Le Père Fessio m'a écrit qu'il n'était pas certain de sa thèse, qu'il croyait qu'elle était peut-être erronée. Selon moi, la thèse du Père Fessio est évidemment erronée. Ce qui ne veut pas dire qu'il soit nécessairement facile de démonter le sophisme sur lequel s'appuie cette erreur. Zénon allait à l'encontre d'une évidence lorsqu'il niait le mouvement, mais ses sophismes ne peuvent par contre pas être réfutés par le premier venu. Mais il faut tout de même être capable de distinguer ce qui est évident de ce qui ne l'est pas. Même si on est incapable de résoudre les sophismes de Zénon, il faut être capable de voir qu'il nie une évidence. De la même façon, il faut être capable de voir que l'avortement direct est évidemment toujours un mal moral plus grand que la contraception ou l'infanticide.
Jean-Paul II (Evangelium vitae, no 13) compare la contraception et l'avortement. Il est bien clair que, selon lui, l'avortement est un mal moral beaucoup plus grave que la contraception.
«Certes, du point de vue moral, la contraception et l'avortement sont des maux spécifiquement différents: l'une contredit la vérité intégrale de l'acte sexuel comme expression propre de l'amour conjugal, l'autre détruit la vie d'un être humain; la première s'oppose à la vertu de chasteté conjugale, le second s'oppose à la vertu de justice et viole directement le précepte divin « tu ne tueras pas ». Mais, même avec cette nature et ce poids moral différents, la contraception et l'avortement sont très souvent étroitement liés, comme des fruits d'une même plante.»
http://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/encyclicals/documents/hf_jp-ii_enc_25031995_evangelium-vitae.html
Le Père Fessio argumente à partir d'une conséquence possible de l'usage de la contraception utilisée dans certaines circonstances (contraception utilisée par des époux qui, sans raisons sérieuses, veulent éviter une naissance). Il dit que cela peut avoir pour effet qu'un être humain voulu par Dieu sera privé de l'existence et de la vie éternelle, ce qui est beaucoup plus grave, selon lui, que l'avortement qui ne fait qu'abréger l'existence terrestre d'un être humain. Comme il y a un fossé abyssal entre être et ne pas être, il en déduit que le mal moral de la contraception, dans certaines circonstances, est beaucoup plus grand que celui de l'avortement. Bien des couples catholiques seront peut-être convaincus de la conclusion, même s'ils ne retiennent pas l'argumentation. Cela risque de produire une grande anxiété chez ces couples, comme l'a admis lui-même le Père Fessio dans un courriel qu'il m'a adressé. Pour cette raison, il m'a dit qu'il ne voulait pas faire état de sa thèse publiquement (mais celle-ci a tout de même été rendue publique dans La Chiesa).
Je pense que, dans ce cas précis (je ne sais pas s'il fait cela en général), le Père Fessio tombe dans une forme larvée du conséquentialisme. Jean-Paul II a dénoncé cette façon d'argumenter en morale dans Splendor Veritatis (no 75).
http://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/encyclicals/documents/hf_jp-ii_enc_06081993_veritatis-splendor.html
Dans le dernier courriel que j'ai écrit au Père Fessio, je lui ai présenté un exemple afin de lui manifester que sa façon d'argumenter est incorrecte. Il me semble que cet exemple manifeste bien son erreur.
Cher Père Fessio,
(...)
Voici donc l'exemple auquel j'ai songé. Quelqu'un se sait en état de péché mortel et, par paresse ou négligence, il néglige de se confesser ou de faire un acte de contrition parfaite et il meurt dans cet état à cause de son omission. Son omission le conduit en enfer ce qui va contre la volonté de Dieu de voir cet homme au Ciel pour l'éternité. Cette omission produit donc le pire mal possible: l'enfer éternel pour cette âme et le prive du meilleur bien possible: l'éternité avec Dieu. De là, quelqu'un pourrait penser que l'omission à se confesser, qui prive un homme du Ciel pour l'éternité, est un mal plus grave que l'homicide volontaire, qui consiste simplement à abréger la vie d'un être humain. Une vie abrégée n'est rien en comparaison de la privation du Ciel voulu par Dieu pour cet homme.
Mais le péché de cet homme est un péché de paresse ou de négligence (en matière grave) qui est moins grave que le péché d'homicide volontaire. Il ne veut pas le mal de l'enfer. Son péché ne consiste pas à préférer l'enfer au Ciel et à vouloir faire ce qu'il faut pour être damné. Ce péché ne consiste pas à empêcher la volonté de Dieu qu'il vive éternellement au Ciel.
Il me semble que vous faites un raisonnement semblable. Par paresse, par égoïsme, par avarice ou pour une cause semblable, un couple marié omet d'avoir un enfant pour des motifs qui ne sont pas suffisamment sérieux. Il en résulte qu'un homme voulu par Dieu n'ira pas au Ciel (il est vrai que cet homme pourrait aussi aller en enfer, mais laissons de côté ce problème et faisons comme s'il devait aller au Ciel). Vous en concluez que cette omission à procréer, dans ces circonstances, est pire qu'un avortement puisque dans un cas on empêche la volonté de Dieu qu'un enfant vive éternellement au Ciel tandis que dans l'autre on ne fait qu'abréger une vie humaine.
Mais le péché de ce couple est un péché de paresse, d'égoïsme ou d'avarice (en matière grave) qui est moins grave que l'avortement. Ce couple ne veut pas qu'un être humain soit privé de l'existence et de la possibilité de vivre au Ciel pour l'éternité. Son péché ne consiste donc pas à empêcher une existence humaine susceptible de vivre éternellement au Ciel. Ce péché ne consiste pas à empêcher la volonté de Dieu de voir un être humain vivre éternellement au Ciel.
Salutations bien cordiales.
Le fait qu'il veuille s'opposer à une thèse erronée, ne justifie pas l'erreur commise également par le Père Fessio.