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Un non-conformiste dur la chaire de Pierre,2005-2013
par Jean Kinzler 2015-08-07 12:10:29
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Une présentation tout à fait nouvelle de Benoît XVI. En provenance du Japon
Au pays du Soleil Levant, un grand livre propose une analyse originale de Ratzinger théologien et pape. Il a été écrit par un spécialiste de l’histoire et de la culture allemandes. Et son titre latin est: “Renovatio Europae Christianae”

par Sandro Magister


ROME, le 6 août 2015 – Après plus de deux ans de règne de François - peut-être le souverain pontife le plus applaudi de toute l’histoire - un livre important publié dans un pays lointain, le Japon, fait le portrait non pas du pape actuel mais – c’est une surprise – celui de l’homme humble et maltraité qu’est son prédécesseur.

Par son histoire et sa culture, le Japon est éloigné de l'Europe, et plus encore de cette Europe chrétienne en laquelle l’auteur voit la clé qui permet de comprendre le pontificat de Benoît XVI. Cela apparaît dès le titre, qui est en latin : "Renovatio Europæ Christianæ".

Pourtant, c’est justement cet éloignement du point d’observation qui donne son originalité au livre. Benoît XVI a reçu le volume en cadeau, il en a lu la longue synthèse en allemand qui lui a été préparée par l’auteur et il l’a trouvé "surprenant" et nouveau. Parce que ce texte n’a pas été conçu et rédigé "par quelqu’un qui fait partie de la communauté de foi, pas non plus selon le point de vue de mes adversaires, mais par quelqu’un qui se trouve en un troisième endroit, à l’extérieur".

L’auteur a pu lire cette phrase dans le message autographe de remerciement que le pape émérite lui a fait parvenir par l’intermédiaire de la nonciature de Tokyo.

Cet auteur s’appelle Hajime Konno. Il a 42 ans et il est agnostique, bien que descendant d’une famille de foi chrétienne orthodoxe. Entre 1998 et 2002 il a étudié l’histoire et la culture germaniques à l’université Humboldt de Berlin, et, dès cette époque, il s’est intéressé au "Kulturkampf" qui, en Allemagne, a divisé l’Église catholique à propos de la question des centres de consultations pour l'avortement. Depuis 2006 il enseigne la civilisation allemande à l'Université de la préfecture d’Aichi. À la fin du pontificat de Joseph Ratzinger il est retourné en Allemagne, à Munich, pour étudier sur place le catholicisme bavarois, notamment les pèlerinages à pied au sanctuaire marial d’Altötting et les processions de la Fête-Dieu. Il a écrit de nombreux ouvrages, dont un livre consacré à Max Weber qui a été traduit en allemand. Mais maintenant son principal ouvrage est ce livre qui, en près de 500 pages, offre pour la première fois au public japonais un portrait raisonné de Ratzinger théologien, sur fond d’histoire de l'Europe :

Hajime Konno, "Kyoko Benedikutusu Jurokusei. Kirisutokyoteki Yoroppa no Gyakushu [Benedictus PP. XVI. Renovatio Europae Christianae]", Tokyo, University of Tokyo Press, 2015.

Le livre est d’un grand intérêt même pour les non-Japonais. L'auteur en a écrit une longue synthèse en allemand, que l’on peut lire, sur ces pages web, à la fois dans la langue originale et dans la traduction en italien :

> "Renovatio Europae Christianae". Papst Benedikt XVI in der europäischen Geschichte

> "Renovatio Europae Christianae". Papa Benedetto XVI nella storia europea

Plus bas on peut également lire la partie finale de la synthèse, dans laquelle on remarque l'affirmation suivante :

"En fait il a été, par-dessus tout, le pape du "logos" : avec toute la force de sa parole, son arme la plus puissante, il a combattu pour l'Europe chrétienne".

Mais ce qui est encore plus intéressant, c’est le deuxième chapitre de la synthèse et du livre. Konno y met en évidence la prétention universaliste de l'Occident contemporain, qui veut imposer ses valeurs au monde entier, en excluant les cultures non occidentales, notamment les cultures asiatiques.

Il en résulte – souligne Konno – des conflits culturels non seulement en Occident, entre progressistes et conservateurs, mais également en Orient, comme par exemple au Japon entre universalistes et nationalistes.

