Permettez-moi, avec une certaine ironie, de lire trois épisodes de l’histoire de l’Église à la lumière de certains passages de l’exhortation apostolique post-synodale Amoris Laetitia. Déjà, j’entends des objections du genre : « Vous commettez un anachronisme, vous ne pouvez-pas utiliser ce document récent pour lire le passé ». Détrompez-vous ! On nous a assuré dernièrement que l’exhortation Amoris Laetitia ne changeait pas la doctrine de l’Église et, plus encore, qu’elle s’inscrivait dans une parfaite continuité avec l’enseignement de l’Église.
Je précise, au passage, que je ne désire pas attaquer frontalement le document papal Amoris Laetitia comme étant contraire à la doctrine, mais montrer comment l’application des principes pastoraux de ce document (et le recours à l’esprit qui est derrière ce texte) peut être en contradiction avec l’exemple de ceux qui ont défendu le mariage jusqu’au martyr.
Saint Jean-Baptiste
Que dire de celui qui fut le plus grand des enfants des hommes ? Faut-il s’étonner de remarquer que Saint Jean-Baptiste n’a pas été très pastorale avec Hérode ? Pauvre Précurseur. Qui était-il pour juger ? Comment pouvait-il qualifier la relation d’Hérode de ce vilain mot « adultère » alors que nous devons opérer une "conversion du langage" ? Le Précurseur ne savait-il pas que ces situations, comme celle d’Hérode, « exigent un discernement attentif et un accompagnement, avec beaucoup de respect, en évitant tout langage et toute attitude qui fassent peser sur eux un sentiment de discrimination » (AL, n. 242) ?
N’aurait-il pas valu mieux pour le Baptiste de « former la conscience d’Hérode, plutôt que de prétendre se substituer à elle » (AL, n. 37) ? Est-ce si difficile à comprendre que « « tout être humain possède sa propre vision du Bien, mais aussi du Mal; de sorte que notre tâche est de l’inciter à suivre la voie tracée par ce qu’il estime être le Bien. »
Le cousin de Notre-Seigneur était-il aveugle au point de ne pas être capable de voir les éléments de bonté dans la relation contractée par Hérode, de sorte qu’il ne pouvait pas « discerner la présence des semina Verbi que l’on applique aussi à la réalité conjugale et familiale » (AL, n. 77) ?
Bref, ce pauvre Précurseur n’avait pas beaucoup le sens de la « pédagogie », pas plus que celui de « l’intégration ». Bien que sa mort fût cruelle, il faut croire qu’il l’avait bien cherché. Au lieu de dénoncer, il aurait dû accompagner. Au lieu de répéter la doctrine, il aurait dû être pastoral. Plutôt que d’utiliser la Parole de Dieu, il aurait dû s’intéresser à la vie de ce pauvre Hérode et aux circonstances atténuantes de sa situation « imparfaite ». Au fond, nous savons maintenant que les diatribes de Notre-Seigneur contre les Docteurs de Loi devaient viser son cousin.
Saint John Fischer
Que dire de cet évêque, Saint John Fischer ? Qu’a-t-il bien pu lui passer par la tête pour s’opposer au divorce du roi Henry VIII ? Ne savait-il pas qu’il était possible d’accompagner pastoralement le roi sans que cela veuille dire s’opposer à la doctrine ? Pourquoi est-il resté fidèle au Magistère de l’Église ? Ne savait-il pas que « les débats doctrinaux, moraux ou pastoraux ne doivent pas être tranchés par des interventions magistérielles » (AL, n. 3) ? Pourquoi ne s’est-il pas rallier aux autres évêques du Royaume ? Ne savait-il pas qu’il appartient aux évêques, et non à Rome, d’opérer un "discernement au cas par cas" ?
Qui était-il pour juger le roi ? N’aurait-il pas dû agir de manière pastorale, au lieu de rappeler l’enseignement de l’Église, en sachant qu’un « Pasteur ne peut se sentir satisfait en appliquant seulement les lois morales à ceux qui vivent des situations ‘‘irrégulières’’, comme si elles étaient des pierres qui sont lancées à la vie des personnes.» (AL, n. 305) ?
Ah, ce pauvre évêque. Sa mort aussi fut bien cruelle, mais au fond n’avait-il pas jeté la première pierre ? Ne s’était-il pas agrippé à la vérité de la loi ? N’avait-il pas manifesté un « cœur fermé » devant la situation de vie - certes « imparfaite » mais pleine de semina Verbi - de ce pauvre Henry VIII ?
Saint Thomas More
Et que dire de ce Chancelier que fut Saint Thomas More ? Un autre qui a versé dans le légalisme et qui a agi en docteur de la loi ! Comment a-t-il pu juger de la situation irrégulière de son roi alors que lui-même - qui avait une famille et qui avait un mariage en règle - n’était pas exempt d’orgueil (AL, n. 98) ?
Comment a-t-il pu ne pas reconnaître que son roi était peut-être, voire probablement, en état de grâce ? Ne savait-il pas que « ce n’est plus possible de dire que tous ceux qui se trouvent dans une certaine situation dite ‘‘irrégulière’’ vivent dans une situation de péché mortel, privés de la grâce sanctifiante » (AL, n. 301) ?
Qui était-il pour juger son roi ? Ne savait-il pas que « c’est mesquin de se limiter seulement à considérer si l’agir d’une personne répond ou non à une loi ou à une norme générale, car cela ne suffit pas pour discerner et assurer une pleine fidélité à Dieu dans l’existence concrète d’un être humain » (AL, n. 304) ?
Pourquoi avoir préféré mourir plutôt que de reconnaître la nouvelle union du roi ? Ne savait-il pas que le mariage tel que voulu par l'Église est un « idéal » difficile à atteindre et qu’il fallait donc accompagner le roi dans sa nouvelle relation ? Cette relation était certes imparfaite, mais c’était là où le roi était rendu par rapport à l’idéal.
Pauvre Chancelier ! Pourquoi ne pas avoir préféré l’accompagnement, le discernement, l’accueil, plutôt que de fermer son cœur à la joie d’aimer ? Certes, sa mort fut cruelle ! Mais, en étant peu miséricordieux, n’avait-il pas attiré sur lui un châtiment peu miséricordieux ?
Conclusion
Bref, après la lecture que nous venons de faire, il semble que ce n’est plus l’exemple de Saint Jean-Baptiste, de Saint John Fischer et de Saint Thomas More qu’il faut prendre en considération, mais bien la « souffrance » vécue par Hérode et par Henry VIII dont on se demande s’ils n’ont pas vécu une injustice de la part de leurs contradicteurs supposément trop imprégnés de légalisme, de rigorisme et de rigidité ! Faut-il rester sans crainte, se dire que l’exhortation ne change pas la doctrine; que ce n’est qu’un développement pastoral ?
N’y avait-il pas moyen, tout en reconnaissant l’importance du souci pastoral pour les gens vivant dans des situations irrégulières, de rappeler – et c’est là une charité véritable et même une œuvre de miséricorde spirituelle – la « splendeur de la vérité » concernant le mariage, sans ambiguïté, sans équivoque, clairement et fermement, comme l’ont fait avant nous Saint Jean-Baptiste, Saint John Fischer et Saint Thomas More ?