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La Vierge sarrasine
par Emmanuel 2016-08-10 12:03:19
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En vacances, pour préparer la belle fête de Marie, le 15 août, quoi de mieux que de lire et de raconter aux plus jeunes une belle histoire mariale. De plus ce récit associe saint Louis que nous fêteront le 25 août.
Et pour compléter, vous trouverez en-bas un lien avec de nombreuses histoires mariales.


La Vierge sarrasine

Auteur : Jean Des Brosses | Ouvrage : Et maintenant une histoire II

Pen­dant des siè­cles et des siè­cles, jusqu’à ce qu’une main pro­fa­na­trice la détrui­sit en 1793, sous la Ter­reur, on véné­rait dans une très vieille cha­pelle, à La Saul­ne­rie, en Tar­de­nois, non loin de Reims, en Cham­pa­gne, une sin­gu­lière sta­tue de la Vierge. Cette sta­tue por­tait, pro­fon­dé­ment enfoncé dans le genou gau­che, un bizarre trait de fer, long d’une ving­taine de pou­ces. On l’appelait « la Sar­ra­sine », mais nul ne savait trop pour­quoi.

La toute récente décou­verte d’une ancienne légende cham­pe­noise vient enfin de don­ner le fin mot de cette his­toire bien mal connue. Elle mérite d’être contée. Je vais donc, ici, vous la dire.

* * *

À cette épo­que, sous la ban­nière aux fleurs de lys de France, à la suite du très saint roi Louis IX, com­tes et barons d’Anjou, de Cham­pa­gne ou de Poi­tou, ducs, vida­mes ou sim­ples sires d’Auvergne et de Nor­man­die, des Flan­dres, d’Artois ou de Lor­raine, tous grands sei­gneurs ou petit prin­ces par­ti­rent pour le loin­tain Orient.

Cette sep­tième Croi­sade s’était embar­quée le 25 août 1248 du port d’Aiguës-Mortes, dans le golfe du Lion, récem­ment acquis par saint Louis, pré­ci­sé­ment pour que l’expédition chré­tienne par­tit d’un port fran­çais.

Une Croi­sade n’était pas une mince entre­prise, hâti­ve­ment conduite et bien­tôt ter­mi­née. Les armées s’ébranlaient pour plu­sieurs années et, avec elles, une foule consi­dé­ra­ble de très hum­bles gens ne por­tant ni heau­mes, ni ban­niè­res, mais, tout modes­te­ment, les outils de leur état : enclu­mes des for­ge­rons ou pics des bâtis­seurs, draps et ciseaux des fai­seurs d’habits, pétrins et fours des bou­lan­gers, char­mes et houes des labou­reurs… Ne fallait-​il pas, pour tant de gens s’exilant par delà les mers en des lieux par avance hos­ti­les, pré­voir qu’ils ne devraient comp­ter que sur eux-​mêmes ?

* * *

Or, c’est ainsi qu’à la sep­tième Croi­sade se trouva entraîné, dans la trei­zième année de son âge, Thi­baut, de La Saul­ne­rie, en Tar­de­nois, fils d’un hum­ble save­tier. Son père, que le sire de Mont­mi­rail avait engagé dans l’expédition, s’était vu contraint, étant veuf, d’emmener avec lui son fils dans la grande aven­ture. Thi­baut, au prin­temps 1249, débar­quait en Égypte, le roi Louis ayant choisi ce pays pour y lan­cer ses pre­miers assauts.

Il y eut d’abord un grand suc­cès, puis­que les Croi­sés, pres­que sans coup férir, purent s’emparer de Damiette.

Ah ! que Thi­baut trou­vait donc alors la Croi­sade, en même temps que la plus sainte chose, assu­ré­ment, la plus agréa­ble aussi qui se pût conce­voir en ce monde ! On bour­lin­guait sur des flots magni­fi­ques, on décou­vrait des pays d’or et d’azur, d’où les enne­mis s’enfuyaient, aban­don­nant d’inestimables tré­sors entre les mains de leurs vain­queurs.

