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Les 4 postulats du Pape François,par Giovanni Scalese
par Jean Kinzler 2016-05-19 12:49:01
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Les quatre postulats du pape François

par Giovanni Scalese


On peut les considérer comme les postulats de la pensée du pape François, à partir du moment où, en plus du fait qu’ils sont récurrents dans son enseignement, ils sont présentés par lui comme des critères généraux d’interprétation et d’évaluation.

Ces postulats sont :

- le temps est supérieur à l’espace ;
- l’unité prévaut sur le conflit ;
- la réalité est plus importante que l’idée ;
- le tout est supérieur à la partie.

Dans "Evangelii gaudium" 221, François dit que ce sont des "principes". Personnellement je considère qu’on peut en réalité les considérer comme des “postulati”, terme qui, dans le dictionnaire Zingarelli de la langue italienne, désigne une "proposition qui n’a pas un caractère d’évidence et qui n’est pas démontrée mais qui est tout de même reconnue comme vraie dans la mesure où elle est nécessaire pour fonder un processus ou une démonstration".

Toujours dans "Evangelii gaudium" 221, le pape écrit que les quatre principes "découlent des grands postulats de la doctrine sociale de l’Église".

Cependant, dans le Compendium de la doctrine sociale de l’Église, ce qui est indiqué comme "principes permanents" et "véritables fondements de l'enseignement social catholique", c’est plutôt la "dignité de la personne humaine", le "bien commun", la "subsidiarité", la "solidarité", auxquels sont associés la destination universelle des biens et la participation, en plus des "valeurs fondamentales de la vie sociale" telles que la vérité, la liberté, la justice, l’amour.

Or on a du mal à percevoir comment les quatre postulats d’"Evangelii gaudium" proviennent des “principes permanents" de la doctrine sociale de l’Église que l’on vient de citer. Ou tout au moins cette provenance n’est pas tellement évidente ; il faudrait la mettre en lumière au lieu de la considérer comme un fait acquis.

C’est un fait que ces postulats ont toujours été les principes premiers de la pensée du pape François. Le jésuite argentin Juan Carlos Scannone nous informe que "quand Jorge Mario Bergoglio était provincial, en 1974, il les utilisait déjà. Je faisais partie de la congrégation provinciale avec lui et je l’ai entendu les utiliser pour faire la lumière sur diverses questions qui étaient traitées dans cette assemblée".

Il faut se rappeler que, en 1974, Bergoglio avait 38 ans, qu’il était jésuite depuis seize ans (1958), qu’il avait obtenu une licence en philosophie depuis une dizaine d’années (1963), qu’il était prêtre depuis cinq ans (1969), provincial depuis un an (1973-1979) et qu’il ne s’était pas encore rendu en Allemagne (1986) pour terminer ses études. Il semblerait donc que ces quatre postulats soient le résultat des réflexions personnelles de Bergoglio quand il était jeune.

Dans l'exhortation apostolique "Evangelii gaudium" François propose de nouveau ces postulats "avec la conviction que leur application peut être un authentique chemin vers la paix dans chaque nation et dans le monde entier" (n° 221).


Premier postulat : "Le temps est supérieur à l’espace"

Il semblerait que, parmi les quatre postulats, le premier soit le plus cher au pape François. On le trouve formulé pour la première fois dans l’encyclique "Lumen fidei" (n° 57). On le retrouve, ainsi que les trois autres, dans "Evangelii gaudium" (n° 222-225). Il est encore repris par la suite dans l’encyclique "Laudato si’" (n° 178). Et il est enfin cité, à deux reprises, dan l’exhortation apostolique "Amoris lætitia" (nos 3 et 261).

C’est pourtant celui qui est le moins immédiatement compréhensible dans sa formulation. Il ne devient clair que lorsqu’il est expliqué. Voici de quelle manière il est présenté dans "Evangelii gaudium" :

"Ce principe permet de travailler à long terme, sans être obsédé par les résultats immédiats. Il aide à supporter avec patience les situations difficiles et adverses, ou les changements des plans qu’impose le dynamisme de la réalité. Il est une invitation à assumer la tension entre plénitude et limite, en accordant la priorité au temps. Un des péchés qui parfois se rencontre dans l’activité socio-politique consiste à privilégier les espaces de pouvoir plutôt que les temps des processus. Donner la priorité à l’espace conduit à devenir fou pour tout résoudre dans le moment présent, pour tenter de prendre possession de tous les espaces de pouvoir et d’auto-affirmation. C’est cristalliser les processus et prétendre les détenir. Donner la priorité au temps c’est s’occuper d’initier des processus plutôt que de posséder des espaces. Le temps ordonne les espaces, les éclaire et les transforme en maillons d’une chaîne en constante croissance, sans chemin de retour. Il s’agit de privilégier les actions qui génèrent les dynamismes nouveaux dans la société et impliquent d’autres personnes et groupes qui les développeront, jusqu’à ce qu’ils fructifient en évènement historiques importants. Sans inquiétude, mais avec des convictions claires et de la ténacité" (n° 223).

