Voici ce que Leonardo Boff disait en 2013, suite à la démission de Benoît XVI :
Un article publié par Le Monde :
Leonardo Boff : "Benoît XVI a été un éminent théologien, mais un pape qui a déçu"
Un des chefs de file de la théologie de la libération dans les années 1970 et 1980 au Brésil, Leonardo Boff réagit à l'annonce de la renonciation du pape Benoît XVI.
23/05/2013
"Leonardo Boff a été l'un des chefs de file de la théologie de la libération dans les années 1970 et 1980 au Brésil. Petit-fils d'immigrants italiens, il rejoint l'ordre des franciscains en 1958, à 20 ans, et reçoit son doctorat en philosophie et théologie de l'Université de Munich en 1970. Au cours de ses années d'études, il développe une "camaraderie" avec le professeur Joseph Ratzinger. A son retour au Brésil, il entre en conflit avec le Vatican. Convoqué à Rome en 1984, il est condamné au "silence pénitentiel". En 1992, il quitte le sacerdoce. Auteur de nombreux ouvrages, il reçoit le prix Nobel alternatif en 2001.
Comment avez-vous accueilli la renonciation de Benoît XVI ?
Leonardo Boff : J'ai senti sa peine. Il est une personne extrêmement intelligente mais très timide. Je m'imaginais les efforts qu'il devait faire en tant que pape pour saluer le peuple et embrasser les gens. J'étais sûr qu'un jour il profiterait d'une occasion, comme les limites physiques ou un affaiblissement de la vigueur mentale, pour démissionner. Bien qu'il s'agisse d'un pape autoritaire, il n'était pas attaché à la charge de sa fonction.
Il a été votre inquisiteur après avoir été votre ami : comment avez-vous vécu cette situation ?
Quand il a été nommé, en 1981, président de la Congrégation pour la doctrine de la foi, j'ai été très heureux. Je pensais alors que nous allions enfin avoir un théologien à la tête d'une institution dont la réputation était des plus mauvaises. Je l'ai félicité.
Quinze jours après, dans sa lettre de remerciement, il m'écrit qu'il y avait plusieurs questions me concernant et que nous devions les résoudre rapidement. Rome demandait des précisions sur pratiquement chacun des livres que j'avais publiés sous prétexte que ma théologie pouvait heurter les fidèles. J'ai eu du mal à comprendre au début.
J'ai comparé son attitude avec d'autres personnes et trajectoires avant d'arriver à la conclusion qu'il avait été contaminé par une sorte de "virus romain" qui semble atteindre tous ceux qui travaillent au Vatican. Alors, oui, j'ai été surpris et vraiment déçu.
Un "virus" ?
J'ai connu tant d'exemples de théologiens progressistes devenus conservateurs et défenseurs de la raison d'Etat après à peine un an passé à Rome. Cela doit venir du fait que l'Eglise est très grande, complexe et qu'elle a besoin d'ordre et de discipline. Il apparaît que Rome transforme les êtres qui y vivent en défenseurs d'un système mis en place depuis des siècles.
Un système qui a peur ?
Le prétexte a toujours été la peur du marxisme. Contre moi et, de façon plus générale, à chaque fois qu'une demande de changement social en faveur des pauvres surgissait, alors les oligarques et les cardinaux conservateurs agitaient le spectre d'un discours marxiste.
C'est en suivant cette logique que le cardinal Ratzinger a réduit au silence, destitué ou transféré plus d'une centaine de théologiens proches du peuple.
Comment évaluez-vous le pontificat de Benoît XVI ?
Benoît XVI a été un éminent théologien, mais un pape qui a déçu et échoué. Malheureusement, il va être stigmatisé comme le pape d'une mandature pendant laquelle les pédophiles ont fait des ravages, les homosexuels n'ont obtenu aucune reconnaissance et les femmes ont été humiliées en raison du refus de leur ordination.
Par ailleurs, nous savons aujourd'hui, par l'affaire VatiLeaks, qu'au sein de la Curie romaine se déroule une bataille acharnée pour le pouvoir entre l'actuel secrétaire d'Etat Tarcisio Bertone et l'ex-secrétaire Angelo Sodano. Le scandale des documents secrets issus du bureau du pape et l'affaire de la Banque du Vatican ont également beaucoup secoué le pape. Ces crises internes l'ont affaibli et fragilisé.
Sa décision ouvre un espace pour une réforme du Vatican ?
Sa renonciation est l'acte de désespoir d'un pape qui ne peut plus contrôler la Curie et diriger l'Eglise. C'est un geste symbolique qui signifie que même un pape ne peut pas tout faire. Sa décision est également un message à la Curie qui, après ces scandales qui ont affaibli le pouvoir du pape, doit elle-même être réformée.
Quel sens donnez-vous à cette renonciation ?
La renonciation a retiré l'aura sacrée qui entoure la figure du pape. C'est un grand héritage que Benoît XVI laisse à l'Eglise, un des points positifs qu'il lègue et qui pourrait pousser d'autres papes à faire la même chose.
Quel serait le profil idéal du futur pape ?
Nous avons besoin d'un pape qui soit davantage un curé qu'un professeur. Un représentant de Jésus capable de dire : "Si quelqu'un vient vers moi, je ne le renverrai pas" (Evangile de Jean 6.37), qu'il soit un homosexuel, une prostituée ou un transsexuel.
Le pape doit être proche de tous. Il ne doit pas être un homme de certitude, mais doit inciter à chercher les meilleurs chemins. Il est guidé par l'Evangile, mais sans esprit de prosélytisme. Enfin, il doit être d'une grande bonté, dans le style du pape Jean XXIII.
Qu'est-ce qu'un curé aujourd'hui ?
Quelqu'un qui place l'individu avant la doctrine, la rencontre personnelle avant le jugement moral. Nous avons besoin d'un pape qui connaît la pratique du terrain, le contact avec les gens et non d'un théoricien ou d'un moralisateur.
L'hémorragie des fidèles doit-elle inciter l'Eglise à se réformer ?
Elle peut garder ses convictions comme sur l'avortement ou la non-manipulation de la vie. Mais elle devra renoncer aux statuts d'exclusivité et ne plus faire comme si elle était la seule gardienne de la vérité.
L'Eglise doit entendre d'autres voix, devenir plus humble et ne plus avoir peur. Ce qui s'oppose à la foi, ce n'est pas l'athéisme, mais la peur."
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