Messages récents | Retour à la liste des messages | Rechercher
Afficher la discussion

Don d’organes. Un amendement déplorable
par Jean Kinzler 2015-04-01 17:49:59
Imprimer Imprimer

Chaque année en France sont pratiquées plus de 5.000 greffes d’organes, principalement de rein, de foie et de cœur. Bien des vies sont ainsi sauvées, et des milliers de malades atteints d’insuffisance rénale échappent aux astreintes si éprouvantes de la dialyse. Sous le contrôle vigilant de l’Agence de la Biomédecine, le nombre des greffes est en constante progression, grâce à la mobilisation de médecins attentifs à déceler les cas de décès où des prélèvements seraient envisageables, grâce aux coordinateurs et coordinatrices qui veillent dans les hôpitaux à l’organisation et à l’humanisation de ces pratiques.

Malgré tous ces efforts, les listes de malades en attente de greffe, loin de diminuer, ont tendance à s’allonger, du fait des avancées de la médecine qui étendent les indications des greffes à des âges plus avancés. Il n’est pas sûr que notre système de santé puisse un jour satisfaire toutes les demandes, mais, comme c’est inscrit dans la législation française, les progrès en ce domaine constituent une priorité nationale.

Le 13 mars, deux députés, M. Jean-Louis Touraine et Mme Michèle Delaunay, déposaient un amendement dans l’objectif de faciliter l’activité de prélèvement. Accepté le 19 mars par la Commission Sociale de l’Assemblée nationale, il a très rapidement suscité les réserves ou l’opposition de médecins et d’associations qui militent en faveur du développement des greffes. S’il était définitivement approuvé par le Parlement, il contribuerait à déshumaniser les pratiques de prélèvement et risquerait de se retourner contre l’objectif recherché. Un examen attentif s’impose.

Le « consentement présumé »

Le principe général inscrit dans la loi française à propos de tout prélèvement d’organe ou de tissu est celui du « consentement préalable du donneur[1]. » Mais ce principe est appliqué en France de façon surprenante. La loi Caillavet a précisé en 1976 que « des prélèvements peuvent être effectués à des fins thérapeutiques ou scientifiques sur le cadavre d’une personne n’ayant pas fait connaître de son vivant son refus d’un tel prélèvement. » Qui n’a pas dit non est réputé avoir consenti ! On a appelé cela « consentement présumé ». Présomption audacieuse et de fait hypocrite, puisque la loi, bien qu’adoptée il y a près de 40 ans, demeure mal connue ! Bien des français pensent en effet qu’une carte de donneur est requise avant tout prélèvement. Or la possession d’une carte de donneur n’a pas de valeur légale, et en l’absence de carte les prélèvements ne sont pas, de ce seul fait, interdits.

La logique de la loi imposait de prévoir des modalités de refus. Cela a finalement conduit à mettre sur pied un registre national automatisé, mais peu de français en connaissent l’existence, un plus petit nombre encore sait comment s’y inscrire. Dans de telles conditions, il est difficile de présumer honnêtement le consentement d’une personne, à partir du seul fait qu’elle ne s’est pas inscrite dans le registre.

A l’issue de nombreux débats, il a été décidé de recourir aussi au témoignage de la famille. La loi de 1994 prescrit ainsi au médecin qui n’aurait pas directement connaissance de la volonté du défunt, de « s’efforcer de recueillir le témoignage de sa famille[2] ».

En l’absence d’inscription dans le registre automatisé, l’équipe de prélèvement interroge donc la famille sur la position du proche décédé. En une circonstance aussi douloureuse, l’échange est toujours délicat, mais bien des hôpitaux ont recruté des infirmières et des médecins coordinatrices et coordinateurs de prélèvement spécialement formés à ce dialogue. Témoignant de compréhension de la souffrance de la famille, ils s’efforcent de répondre avec tact à toutes les questions posées. Ils aident ainsi les proches à mieux percevoir l’attitude générale du défunt, et le cas échéant, ses volontés précises à propos du don d’organes. Il en ressort le plus souvent que le défunt n’avait pas refusé, qu’il avait même peut-être accepté positivement à l’avance le don d’organes. Cela permet de procéder aux prélèvements dans un climat apaisé.