Tous étaient très bons pour Thi­baut, depuis les plus grands chefs, tel le Séné­chal de France, Mon­sei­gneur de Join­ville, jusqu’au der­nier des sol­dats. Tous étaient fra­ter­nel­le­ment unis, dans un même élan de foi, de bra­voure et d’immense espé­rance.

* * *

La vie pour Thi­baut ne devait pas long­temps demeu­rer aussi belle ! Les Croi­sés ne tar­dè­rent pas a connaî­tre d’affreux revers. Une mal­en­con­treuse expé­di­tion lança le frère du roi de France, le Comte d’Artois, dans une impasse d’où devait mal­heu­reu­se­ment s’ensuivre – avec la cap­ture finale du roi Louis – l’échec de toute cette Croi­sade si magni­fi­que­ment com­men­cée. Il s’agissait d’enlever un impor­tant bas­tion : celui de Man­sou­rah, situé en plein delta du Nil. Un grand fossé, large comme l’était la Marne au pays de Thi­baut : le canal de l’Aschoum, avait imposé la construc­tion labo­rieuse d’une digue sur laquelle 60.000 croi­sés, dont 20.000 à che­val, avaient pu avec suc­cès, dès leur pre­mier assaut se ruer vers Man­sou­rah. La mal­chance vou­lut que l’avant-garde pût seule péné­trer dans le bas­tion. Une contre-​attaque des Sar­ra­sins coupa en deux l’armée chré­tienne, et la situa­tion devint tra­gi­que. Durant plu­sieurs jours, les mêlées suc­cé­dè­rent aux mêlées, le sang coula à flots. Le crois­sant des infi­dè­les allait-​il l’emporter sur la Croix des preux che­va­liers ? .

A Damiette, les nou­vel­les arri­vaient désas­treu­ses. Sans cesse par­taient des ren­forts, cepen­dant que les cha­riots déver­saient un peu par­tout des gens d’armes morts ou bles­sés. Thi­baut assis­tait de son mieux les moi­nes qui enter­raient les cada­vres et pan­saient les bles­su­res.

* * *

Un jour, il fut décidé qu’une pro­ces­sion, dont Mgr l’Archevêque de Reims pren­drait lui-​même la tête, sui­vrait le che­min de la digue pour aller, au milieu de la bataille, adju­rer Dieu de ren­dre aux fleurs de lys de France une vic­toire qui parais­sait d’heure en heure plus gra­ve­ment com­pro­mise. Thi­baut par­tit, parmi les clercs, der­rière une Catéchisme - Vierge à l'enfant en boispetite sta­tue de la Vierge que l’on por­tait haut par-​dessus les têtes cas­quées, en chan­tant des can­ti­ques. Ce que le petit Cham­pe­nois vit en arri­vant non loin de Man­sou­rah dépassa en hor­reur tout ce qu’il aurait pu ima­gi­ner. Croi­sés et Mame­luks étaient aux pri­ses en d’incessants corps à corps, dans un ter­rain boueux, mou­vant, abo­mi­na­ble. Le temps des bas­ses eaux était venu, et le champ de bataille n’était à cette heure qu’une immense éten­due de limon noir, empuanté. La pro­ces­sion dut s’arrêter à quel­que dis­tance de ce spec­ta­cle affreux, et l’on vit Mgr de Cham­pa­gne s’agenouiller dans sa pour­pre à même la boue immonde, les bras éten­dus en croix, invo­quant le Dieu des armées, bénis­sant les ago­ni­sants, encou­ra­geant les héros valeu­reux qui lut­taient à un contre dix.

Une chose effroya­ble se pro­dui­sit alors : un tour­billon, une trombe de feu s’abattit sur la pieuse pro­ces­sion ! Les moi­nes s’effondraient, atro­ce­ment brû­lés vifs. La pani­que dis­per­sait les gens. Qu’était-ce là ? Le « feu gré­geois », l’arme la plus redou­ta­ble de l’époque, et qui consis­tait en un mélange d’huile de naphte, de gou­dron et de poix qui pou­vait allu­mer les plus ter­ri­bles incen­dies jus­que dans les coques des navi­res immer­gés.