Et l’Église catholique ? Konno répond que le christianisme a certes été, en Occident, la source des valeurs modernes, mais que, aujourd’hui, il est en conflit précisément avec les résultats et les affirmations antichrétiennes de cette modernité. C’est pourquoi l’Église catholique est comme un "Orient" en Occident. Et Ratzinger, d’abord en tant que théologien puis en tant que pape, a été un très grand protagoniste, lucide, de cette rencontre/opposition planétaire entre l’Église et la modernité.

Voici le sommaire de l’ouvrage:

PRÉFACE - "Le choc des civilisations" revisité vingt ans après

I - LA REDÉCOUVERTE DE L'"EUROPE CHRÉTIENNE"

1. Coopération entre l’Église et l’État en Allemagne
2. Un Allemand conservateur comme pape

II - "L'ORIENT EN EUROPE"

1. La formation de l’Église catholique romaine
2. Le cheminement vers l'anti-modernisme
3. Le temps des guerres mondiales et de la mobilisation des masses

III - SÉMINARISTE DANS L’ALLEMAGNE DE HITLER, 1927-1945

1. La naissance en Haute-Bavière
2. Le père, Georg Ratzinger
3. La Bavière et le national-socialisme

IV - EXPERT AU CONCILE, 1945-1966

1. L’Allemagne en 1945. "Adaptation" ou "destruction"?
2. "Prodige de la théologie". Ordination et recherche théologique
3. Le pape Jean XXIII et le concile Vatican II
4. L'action au concile en tant que théologien

V - PROFESSEUR CONTRE LA VAGUE, 1966-1977

1. L’Allemagne des années Soixante. La "destruction" renverse l'"adaptation"
2. Professeur à l'université de Tubingen
3. 1968. Le moment du virage de l’Allemagne d’après-guerre
4. Scepticisme à l’égard de la "dictature de l’époque"

VI - CHEF SPIRITUEL DE LA BAVIÈRE, 1977-1982

1. Archevêque de Munich et Freising
2. Déclarations pendant les années bavaroises
3. L’adieu à la mère-patrie

VII - CARDINAL DE FER AU VATICAN, 1982-2005

1. Préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi
2. L'interview accordée à Vittorio Messori
3. 1990. La fin de la guerre froide et le début de la mondialisation
4. Les entretiens avec Peter Seewald
5. Stratégie à deux faces pour l'"Europe chrétienne"

VIII – SUCCESSEUR DE SAINT PIERRE, 2005-2013

1. "Habemus papam"
2. Pontificat du "logos" et ouverture prudente
3. Foi et raison
4. Morale sexuelle
5. Hiérarchie et liturgie
6. Réponses au "choc des civilisations"
7. Entre "Bavarois" et "Allemand"
8. Pape émérite

IX - LE NON-CONFORMISTE DU SAINT-SIÈGE

POSTFACE – De la cathédrale Saint-Nicolas de Tokyo à Altötting en Bavière. Mon voyage dans le catholicisme bavarois

*

Voici donc, ci-dessous, la partie finale de la synthèse du livre qui a été écrite par l’auteur lui-même. Les notes et renvois bibliographiques, très abondants dans le texte intégral, ont été omis ici.

Parmi les témoins cités dans l’ouvrage figure aussi un Japonais, Yasuaki Satono, ancien étudiant du théologien Ratzinger et actuellement membre du "Schülerkreis", groupe de ses anciens élèves qui se réunit périodiquement à Rome.

Yasuaki Satono a publié au Japon trois essais consacrés à son professeur, intitulés respectivement :

- "Les enseignements du professeur Ratzinger et les souvenirs que j’ai de lui" ;
- "Le nouveau pape. Mon cheminement de foi" ;
- "Benoît XVI. Observations à propos de l’islam".

__________



UN NON-CONFORMISTE SUR LA CHAIRE DE PIERRE

par Hajime Konno


En la personne de Benoît XVI c’est un chef d’Église aux principes clairs et à la volonté forte qui est monté sur la scène de la politique mondiale. Le nom de pape qu’il s’était choisi, Benoît, indique qu’il portait sur son temps un diagnostic pessimiste, comparant la situation actuelle et la décadence qui caractérisait la romanité tardive à l’époque de saint Benoît. Déjà, dans l’homélie qu’il avait prononcée à la veille de son élection, le 18 avril 2005, il avait pris clairement position à ce sujet.

