Je vous remercie beaucoup, cher John, de votre message qui appelle quelques réflexions et précisions. Et peut-être davantage après votre lecture de ce qui suit.
Votre message vient à travers mon projet de réponse à Regnum Galliae (je suis un peu lent), dont la remarque très pertinente ("il faut bien sûr apprécier le degré de certitude que l'avion ira s'écraser et tuer les 70163 personnes en jeu"), que vous reprenez aussi, a attiré mon attention sur encore un aspect de ce qui est un cas de figure fascinant en effet.
Je vais donc combiner ma réponse, en remerciant aussi R.G.
D'abord :
car "l'acte en soi" à mon avis est la destruction de l'avion. La mort inévitable des 163 passagers (et même du terroriste) est une conséquence de cet acte.
Je me demande vraiment si on peut dissocier ces aspects
nécessairement concomitants.
Dans d'autres cas d'un double effet reconnus en morale, sauf erreur de ma part, l'effet mauvais non-désiré est toujours prévisible et probable, mais ne doit pas suivre nécessairement. On prend le risque qu'il se produise, mais il pourrait aussi ne pas se produire (sans recours au miracle, qui n'entre pas en jeu pour l'appréciation morale d'un acte).
Quand un avion de guerre effectue des bombardements tactiques sur des installations militaires dans une ville ennemie, il prend le risque et prévoit que certaines bombes tomberont accidentellement sur des cibles civiles à côté, en faisant des morts et des dégâts (effet mauvais non désiré), mais ce n'est pas certain. Ces éléments sont et demeurent dissociables.
Du coup quand l'ennemi pose ses armements, de façon perfide, au milieu d'un hôpital en service, le bombardement de l'équipement militaire (licite) n'est plus dissociable de la destruction de l'hôpital (illicite). Le bombardement de ces équipements qui détruirait aussi l'hôpital, en résulterait, je crois, immoral.
Tel est le cas ici, ce me semble. Les deux éléments sont infailliblement liés : il est absolument sûr que tous les passagers innocents seront tués si l'on abat l'avion civil. Il est impossible qu'il en soit autrement.
Car cet avion n'est pas un "projectile mortel" (R.G.) en soi ; il ne l'est devenu que par accident. C'est un avion civil détourné, ce n'est pas un avion militaire agissant en zone de guerre.
Or, détruire un tel avion civil, non pas sur une casse ou une cour à ferraille, mais en train de voler, n'est pas en soi un acte moralement bon ou indifférent. Encore moins s'il est plein de passagers, même s'il est vrai que le nombre de passagers ne change pas de beaucoup la moralité.
Puis, peut être plus pertinent :
Seulement qu'en réalité la mort des spectateurs ne serait guère certaine, car pour avoir le temps d'agir la trajectoire laisserait un élément de doute. Et même dans le cas du terroriste-détourneur, cet élément de doute subsisterait, rendant la mort des passagers plus immédiate que celle des spectateurs - d'où mon hésitation sur la licéité in casu de l'intervention du pilote de guerre. Pourtant vu les appréciations à faire in ictu oculi je le trouverais certainement non coupable de meurtre.
Je suis tout de suite d'accord que le jeune homme en question, s'il peut avoir agi moralement de façon mauvaise ou douteuse (comme je le crois), ne devrait pas aller en prison pour meurtre. Ainsi la question posée par la chaîne ARD (acquittement ou pas) a un peu confondu l'appréciation purement morale et les suites pénales éventuelles. Ce n'est pas nécessairement équivalent. Un juge de valeur aurait fait les distinctions nécessaires dans son verdict.
Mais nous sommes ici aussi dans la quatrième condition du
voluntarium in causa: la raison proportionnée.
L'issue n'est pas du tout certaine.
Car aucun calcul de probabilité ne permet de conclure si les dires du terroriste sont du "bluff" ou pas, et en outre l'on peut et doit supposer que le pilote de l'avion détourné, qui n'est pas le terroriste, ferait tout jusqu'à la fin pour éviter le stade de foot (supposons en effet qu'il n'est pas rempli de
monstra et ostenta, mais de
viatores) et/ou pour maîtriser (ou faire maîtriser) le terroriste
in extremis.
Dans ce cas, en fin de compte, notre jeune héros de la Luftwaffe n'aurait sauvé personne, mais bien tué 163 innocents + 1 terroriste et abattant l'avion.
En outre on se sait pas où va terminer l'avion abattu et quels dégâts il pourrait encore faire, p.ex. en survolant une zone habitée.