La présentation qui est donnée de ce postulat dans "Amoris laetitia" est plus resserrée : "il s’agit plus de créer des processus que de dominer des espaces" (n° 261). Cependant, dans cette dernière exhortation apostolique, il est fait une application surprenante du postulat en question :

"En rappelant que « le temps est supérieur à l’espace », je voudrais réaffirmer que tous les débats doctrinaux, moraux ou pastoraux ne doivent pas être tranchés par des interventions magistérielles. Bien entendu, dans l’Église une unité de doctrine et de praxis est nécessaire, mais cela n’empêche pas que subsistent différentes interprétations de certains aspects de la doctrine ou certaines conclusions qui en dérivent. Il en sera ainsi jusqu’à ce que l’Esprit nous conduise à vérité entière (cf. Jn 16, 13), c’est-à-dire, lorsqu’il nous introduira parfaitement dans le mystère du Christ et que nous pourrons tout voir à travers son regard. En outre, dans chaque pays ou région, peuvent être cherchées des solutions plus inculturées, attentives aux traditions et aux défis locaux" (n° 3).

Il faut reconnaître sincèrement que le rattachement de cette conclusion au postulat que l’on est en train d’examiner n’est pas aussi immédiat et évident que le texte semble le supposer. On croit comprendre que l’essence de ce premier postulat réside dans le fait que l’on doit ne pas avoir la prétention d’uniformiser tout et tout le monde, mais que l’on doit laisser chacun parcourir son propre chemin vers un “horizon” (nos 222 et 225) qui reste plutôt indéfini.

Dans l’interview qu’il a accordée au père Antonio Spadaro et qui a été publiée dans "La Civiltà Cattolica" en date du 19 septembre 2013, François présente le postulat dans une perspective plus théologique :

"Dieu se manifeste dans une révélation historique, dans le temps. Le temps lance les processus, l’espace les cristallise. Dieu se trouve dans le temps, dans les processus en cours. Il ne faut pas privilégier les espaces de pouvoir par rapport aux temps des processus, même s’ils sont longs. Nous devons lancer des processus, plutôt que qu’occuper des espaces. Dieu se manifeste dans le temps et il est présent dans les processus de l’histoire. Cela conduit à privilégier les actions qui génèrent des dynamiques nouvelles. Et cela demande de la patience, de l’attente" (p. 468).

Dans la revue "PATH", qui est publiée par l’Académie Pontificale de Théologie (n° 2/2014, pp. 403-412), le père Giulio Maspero indique que les origines du postulat se trouvent chez saint Ignace et chez Jean XXIII, cités par François dans l’interview qu’il a accorée au père Spadaro, ainsi que chez le bienheureux Pierre Favre, cité dans "Evangelii gaudium" 171 ; en revanche il ne considère pas comme une source Romano Guardini, qui est lui aussi cité dans EG 224. Le postulat se voit reconnaître "une profonde racine trinitaire", tandis que sa clé d’herméneutique, de nature strictement théologique, est trouvée dans l’affirmation de la présence et de la manifestation de Dieu dans l’histoire. À vrai dire, on a un peu de peine à suivre le raisonnement du père Maspero lorsqu’il se livre à un commentaire passionné du principe de la supériorité du temps sur l’espace.

En ce qui me concerne personnellement, je ne peux pas ne pas détecter à la base du premier postulat - plutôt que les racines théologiques, qui restent toutes à démontrer - certains courants de la philosophie idéaliste, tels que l’historicisme, la primauté du devenir sur l’être, l’idée que l’être soit issu de l’action ("esse sequitur operari"), etc. Mais c’est une question qui devrait être approfondie par des experts dans un cadre scientifique.


