Bien amicalement, et bonne lecture, qui nuance votre propos, qui déforme ce qu'a dit saint Augustin, tenant si je comprends bien de l'idée que tout fut créé d'un coup, loin donc des 14,5 milliards d'années à la mode en ce moment.
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Est-ce qu'Augustin défendait une forme d'hypothèse du cadre ?
Même une lecture superficielle de l'œuvre de Saint Augustin sur les six jours de la création révèle une compréhension du mot “ jour ” différente de celle de son mentor Saint Ambroise de Milan, qui considère le jour de création comme une simple période de vingt-quatre heures. Au vu de sa position, certains ont suggéré qu'Augustin doive être rangé dans la catégorie des partisans de la “ théorie du cadre ”. Il est évident cependant que ses propos ne semblent pas du tout justifier son inclusion dans l'école des concordistes dont la théorie du cadre est une variante plus sophistiquée.
Dans La génèse au sens littéral en douze livres, (De Genesi ad litteram libri duodecim) Augustin se préoccupe en particulier des difficultés liées à la traduction dans les faits de la phrase “ Que la lumière soit ” et à la succession des jours et des nuits. Il semble surtout vouloir donner un sens à deux faits à première vue contradictoires : tout d'abord, quand Dieu parle et que la réalité physique vient à exister, elle semble apparaître en une fraction de seconde, alors que, selon la Genèse, cela se passe en six jours pour l'ensemble de l'œuvre de création.
Il propose comme solution possible la signification symbolique du six, “ nombre parfait ” (parfait parce qu'il est la somme de 1+2+3 = 6). Cela signifierait que les six jours de création expriment la perfection de Dieu, de façon à ce que ses créatures, les anges en particulier, puissent la contempler. Dans le Livre IV, il écrit :
“ L'explication la plus probable est celle-ci : les sept jours de notre temps, comme les sept jours de la création, nommés et comptés, se suivent les uns les autres et marquent la division du temps, mais ces six premiers jours arrivent sous une forme qui ne nous est pas familière. A partir de là, le soir et le matin, comme la lumière et les ténèbres, c'est-à-dire le jour et la nuit, n'ont pas produit le même changement que le mouvement du soleil tel que nous le perçevons. Nous sommes donc forcés d'admettre qu'il en est bien ainsi, en ce qui concerne les trois premiers jours, qui sont décrits et numérotés, avant la création des corps célestes. ”
La thèse d'Augustin semble être que tout a été créé en un jour (ou même en une fraction de seconde) : “ Et de cette façon nous devons nous représenter le monde, au moment où Dieu créa toutes choses ensemble, lorsque le premier jour fut créé ”,[49] et : “ Ainsi, dans tous les jours de création, il y a un seul jour, qui ne doit pas être compris dans le même sens que notre mot jour... ”[50] Mais en même temps, il maintient fermement la sextuple répétition d'un jour de création :
“ Dans ce récit de la création, l'Écriture Sainte nous dit que le Créateur acheva son œuvre en six jours, et ailleurs, sans contradiction, que le Créateur a créé toutes choses ensemble. Il s'ensuit donc qu'il créa toutes choses ensemble, et que simultanément il créa les six jours, ou sept, ou plutôt un seul jour répété six ou sept fois. ”
Ce qui amène Augustin à une position plus surprenante que ses spéculations sur la signification des parties aliquotes : 1+2+3 = 6 du nombre six. Il suggère alors que le sens premier de l'apparition de la lumière et la création de tout en un seul jour, avec sa sextuple répétition dans l'univers physique au cours des jours suivants, se rapporte à la connaissance que les anges ont de l'œuvre parfaite de Dieu.
La position très complexe d'Augustin semble résumée avec une grande justesse par John H. Taylor :
“ Pour Augustin, les jours de création ne sont pas des périodes de temps, mais plutôt des catégories, dans lesquelles les créatures sont classées pour des raisons didactiques, afin de décrire toutes les œuvres de création qui, en réalité, furent créées simultanément. La lumière du premier jour n'est pas la lumière visible dans le monde, mais l'illumination de créatures intellectuelles (les anges). Le matin est en rapport avec la connaissance qu'ont les anges des créatures qu'ils contemplent dans la vision de Dieu; le soir est en rapport avec la connaissance qu'ont les anges des créatures, telles qu'elles existent, avec leur appartenance particulière au créé. ”
Donc, quoi qu'Augustin ait pu dire sur la signification du mot “ jour ”, il ne l'a pas envisagé comme (et Taylord nous le rappelle ci-dessus) une longue période de temps (ce qui en revanche est essentiel pour la “ théorie du cadre ”). En fait, dans La Cité de Dieu, il dit clairement ce qu'il entend par durée du monde depuis Adam jusqu'au Déluge, durée qu'il fixe à 2 262 années.
Ce qui préoccupe réellement Augustin est moins la durée de la création que d'opérer le rapprochement de deux conceptions très différentes de la réalité : d'un côté, le concept néo-platonicien d'intelligences pures (par exemple, les anges) qui contemplent les essences absolues ou les formes (c'est-à-dire telles qu'elles se manifestent dans les choses apparues durant les six jours), et d'un autre côté le concept hébraïque de la création divine soudaine mais maîtrisée des diverses “ espèces ” à partir de rien. Son approche particulière des six jours résulte évidemment d'une tentative de synthèse entre ces deux philosophies disparates, dans une formulation fidèle selon lui “ à la lettre ” aux enseignements de Genèse 1-2. Il serait donc anachronique de lui imputer une réinterprétation délibérée du mot “ jour ” transformé en de longues périodes de temps, pour justifier un lent développement des espèces. Son but est surtout d'abréger la durée du temps réel de création (en un jour ou même en un instant), et non de l'étendre à de longues périodes de temps.