Monseigneur Lefèvre, l’évêque des nationalistes marocains

C’était le genre de personnalités que le protectorat français et ses dirigeants étaient obligés de respecter faute de l’aimer. Respecter parce que c’était un homme d’église dans une France certes laïque mais qui se considérait « fille aînée de l’Eglise » ; ne pas l’aimer parce qu’il s’est permis de dire, et surtout d’écrire et de diffuser des convictions qui allaient à l’encontre des intérêts supérieurs de son pays.
Le sort a voulu qu’il s’appelât de son vrai nom Louis-François-Bienaimé Lefèvre, mais son nom en religion, qu’on choisit quand on entre dans les ordres, était Louis-Amédée Lefèvre. Il s’agit de Mgr Lefèvre, l’évêque de Rabat (l’archidiocèse de Rabat ne sera érigé qu’en 1955), entré dans l’histoire marocaine en février 1952 quand il rendit publique sa fameuse lettre pastorale dans laquelle il exprimait sa compréhension envers les revendications nationalistes marocaines et appelait les chrétiens, français, mais également d’autres nationalités qui résidaient au Maroc, à comprendre les « aspirations des Marocains » et accepter la « nécessaire évolution du Maroc ».
Cette conviction peut paraître aujourd’hui innocente, voire candide, mais à l’époque c’était une véritable bombe, dans le sens politique du terme bien entendu, qui avait été jetée dans l’arène du protectorat français.
Un prêtre qui oublie la vocation pastorale et spirituelle de son église catholique, apostolique et romaine pour prendre la défense d’indigènes musulmans, voilà qui ne pouvait que déplaire au puissant, trop puissant, résident général de la France au Maroc, le général Augustin Guillaume, tout auréolé du prestige d’être sorti victorieux de la Seconde Guerre mondiale et qui va, l’année suivante déposer le sultan Mohammed V.
Dans les territoires gouvernés par la France dans son protectorat marocain, la lettre pastorale de Mgr Lefèvre tomba mal parmi les éléments chrétiens radicaux, particulièrement les Français, mais à part une colère contenue qu’il s’évertua à cacher en public, le général Guillaume n’entreprit pas d’exercer, du moins officiellement, des représailles contre le prélat.
Ailleurs, dans les milieux nationalistes, on ne pouvait que se réjouir de cette sortie médiatique d’un haut dignitaire censé être le guide spirituel de beaucoup de ceux qui asservissaient les Marocains.
Le 18 novembre de 1952 pour marquer l’approbation de ce geste de solidarité envers les Marocains, le sultan Mohammed V invita pour la première fois l’évêque de Rabat à la fête du trône. Et en 1956, le prince Moulay Hassan, le futur Hassan II, rendit visite au Vatican au pape Pie XII pour rendre hommage à l’attitude du clergé et de la hiérarchie catholiques du Maroc durant le protectorat.
Resté au Maroc après l’indépendance, Mgr Louis-Amédée Lefèvre, devenu archevêque en 1955, est mort à Rabat à l’âge de 77 ans. Ce religieux franciscain, comme l’actuel pape François, a publié un livre en 1963, « Vivre et servir au Maroc », dans lequel il explique avec une infinie humilité son histoire marocaine.
De l’avis des historiens de l’Algérie, sa lettre pastorale de 1952 a encouragé et inspiré beaucoup d’hommes d’église en Algérie au moment de choisir entre une Algérie française et une Algérie algérienne.
En ces temps troubles de « guerre des civilisations » pour certains, de « religions » pour d’autres, il est bon de rappeler le souvenir de Mgr Lefèvre, un frère en marocanité et en humanité de tous les Marocains.

Adnan Sebti
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zamane.ma

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