Le dialogue peut aussi faire apparaître l’opposition du défunt. Ou bien la famille est dans un tel désarroi que les médecins jugent qu’il serait inhumain de procéder à un prélèvement. Actuellement, cela conduit l’équipe soignante à renoncer au prélèvement dans un cas sur trois. Des organes qui, médicalement parlant, auraient pu être prélevés ne le sont pas. Des malades qui auraient bénéficié de la greffe de ces organes restent dans l’attente de greffons. C’et regrettable, et il est souhaitable d’améliorer le cours des choses.

Une appropriation collective des corps

M. Touraine et Mme Delaunay proposent un moyen apparemment simple. Puisque des familles expriment une opposition aux prélèvements, il suffit de ne plus entrer en dialogue avec elles, de ne plus prévoir qu’un seul mode d’expression du refus, l’inscription sur le registre national automatisé, et de procéder au prélèvement sur tout défunt qui ne se serait pas inscrit sur ce registre. On change la loi, on évite tout dialogue, et on agit. Le nombre des prélèvements est censé augmenter considérablement. Et nombreux seraient les malades à pouvoir bénéficier d’une greffe…

C’était déjà la logique de la loi Caillavet du 22 décembre 1976, destinée à écarter les familles. L’amendement proposé représente donc un simple retour en arrière.

Son exposé des motifs est d’une totale hypocrisie. « Il convient d’imposer le respect de la seule volonté de chaque sujet adulte, à l’instar de la philosophie qui gouverne les droits du patient, qui garantit à chacun le droit à disposer de son corps ou qui assure le respect des dispositions testamentaires de chaque personne décédée. Il doit en être de même pour le choix ou le refus de donner ses organes. »

Est-ce vraiment respecter « la seule volonté de chaque sujet adulte » que de décider que celui qui n’a pas dit non est censé – même s’il ne s’est pas posé la question – vouloir donner ses organes, et qu’une opposition n’est prise en compte que si elle est inscrite sur un registre peu accessible ? En réalité, n’est-ce pas plutôt considérer le corps humain après la mort comme une réserve d’organes exploitable en fonction des besoins de la société, quitte à ouvrir la soupape de l’inscription éventuelle des refus sur un registre ? N’est-ce donc pas une forme d’appropriation collective des corps ?

Paradoxalement, juste avant le débat sur l’amendement considéré, la Commission Sociale avait examiné un autre amendement tendant « à ce que toute personne souhaitant faire don de ses organes après sa mort puisse faire mentionner cette volonté sur sa carte Vitale ». Chacun aurait ainsi pu faire connaître son choix de faire don de ses organes. Cette proposition fut rejetée sans discussion !

La violence de prélèvements sans dialogue

Selon l’amendement accepté le 19 mars, « les proches du défunt doivent être informés des prélèvements envisagés ». Informés, et non plus interrogés sur les volontés antérieures du défunt. Les médecins devraient donc ne plus entrer en dialogue avec la famille.

C’est inapplicable, juge Bruno Riou, responsable de la coordination des prélèvements d’organes à la Pitié Salpêtrière, à Paris. « On n’ira jamais contre la volonté d’une famille totalement opposée[3] »

La logique productiviste de l’amendement ne tient pas compte de l’épreuve que représente tout prélèvement d’organes pour les proches du défunt, du fait de la difficulté à accepter d’une part la mort, bien souvent imprévue, d’un être aimé et d’autre part l’effraction de son corps. Celui-ci, loin de n’être qu’un pur objet, demeure le symbole d’une présence antérieure et d’une histoire commune. La souffrance ressentie est amplifiée par la nécessité de décisions rapides et par des doutes sur la réalité du décès. Prélever sans dialogue antécédent peut être d’une violence inouïe. Les professionnels de santé engagés dans ces procédures en sont bien conscients.

S’il n’est pas entouré de règles destinées à humaniser une telle pratique, le prélèvement d’organes est source, dans les professions de santé, d’un profond malaise. Or, il y a un moyen d’éviter ce malaise, c’est de ne pas faire connaître les cas de décès où des prélèvements seraient envisageables ! Une logique productiviste et déshumanisée conduit donc à une diminution des prélèvements ! Elle se retourne, contre l’objectif recherché.