L'objectif du pape a été avant tout la défense et le renforcement des bases chrétiennes de l'Europe, même si, au cours de son pontificat, la curie s’est également occupée de manière intense des relations avec des pays non européens s, comme par exemple les républiques socialistes de Chine et du Vietnam. Benoît n’avait pas l’intention de se soumettre à la mode et de limiter à gouverner avec application. Il voulait décider de ce qui devait être changé et de ce qui ne devait pas l’être, toujours à partir de la position de l’Église et indépendamment de l’esprit du temps. En effet il ne s’est pas du tout voué à l'anti-modernisme. Il voulait simplement préserver les éléments qu’il considérait comme nécessaires à l’Église, sans se préoccuper de savoir s’ils étaient modernes ou bien pré-modernes. Il a fait retirer du blason pontifical la tiare papale, il a renoncé au titre de "patriarche d'Occident", il a abordé avec passion les problèmes d’environnement.

En fait il a été, par-dessus tout, le pape du "logos" : avec toute la force de sa parole, son arme la plus puissante, il a combattu pour l'Europe chrétienne. Il a ouvert l’Église aux moyens de communication les plus récents, y compris YouTube et Twitter, il a réhabilité le latin et la messe tridentine, il a tendu la main à la Fraternité Saint Pie X, il a consolidé la liturgie en tant que concrétisation solennelle des mystères, il a mis l’eucharistie au centre de la vie chrétienne, il a encouragé la distribution de la communion dans la bouche et il n’a pas eu peur, même après les très vives critiques dont son discours de Ratisbonne avait été l’objet, de parler de la violence des islamistes radicaux.

Dans le cadre du mouvement œcuménique, le pape Benoît XVI a choisi avec soin ses interlocuteurs, tels que l’Église orthodoxe et l’Église anglicane. Avec l’une comme avec l’autre il a établi de bons contacts, même s’il a invité les dissidents conservateurs anglicans à s’unir à l’Église catholique. Le point culminant de l’amitié entre les catholiques et les orthodoxes a été sa rencontre avec le patriarche œcuménique de Constantinople. Benoît XVI s’est en outre rendu en visite en Grande-Bretagne, où il a rencontré à la fois la reine Elizabeth II et l'archevêque de Canterbury, Rowan Williams, et où il a béatifié, à Glasgow, le cardinal John Henry Newman. Il n’a pas été possible d’organiser un voyage en Russie ; toutefois Benoît avait également de bonnes relations avec le patriarche de Moscou, Cyrille Ier, depuis l’époque où celui-ci était métropolite de Smolensk et de Kaliningrad. Mais même si, à l’époque du concile, Ratzinger avait cherché à établir une appréciation positive du protestantisme, le pape Benoît XVI a gardé ses distances par rapport aux "communautés ecclésiales" de la réforme.

Les progressistes, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Église catholique, n’ont pas reconnu au pape le droit d’agir de manière autonome, au-delà de l’esprit du temps. Dans ces milieux, un souverain pontife qui avait pris comme devise "cooperatores veritatis" était considéré comme un prince de l’Église arrogant, insupportable. Ils se sont efforcés par tous les moyens de créer une image négative du pape et ils ont exulté lorsque, de façon inattendue, il a renoncé au souverain pontificat. Parmi ces moyens, l'anti-germanisme a occupé une place importante. La méthode consistant à stigmatiser Ratzinger en tant qu’Allemand, alors qu’il n’a que rarement mis en évidence son identité germanique, ressemble à celle qu’emploient les antisémites lorsqu’ils persistent à accuser les juifs convertis de continuer à être juifs.