Deuxième postulat : "L’unité prévaut sur le conflit"

C’est également dans l’encyclique "Lumen fidei" (n° 55) que ce postulat a été énoncé pour la première fois. Sa présentation la plus étendue se trouve dans "Evangelii gaudium" (nos 226-230). On le retrouve en dernier lieu dans l’encyclique "Laudato si’" (n° 198). EG part d’une constatation :

"Le conflit ne peut être ignoré ou dissimulé. Il doit être assumé. Mais si nous restons prisonniers en lui, nous perdons la perspective, les horizons se limitent et la réalité même reste fragmentée. Quand nous nous arrêtons à une situation de conflit, nous perdons le sens de l’unité profonde de la réalité" (n° 226).

Et de décrire trois attitudes :

"Face à un conflit, certains regardent simplement celui-ci et passent devant comme si de rien n’était, ils s’en lavent les mains pour pouvoir continuer leur vie. D’autres entrent dans le conflit de telle manière qu’ils en restent prisonniers, perdent l’horizon, projettent sur les institutions leurs propres confusions et insatisfactions, de sorte que l’unité devient impossible. Mais il y a une troisième voie, la mieux adaptée, de se situer face à un conflit. C’est d’accepter de supporter le conflit, de le résoudre et de le transformer en un maillon d’un nouveau processus" (n° 227).

La troisième attitude est fondée sur le postulat : "l’unité est supérieure au conflit", qui est justement considéré comme "indispensable pour construire l’amitié sociale" (n° 228). Ce postulat inspire le concept de “diversité réconciliée” (n° 230), que l’on trouve de manière récurrente dans l’enseignement du pape François, surtout dans le domaine de l’œcuménisme.

Le gros problème de ce postulat est qu’il présuppose une vision dialectique de la réalité très semblable à celle de Hegel :

"La solidarité, entendue en son sens le plus profond et comme défi, devient ainsi une manière de faire l’histoire, un domaine vital où les conflits, les tensions, et les oppositions peuvent atteindre une unité multiforme, unité qui engendre une nouvelle vie. Il ne s’agit pas de viser au syncrétisme ni à l’absorption de l’un dans l’autre, mais de la résolution à un plan supérieur qui conserve, en soi, les précieuses potentialités des polarités en opposition" (n° 228).

Cette “résolution à un plan supérieur” rappelle beaucoup l’"Aufhebung" hégélienne. Et il semble d’autre part que ce ne soit pas un hasard si, au n° 230, il est question d’une “synthèse”, ce qui bien évidemment présuppose une “thèse” et une “antithèse”, les deux pôles qui sont en conflit l’un avec l’autre. Dans ce cas aussi, il faudrait approfondir le discours.


Troisième postulat : "La réalité est plus importante que l’idée"

Il a été présenté dans "Evangelii gaudium" (nos 231-233) et repris par la suite dans "Laudato si’" (n° 201) :

"Il existe aussi une tension bipolaire entre l’idée et la réalité. La réalité est, tout simplement ; l’idée s’élabore. Entre les deux, il faut instaurer un dialogue permanent, en évitant que l’idée finisse par être séparée de la réalité. Il est dangereux de vivre dans le règne de la seule parole, de l’image, du sophisme. A partir de là se déduit qu’il faut postuler un troisième principe : la réalité est supérieure à l’idée. Cela suppose d’éviter diverses manières d’occulter la réalité : les purismes angéliques, les totalitarismes du relativisme, les nominalismes déclaratifs, les projets plus formels que réels, les fondamentalismes antihistoriques, les éthiques sans bonté, les intellectualismes sans sagesse" (EG 231).

On pourrait avoir l’impression que ce troisième postulat est le plus facile à comprendre, le plus acceptable, le plus proche de la philosophie traditionnelle. L’approfondissement dont il fait l’objet dans "Evangelii gaudium" est très attirant et, à première vue, tout à fait convaincant :

"L’idée – les élaborations conceptuelles – est fonction de la perception, de la compréhension et de la conduite de la réalité. L’idée déconnectée de la réalité est à l’origine des idéalismes et des nominalismes inefficaces, qui, au mieux, classifient et définissent, mais n’impliquent pas. Ce qui implique, c’est la réalité éclairée par le raisonnement. Il faut passer du nominalisme formel à l’objectivité harmonieuse. Autrement, on manipule la vérité, de la même manière que l’on remplace la gymnastique par la cosmétique" [Platon, "Gorgias", 465] (n° 232).

Dans la revue de l’Académie Pontificale de Théologie qui a été citée précédemment, le père Giovanni Cavalcoli se laisse aller à un commentaire enthousiaste de ce postulat, qu’il assimile, sans rentrer davantage dans les détails, au traditionnel réalisme gnoséologique aristotélico-thomiste.

