... c'est qu'elle part du principe que l'Eglise a été complètement préservée -notamment dans ses rites et sa liturgie- pendant des siècles de toute influence mondaine et moderne, et que tout, à coup, du jour au lendemain, la réforme conciliaire dans les années 1960 a provoqué l'irruption dans l'Eglise des idées et de l'esprit moderne.
Or, je pense que vous vous trompez sur toute la ligne. La vraie rupture n'a pas eu lieu au XXe siècle dans le sillage du Concile -même si c'est vrai qu'elle a connu à partir de cette époque une accélération très nette-. La vraie rupture a eu lieu quelque part entre le XIVe et le XVIe siècle, en gros, pour résumer, au moment de l'avènement de l'humanisme et de ce que l'on appelle à tort la Renaissance. Pourquoi?
Parce qu'avant cette période, les sociétés occidentales (en gros, les sociétés médiévales) étaient des sociétés traditionnelles au sens strict, c'est à dire des sociétés qui se fondaient sur un ensemble de principes transcendants et immuables, et qui se comprenaient comme intégrées dans un ordre cosmique stable qui les dépassaient. Pourquoi une rupture au XVIe siècle? Parce que c'est à partir de cette époque que la pensée occidentale a cessé de se considérer comme intégrée dans cet ordre transcendant. D'ailleurs, l'humanisme devient de plus en plus un courant prétendant couper l'homme de sa source divine. L'Eglise a déjà dès cette époque été largement contaminée par cet esprit: il me semble par exemple avoir lu quelque part (info à confirmer) que c'est sous St Pie V que l'orientation des églises a cessé d'être obligatoire, preuve que l'orientation de la liturgie est une pratique traditionnelle dont on commençait déjà à perdre le sens profond; par ailleurs, c'est à partir de cette époque que la liturgie commence tout doucement à se transformer en spectacle, évolution qui atteindra son apogée au XVIIIe siècle avec le decorum baroque et les oeuvres musicales splendides -mais non liturgiques- qui ornent dès cette époque les cérémonies (exemple ici).
On assiste alors, non plus à des liturgies dans lesquelles on célèbre les saints mystères, mais à de véritables divertissements, à des "concerts avec accompagnement de messe", dans lesquels les textes de la messe ne sont plus qu'un prétexte à la composition de pièces musicales qui ne différent que très peu des oeuvres d'opéra. Le vrai sens de la liturgie est donc perdu depuis bien longtemps, et il ne s'agit pas d'un développement organique, pour le coup, mais bien d'une déviation dans l'esprit qui doit présider à toute célébration.
Pour ceux qui ont la mémoire courte, je vous rappelle que c'est le sens des propos de Michel Onfray sur l'histoire de la liturgie, propos qui avaient été diffusés sur le forum (voir ici)
Le chamboulement de la liturgie que nous observons depuis cinquante ans n'est donc que le dernier stade d'une décadence qui dure depuis au moins cinq siècles... il est donc parfaitement vain et tout aussi anti-traditionnel de reconstituer la liturgie telle qu'elle était aux XVIIIe ou au XIXe siècle; il faut au contraire, non pas faire de l'archéologisme et faire revivre telle ou telle pratique médiévale ou antique, mais bien retrouver le vrai sens de la liturgie telle qu'elle était vécue avant la rupture de la soi-disante "Renaissance". C'est ce qu'ont voulu expliciter l'encyclique "Médiator Dei" de Pie XII -dans le sillage du mouvement liturgique-, la constitution Sacrosanctum Concilium, ainsi que les écrits de Benoit XVI sur la liturgie. Mais bien peu, y compris chez les "tradis", ont compris l'importance vitale pour l'Eglise de ce courant...
De même le rite de 1962, bien que préservé des idées modernes, n'en est pas moins a minima bousculé par la rupture: exemple dans cette aberration, qui veut qu'une messe chantée dans le VOM ne soit en fait qu'une messe basse sur laquelle on superpose une messe chantée: il y a donc rupture entre le célébrant et l'assemblée, et donc perte de l'unité originelle de la célébration.(exemple: le célébrant, une fois avoir récité son Credo ou son Gloria dans son coin, va s'asseoir en attendant que le choeur et les fidèles aient fini de chanter le même texte, comme s'il n'était pas concerné par la partie chantée...). Ce fossé entre les prières du célébrant et les prières des fidèles n'a pas toujours existé dans la liturgie romaine! Il serait d'ailleurs possible de supprimer cette coupure tout en conservant le rite de St-Pie V... C'est cette rupture -qui était devenue évidente pour tout le monde- que les progressistes des années 1960 ont voulu pallier, mais en introduisant des innovations malheureuses qui achevèrent de ruiner la liturgie.
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