans au XVIIIe siècle, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2009.
(3) C. Marcilhacy, op. cit., p. 431.
(4) Essai sur la vie religieuse dans l’Orléanais de 1600 à 1789, 1957.
(5) Ibid., p. 388.
(6) Ibid., p. 390.
(7) Ibid., p. 388.

     

Soutenir le Forum Catholique dans son entretien, c'est possible. Soit à l'aide d'un virement mensuel soit par le biais d'un soutien ponctuel. Rendez-vous sur la page dédiée en cliquant ici. D'avance, merci !


  Envoyer ce message à un ami


 L'évêque, l'historienne et les références bibliographiques par Peregrinus  (2017-04-30 20:26:41)
      dont acte mais ... par Luc Perrin  (2017-05-01 16:09:50)


155 liseurs actuellement sur le forum
[Valid RSS]