Toutefois il ne tient pas compte, d’après moi, de deux aspects importants :

- du contexte dans lequel est présenté ce postulat, qui est un contexte sociologique avec des retombées à caractère pastoral. "Evangelii gaudium" n’est pas un texte de philosophie de la connaissance : même s’il s’agit d’un principe philosophique, le troisième postulat est utilisé en fonction du développement de la cohabitation sociale et de la construction d’un peuple (n° 221) ;

- et du langage utilisé, qui n’est pas un langage technique. Lorsqu’il est question d’“idéalismes et de nominalismes inefficaces”, ce n’est pas une référence aux courants historiques de l’idéalisme et du nominalisme, comme le montre le fait que c’est au pluriel que ces mots sont employés. Ce sont surtout les termes “idée” et “réalité” qui sont employés dans un sens différent de celui que pourrait lui donner la gnoséologie traditionnelle. La “réalité” dont il est question dans "Evangelii gaudium" n’est pas la réalité métaphysique, synonyme d’“être”, mais une réalité purement phénoménique. L’“idée” n’est pas la simple représentation mentale de l’objet, mais, comme le texte lui-même l’indique, elle est synonyme d’“élaborations conceptuelles” (n° 232) et donc d’“idéologie”. D’autre part, l’utilisation d’expressions existentielle telles que, par exemple, le verbe “impliquer” aurait dû faire comprendre immédiatement qu’il ne s’agit pas du langage universitairet traditionnel.

Ces observations ont des conséquences importantes. Le postulat “la réalité est plus importante que l’idée” n’a rien à voir avec l’"adæquatio intellectus ad rem". Il signifie plutôt que nous devons accepter la réalité telle qu’elle est, sans essayer de la changer sur la base de principes absolus, par exemple les principes moraux, qui sont seulement des “idées” abstraites, risquant, dans la plupart des cas, de se transformer en idéologies. Ce postulat est à la base des polémiques continuelles qui opposent François à la doctrine. On trouvera significatif, à ce sujet, ce que le pape Bergoglio a affirmé lors de l’interview qu’il a accordée à "La Civiltà Cattolica":

"Si le chrétien est restaurationniste, légaliste, s’il veut que tout soit clair et sûr, alors il ne trouve rien. La tradition et la mémoire du passé doivent nous aider à avoir le courage d’ouvrir de nouveaux espaces à Dieu. Ceux qui, aujourd’hui, recherchent sans cesse des solutions disciplinaires, ceux qui tendent de manière exagérée vers la 'sûreté' doctrinale, ceux qui cherchent obstinément à retrouver le passé perdu, ceux-là ont une vision statique et régressive des choses. Et, si l’on agit de cette manière, la foi devient une idéologie parmi tant d’autres" (pp. 469-470).


Quatrième postulat : "Le tout est supérieur à la partie"

Nous trouvons ce postulat abondamment exposé dans "Evangelii gaudium" (nos 234-237) et repris par la suite, de manière synthétique, dans "Laudato si’" (n° 141):

"Le tout est plus que la partie, et plus aussi que la simple somme de celles-ci. Par conséquent, on ne doit pas être trop obsédé par des questions limitées et particulières. Il faut toujours élargir le regard pour reconnaître un bien plus grand qui sera bénéfique à tous. Mais il convient de le faire sans s’évader, sans se déraciner. Il est nécessaire d’enfoncer ses racines dans la terre fertile et dans l’histoire de son propre lieu, qui est un don de Dieu. On travaille sur ce qui est petit, avec ce qui est proche, mais dans une perspective plus large. De la même manière, quand une personne qui garde sa particularité personnelle et ne cache pas son identité, s’intègre cordialement dans une communauté, elle ne s’annihile pas, mais elle reçoit toujours de nouveaux stimulants pour son propre développement. Ce n’est ni la sphère globale, qui annihile, ni la partialité isolée, qui rend stérile" (EG 235).

Il faut évaluer ici cette tentative d’associer les deux pôles qui sont en tension l’un avec l’autre – le tout et la partie – et qui, dans EG sont identifiés comme la “globalisation” et la “localisation” (n° 234). La valorisation de la partie, qui ne doit pas disparaître dans le tout, est représentée par la figure géométrique, chère au pape François, du polyèdre, par opposition à la sphère (n° 236).

