CHAPITRE XXXI Des artifices qu’emploie le démon pour nous faire quitter le chemin de la vertu
(...) Si vous agissez autrement, vous tomberez dans des maux plus grands encore, parce que vous vous abandonnerez facilement à l’impatience si l’événement ne répond pas à votre désir et à votre attente ; votre patience, du moins, sera moins parfaite et moins agréable à Dieu, et partant, peu méritoire. Je veux enfin vous prémunir contre un artifice secret dont notre amour-propre se sert en certaines rencontres pour voiler et excuser nos défauts. C’est ainsi, par exemple, qu’un malade qui ne supporte son infirmité qu’à contre-cœur, cache son impatience sous le voile d’un zèle ardent pour le bien. À l’entendre, le mécontentement qu’il témoigne ; ce n’est que le juste déplaisir qu’il éprouve en songeant qu’il a été lui-même la cause de sa maladie, et en voyant les ennuis et le dommage qu’elle occasionne aux autres par les soins qu’elle exige ou pour tout autre motif. De même l’ambitieux qui se plaint de n’avoir pu obtenir la dignité qu’il convoitait, n’a garde d’attribuer son chagrin à son orgueil et à sa vanité ; mais il tâche de l’expliquer par d’autres motifs dont on sait parfaitement qu’il ne tient aucun compte quand ses intérêts ne sont à l’heure se plaignait des peines que son état occasionnait aux autres, et qui s’inquiète fort peu maintenant de voir les mêmes personnes endurer les mêmes désagréments à propos de la maladie d’un autre. C’est là un signe évident que les plaintes qu’exhalent ces personnes ne proviennent nullement de leur charité pour le prochain, mais bien de leur secrète horreur pour tout ce qui contrarie leurs désirs. Pour vous, si vous voulez éviter cet écueil et d’autres encore, supportez avec une patience inaltérable les peines et les afflictions, quelle que soit, je vous le répète, la cause qui les fait naître.
CHAPITRE XXXII Du dernier assaut du démon et de l’artifice auquel il a recours pour faire de la vertu même une occasion de ruine.
Le malin et astucieux serpent pousse la ruse jusqu’à faire servir à notre ruine les vertus mêmes que nous avons acquises. Il nous les fait regarder avec une secrète complaisance et nous élève bien haut dans notre propre estime, afin de nous faire tomber ensuite dans le vice de l’orgueil et de la vaine gloire. Pour triompher de ce péril, prenez position dans la plaine égale et assurée d’une vraie et profonde conviction de votre néant. Persuadez-vous bien que vous n’êtes rien, que vous ne pouvez rien, que vous êtes rempli de misères et de défauts, et que vous ne méritez que la damnation éternelle. Retranchez-vous dans cette vérité et gardez-vous bien, quoi qu’il arrive, de faire un seul pas hors ce cette enceinte, persuadé que les pensées ou les événements qui vous poussent à la quitter sont autant d’ennemis décidés à ne vous laisser sortir de leurs mains que mort ou grièvement blessé. Pour vous exercer à courir dans cette plaine assurée de la connaissance de votre néant, voici la méthode que vous avez à suivre. Lorsque vous jetterez les yeux sur vous-même et sur vos actions, envisagez seulement ce qui est de vous, sans y mêler ce que vous tenez de Dieu et de sa grâce, et estimez-vous tel que vous vous trouverez être par vous-même. Si vous considérez le temps qui a précédé votre naissance, vous verrez que dans cet abîme sans bornes de l’éternité vous n’avez été qu’un pur néant, incapable de rien faire pour arriver à l’existence. (...)
Source : Le Combat Spirituel de Laurent Scupoli, Edition de 1895
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