* * *

Thi­baut, après de lon­gues minu­tes d’angoisse, se retrouva cou­ché au milieu des cada­vres, juste à côté de la petite Vierge de bois. Mira­cle ! Comme lui, la sta­tue de la Mère de Dieu était intacte ! Il la sou­leva dans ses bras et, comme il l’avait vu faire à l’un des moi­nes, il s’efforça de la bran­dir au-​dessus des morts et des mou­rants.

Il aper­çut tout à coup un hardi che­va­lier seul aux pri­ses avec trois Mame­luks aux visa­ges ter­ri­fiants, qui le mena­çaient de leurs ter­ri­bles yata­gans recour­bés, contre quoi le mal­heu­reux n’avait, pour se défen­dre, qu’une pau­vre épée bri­sée.

Thi­baut n’hésita pas et par­tit avec sa sta­tuette prê­ter main-​forte à cet homme perdu. En pas­sant, il ramassa encore une épée près d’un mort. Il par­vint par der­rière jusqu’au che­va­lier, et put lui ten­dre l’arme. Celui-​ci, dès qu’il eut repris en main une épée digne de son cou­rage, tran­chant d’estoc et de taille, avec la fou­gue d’un lion, mit les Mame­luks en fuite.

Le soir tom­bait. L’assaut fou­gueux des infi­dè­les sem­blait sus­pendu pour un temps. Thi­baut, le fils du save­tier de La Saul­ne­rie, et le che­va­lier inconnu se retrou­vè­rent seuls tous les deux sur ce sinis­tre champ de défaite.

* * *

Alors, le che­va­lier retira son heaume et Thi­baut tomba à genoux. C’était au roi Louis en per­sonne qu’il avait apporté une épée ! Le roi, lui aussi, s’agenouilla et, ensem­ble, le prince et l’enfant firent action de grâ­ces.

Il leur fal­lut atten­dre la fin de la nuit avant de pou­voir son­ger à rega­gner le gros des for­ces déci­mées que l’on enten­dait péni­ble­ment se ras­sem­bler au nord, du côté de Damiette.

A l’aube, ils par­ti­rent pru­dem­ment, le roi de France et le fils du save­tier, trans­por­tant dévo­te­ment sur leurs épau­les la petite Vierge de bois.

C’est sur ce triste che­min de retour qu’une flè­che, lan­cée traî­treu­se­ment par quel­que infi­dèle dis­si­mulé parmi les cada­vres, vint attein­dre la sta­tue au genou gau­che. L’auguste visage du saint roi Louis se trou­vait exac­te­ment der­rière les plis de la robe de la Mère de Jésus ! La sta­tue n’eût point été là, que le trait le tuait d’un coup !

Au moment pré­cis où la Vierge Marie, par ce pro­dige insi­gne, venait de sau­ver le roi Louis, un ren­fort arriva qui tira le prince et son com­pa­gnon de leur dan­ge­reuse pos­ture.

* * *

A Damiette, dit-​on, Louis IX donna à Thi­baut la Vierge de bois péné­trée du trait qui aurait dû lui ôter la vie, en lui deman­dant de la rap­por­ter dans son vil­lage quand il ren­tre­rait en terre de France, avec mis­sion de la dépo­ser à la place d’honneur dans son église et de réci­ter cha­que jour devant elle dix Ave Maria pour le salut des âmes des Croi­sés tom­bés pour l’amour de Dieu…

Et c’est ainsi qu’à La Saul­ne­rie, en Tar­de­nois, depuis 1254, date du retour en France de la sep­tième Croi­sade, jusqu’à la grande Révo­lu­tion, on vénéra la Vierge dite « Sar­ra­sine » et qui por­tait au genou un trait de fer.

Jean Des Bros­ses.



Source : D'autres histoires de Notre-Dame

     

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      Merci par Lermuze  (2016-08-11 08:41:26)
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