Le problème est que le postulat, tel qu’il est formulé, n’exprime pas cet équilibre entre le tout et les parties. Il parle ouvertement de la supériorité du tout sur les parties, ce qui est en opposition avec la doctrine sociale de l’Église, qui déclare certes que la personne est, de manière constitutive, un être social, mais qui réaffirme en même temps sa primauté et l’impossibilité de le réduire à n’être qu’un organisme social (Compendium de la doctrine sociale de l’Église, nos 125 et 149 ; Catéchisme de l’Église catholique, nos 1878-1885). Si l'on se limite à répéter le quatrième postulat sans y apporter des précisions supplémentaires, il y a un risque qu’il soit compris en un sens marxiste, ce qui justifierait l’anéantissement de l’individu dans la société.

Il faut avoir présent à l’esprit le fait que, même d’un point de vue herméneutique, le rapport entre le tout et les parties est décrit en termes non pas de supériorité mais de circularité, ce que l’on appelle le “cercle herméneutique” : le tout doit être interprété à la lumière des parties ; les parties doivent être interprétées à la lumière du tout.


Conclusion

Qu’il existe des polarités dans la réalité où nous vivons, c’est un fait que l’on peut difficilement contester. Ce qui compte, c’est l’attitude que nous adoptons face aux tensions auxquelles nous sommes confrontés dans notre vie quotidienne. Lorsque nous prenons en considération les quatre postulats dans leur ensemble, il semble que nous devrions conclure que l’attitude la plus adaptée consisterait certes à associer les pôles qui s’opposent, mais en présupposant que l’un des deux est supérieur à l’autre : le temps est supérieur à l’espace ; l’unité prévaut sur le conflit ; la réalité est plus importante que l’idée ; le tout est supérieur à la partie.

Personnellement, j’ai toujours considéré que les tensions doivent plutôt être “gérées” ; qu’il est utopique de penser qu’elles puissent être, tant que nous sommes sur cette terre, surmontées définitivement ; que c’est, plus que toute autre chose, une erreur de prendre parti pour l’un des deux pôles contre l’autre, comme si, d’un côté, il y avait seulement le bien et, de l’autre, seulement le mal (une conception manichéenne de la réalité, qui a toujours été refusée par l’Église). Le chrétien n’est pas l’homme de l’"ou bien… ou bien", mais celui de l’"et… et". Dans ce monde il y a – il doit y avoir ! – de la place pour tout : pour le temps et pour l’espace, pour l’unité et pour les diversités, pour la réalité et pour les idées, pour le tout et pour les parties. Rien ne doit être exclu, sous peine de déséquilibrer la réalité, ce qui peut aboutir à des conflits dévastateurs.

Une autre observation que l’on pourrait faire en arrivant au terme de cette réflexion est que la présentation de ces quatre postulats démontre que, dans l’action humaine, on ne peut pas éviter de se laisser conduire par certains principes qui sont, par nature, abstraits. Par conséquent il ne sert à rien de polémiquer à propos du caractère abstrait de la “doctrine”, en lui opposant une “réalité” à laquelle il faudrait simplement se conformer. La réalité, si elle n’est pas éclairée, guidée, ordonnée par certains principes, risque de disparaître dans le chaos.

Le problème est alors : quels principes ? Sincèrement, on ne voit pas pourquoi les quatre postulats dont nous sommes occupés pourraient légitimement orienter le développement de la cohabitation sociale et la construction d’un peuple, tandis que la même légitimité ne pourrait pas être reconnue à d’autres principes, auxquels est continuellement reprochée leur côté abstrait et leur caractère, au moins potentiellement, idéologique.

Que la doctrine chrétienne coure le risque de se transformer en idéologie, on ne peut pas le nier. Mais ce même risque est couru par n’importe quel autre principe, y compris les quatre postulats d’"Evangelii gaudium" ; avec cette différence que ces principes sont le résultat d’une réflexion humaine, tandis que la doctrine catholique est fondée sur une révélation divine.

Pourvu qu’il ne nous arrive pas aujourd’hui ce qui est arrivé jadis à Marx. Celui-ci, alors qu’il accusait d’idéologie les penseurs qui l’avaient précédé, ne s’est pas rendu compte qu’il était en train d’élaborer une des idéologies les plus dévastatrices de l’Histoire.

__________


À propos des années "difficiles" au cours desquelles Bergoglio, en Argentine, mûrissait sa réflexion à propos des quatre critères qui servent de bases à son inspiration :

> Padre Jorge e i suoi confratelli. Perché vollero liberarsi di lui

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Traduction française par Antoine de Guitaut, Paris, France.
chiesa

     

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