M. Touraine se veut, certes, rassurant : « Cette mesure n’est pas faite pour forcer la main des familles opposantes. Ce sera précisé ultérieurement par décret ou par circulaire, mais le prélèvement ne se fera jamais en force. S’il y a la moindre trace d’un refus, ou si la famille est très revendicatrice, cela ne se fera évidemment pas[4]. »

Si M. Touraine est sincère, on peut se demander pourquoi il propose un changement de la loi qui la rendrait illisible, et qui risque de susciter la méfiance de la population. Celle-ci pourrait craindre que, sous couvert de respect de la liberté des personnes, le pouvoir soit de fait abandonné à l’institution médicale.

Des modifications majeures des prélèvements

L’amendement est d’autant plus malencontreux que l’Agence de la Biomédecine autorise depuis quelques années des prélèvements d’organes selon des protocoles quasiment inconnus de la population. Des prélèvements ont désormais lieu sur le corps de personnes victimes d’arrêt cardiaque inopiné. Il est prévu aussi, dans des cas où une décision d’arrêt de traitement médical aurait été prise, d’attendre l’arrêt du cœur pour ensuite, très rapidement, prélever des organes. Il est de la plus haute importance que la population soit persuadée que l’arrêt de traitement est alors décidé pour éviter une obstination déraisonnable, et non pas pour faciliter les prélèvements. Mais on perçoit facilement combien cette question est délicate. Des doutes distillés à ce propos dans la population susciteraient la méfiance de nos concitoyens, et mettraient en danger la cause des greffes d’organes.

Le manque d’informations en ce domaine est regrettable, surtout dans un pays « présumant » le consentement. De plus, la confiance de la population ne peut être considérée comme définitivement acquise. Un des signes en est l’extrême timidité de l’Agence de la Biomédecine à évoquer ces nouveaux modes de prélèvement. Ce n’est donc pas le moment de mettre à distance les familles et d’exprimer ainsi une défiance à leur égard.

Des propositions plus adaptées

La situation actuelle est cependant loin d’être idéale. La reconnaissance d’une « priorité nationale » exige de chercher à l’améliorer. Parmi les positions qui se sont exprimées, nous reprendrons celle de France-Adot, association qui milite depuis longtemps pour le développement des greffes. Cette association « redoute une très forte levée de boucliers (elle se manifeste déjà) contre ce projet [d’amendement]. Cela le rendrait inapplicable et pourrait entraîner une forte chute des dons, une méfiance des familles et la remise en cause de la volonté d’être donneur chez nombre de nos concitoyens[5]. »

L’association demande donc le retrait de l’amendement dans sa forme actuelle. Elle recommande d’améliorer l’information du public et l’accueil des familles en détresse face au décès d’un proche ; cela exige de disposer de personnels plus nombreux et bien formés dans les coordinations hospitalières de prélèvement. Elle suggère aussi de transformer le registre national des refus en « Registre National des Positionnements », pour que le citoyen puisse exprimer son choix et faire respecter sa volonté.

Ces suggestions sont prudentes et sages. La collecte des organes peut – et doit – être améliorée. Mais il est simpliste et illusoire de penser qu’il suffit pour cela de changer la loi. Le prélèvement d’organes sur personne décédée affronte à la réalité de la mort. Ce n’est pas en dispensant du dialogue, mais au contraire en favorisant la parole et les relations humaines que l’on peut espérer dépasser les peurs et les réticences, et développer ce geste de solidarité qu’est un véritable « don » d’organes.

Patrick VERSPIEREN sj

31 mars 2015

[1] Article L1211-2 du Code de la santé publique.
[2] Loi n° 94-654 du 29 juillet 1994..
[3] Dr Bruno Riou, cité par François Béguin, « Des organes bientôt prélevés sans l’avis des familles ? », Le Monde, 25 mars 2015.
[4] Dans Le Monde, article cité.
[5] FRANCE-ADOT, déclaration du 27 mars 2015 : « FRANCE ADOT et le projet de loi DELAUNAY-TOURAINE ».eglise.catholique.fr

     

Soutenir le Forum Catholique dans son entretien, c'est possible. Soit à l'aide d'un virement mensuel soit par le biais d'un soutien ponctuel. Rendez-vous sur la page dédiée en cliquant ici. D'avance, merci !


  Envoyer ce message à un ami


 Don d’organes. Un amendement déplorable par Jean Kinzler  (2015-04-01 17:49:59)
      Soleil vert? par PEB  (2015-04-01 23:26:50)


210 liseurs actuellement sur le forum
[Valid RSS]