En Allemagne, son pays natal, le pape Benoît XVI a toujours été discuté. D’une part son élection a constitué une sorte de choc libérateur. Le fait qu’un Allemand ait été élu pape et que, par conséquent, il soit devenu, pour ainsi dire, l’autorité spirituelle suprême de l'Occident, était en lui-même sensationnel. Des tabloïds britanniques tels que "The Sun" n’ont pas pu s’empêcher de composer des titres railleurs ("From Hitler Youth to... Papa Ratzi"). À tout cela Benoît a réagi en faisant montre d’un patriotisme bavarois plutôt qu’allemand et en allant visiter, le 28 mai 2006, l'ancien camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau. Dans le même temps, toutefois, il faisait également ressortir l'importance de l’Allemagne. Les progressistes n’ont négligé aucun moyen pour mettre en évidence le problème des abus sexuels et celui de la Fraternité Saint Pie X, leur objectif étant de saper l'autorité du pape. Les catholiques conservateurs allemands - par exemple ceux qui étaient réunis autour de l'initiative "Deutschland pro Papa" ou dans le "Forum Deutscher Katholiken" - se sont trouvés désarmés face au climat d’anticléricalisme très marqué qui régnait dans l'opinion publique allemande.

Même si Benoît XVI n’avait pas l’intention de le faire expressément, il a, en réalité, mis en discussion le domaine des valeurs modernes. Dans le contexte de sa critique du marxisme, il a donné son appui à la démocratie parlementaire occidentale ; cependant ce soutien qu’il a apporté à la démocratie n’était certainement pas inconditionnel. Il a refusé fermement d’introduire celle-ci dans l’Église, qui est organisée selon un modèle hiérarchique. De même il portait un regard sceptique sur les sondages d’opinion. Cette distance qu’il prenait par rapport à la volonté populaire ne s’explique pas uniquement par l'expérience du mouvement étudiant qu’il avait vécue au cours des années Soixante ; elle est déjà enracinée dans les distances qu’il avait gardées à l’égard du national-socialisme qui, à son époque, recueillait pourtant des applaudissements soutenus de la majorité de la population. Par ailleurs il ne partageait pas le jugement optimiste porté sur l’homme actuel et sur les progrès de la société.

Son attitude était dans la ligne du conservatisme social chrétien. Se montrant favorable à la famille et au mariage hétérosexuel, il était en contradiction avec la multiplication des modèles de familles. Mettant l’accent sur le rôle du christianisme en tant que base pré-politique de la démocratie libérale, il s’opposait à la laïcité. Benoît a désapprouvé la critique qui a été faite de l'eurocentrisme et il a réaffirmé le caractère chrétien de l'Europe. À propos des questions politiques, mais aussi et surtout à propos des questions culturelles, il a pris position et il s’est comporté en défenseur actif de la vieille culture européenne contre les vagues de la mondialisation.

Le pape Benoît XVI a été un non-conformiste sur la chaire de Pierre. Lorsque, depuis son siège doré, il donnait sa bénédiction en latin, lorsqu’il excommuniait les dissidents, lorsqu’il maintenait l’union de l’Église universelle et affirmait l'unicité de la foi catholique, il montrait en effet son côté autoritaire. Il n’est pas étonnant que ses détracteurs, comme Leonardo Boff ou Johann Baptist Metz, l’aient critiqué. Cependant la question peut aussi être envisagée de manière différente, si l’on examine la situation dans laquelle se trouve l’Église. Si l’on tient compte de la position dominante qu’occupent les valeurs modernes, l’Église catholique est une minorité opprimée tandis que ceux qui la critiquent appartiennent à la majorité. C’est pourquoi l'attitude autoritaire de Ratzinger était une réaction face à la situation de ce moment-là.

En tout cas, l’esprit combatif n’a été qu’un trait de caractère de Joseph Ratzinger parmi d’autres. Tout en se cuirassant, en un certain sens, contre ceux qui le contestaient, il n’a jamais perdu sa disponibilité au dialogue. C’est ainsi qu’il a accueilli amicalement, à Castel Gandolfo, même celui qui le critiquait le plus sévèrement, Hans Küng. Dans ses encycliques, le pape Benoît XVI a traité à de nombreuses reprises des thèmes tels que "l’amour" et "l’espérance". Il est essentiellement resté un patriote bavarois et il a toujours gardé dans le cœur le même enthousiasme per la procession de la Fête-Dieu. En ce sens il ressemble à Lan Ling Wang (Gao Changgong), un prince de la Chine ancienne. Même si celui-ci, sur le champ de bataille, combattait en portant un masque représentant le diable, les traits de son visage, sous ce masque, étaient délicats.


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Traduction française par Charles de Pechpeyrou, Paris, France.chiesa
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