2. Vous prétendez - gratuitement - avoir "réfuté" un "raisonnement" que vous m'attribuez.
Je ne cherche nullement à "créer" un schisme. La vérité, c'est qu'aucune des personnes ou des courants que vous attaquez, personnes ou courants passés ou présents, n'aurait songé un seul instant à résister en quoi que ce soit à Paul VI et successeurs si ces derniers n'avaient pas avant toute chose et les premiers (du moins pour ce qui regarde Paul VI) opérer un schisme - au moins apparent - avec la tradition de l'Eglise.
Normalement, vous et moi sommes d'accord pour reconnaître que substantiellement l'Eglise ne change pas et ne peut pas changer. En conséquence, la relation de chaque baptisé avec l'Eglise et avec la parole de l'Eglise (le magistère) reste et doit rester la même. C'est une disposition et une adhésion de l'intelligence et de la volonté - adhésion qui culmine dans l'acte de foi, lorsque l'autorité ecclésiale atteste qu'une proposition donnée est révélée ou connexe au Donné Révélé.
Mais évidemment, là où nous divergeons, c'est lorsqu'il est question d'assentir à ce qui se présente aujourd'hui et depuis cinquante ans comme étant la parole de l'Eglise. Il faut convenir que sur un certain nombre de points (non négligeables) il y a au moins les apparences de d'une contradiction par rapport avec ce que l'autorité a déjà défini, par rapport à ce que les croyants reçoivent déjà dans la lumière de la foi.
En l'espèce, le libre-examen consisterait à envoyer promener, sous prétexte d'obéissance envers les personnages en place, ce que nous croyons déjà dans la lumière de la foi, c'est-à-dire dans la lumière de l'Autorité incréée de Dieu révélant. Cela reviendrait ni plus ni moins à perdre la foi.
Contradiction au moins apparente ai-je écrit. Comme une contradiction réelle est en effet impossible - en tant qu'assumée réellement par l'autorité - vous voulez postuler la continuité par-delà les apparences que vous présumez trompeuses a priori. Autrement dit, vous postulez que les apparences de rupture sont trompeuses parce que, selon vous, les apparences canoniques (élection et reconnaissance d'un pape) ne peuvent jamais être trompeuses.
Sauf que, sur ce dernier point, l'histoire et plus encore le droit de l'Eglise sont témoins du contraire. La question dite du "pape hérétique" ou du "pape schismatique" a été librement débattue par les théologiens, de Turrecremata à Journet, en passant par Cajetan, Bellarmin ou Billuart. Avant d'être débattue par les théologiens, cette question fut d'abord vécue par les acteurs de la vie de l'Eglise, et sans aucun tabou, de saint Bruno de Segni au flamboyant et contestable Savonarole (cf. sa réhabilitation théologique par le Père Hurtaud, in Revue thomiste, 1900, pp. 631 et ss.) en passant par les contemporains et les saints du Grand Schisme.
Et surtout l'hypothèse même de l'élection d'un pseudo-pape et de l'adhésion de l'Eglise (dans un premier temps) à ce pseudo-pape a été validée par la Bulle Cum ex apostolatus du pape Paul IV (législation reprise par saint Pie V).
Or l'infaillibilité prudentielle des lois de l'Eglise "est si certaine théologiquement que la nier serait une erreur très grave et même, selon l'opinion de la majorité, une hérésie" (Cardinal Franzelin, De Traditione, thèse 12).
Il s'ensuit que la Bulle Cum ex apostolatus , même si ses dispositions légales ne sont plus en vigueur (ce qui est discutable) n'a pas lu légiférer relativement à une hypothèse contraire à la constitution divine de l'Eglise. Autrement dit : l'hypothèse envisagée peut devenir réalité - à savoir : l'élection d'un pseudo-pape et de l'adhésion de l'Eglise (dans un premier temps) à ce pseudo-pape.
Par conséquent les apparences d'une élection canonique valable (pour Paul VI) laissent rigoureusement intact le problème des apparences de rupture dans Vatican II et dans la réforme des rites sacramentels.
C'est un fait qu'à "gauche" comme à "droite", à l'extérieur comme à l'intérieur de l'Eglise, Vatican II et le post-concile officiel sont regardés comme une rupture avec la tradition de l'Eglise. Et c'est un fait que ce constat est probablement majoritaire. "On nous change la religion".
Quelle a été la réponse officielle sous Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI ? C'est-à-dire du côté de ceux qui ont maintenu la thèse de la continuité. "Vatican II doit être bien interprété" ; "Vatican II doit être interprété à la lumière de la tradition" ; il faut recourir à "l'herméneutique de continuité" etc.
Mais, pareilles réponses ne font que souligner le caractère atypique de Vatican II. La parole de l'Eglise (le magistère) dès lors qu'elle s'exprime, n'a pas à être interprétée pour être comprise et reçue : c'est la parole de l'Eglise qui interprète authentiquement. D'ailleurs, sur chaque question qui se pose, quelle interprétation choisir ? Les "herméneutes" ne sont pas d'accord entre eux. Loin s'en faut. Avouer que Vatican II a besoin encore et toujours d'être interprété, c'est signifier - qu'on le veuille ou non - que Vatican II, de soi, ne fait pas autorité et ne requiert pas l'assentiment des catholiques.
Face à ce problème, et face aux critiques de "droite" et de "gauche" qui voient dans Vatican II une évidente rupture - évidente selon le sens obvie des concepts usités - quelle est la responsabilité d'une autorité digne de ce nom ? Interpréter avec autorité (précisément). Ce qui ne revient pas à invoquer "l'herméneutique de continuité" de façon incantatoire, mais bien à manifester soi-même - ex officio - en quoi il y a continuité ou rupture.
Or il n'y a rien de tel. L'autorité apparente se garde bien d'enseigner ex officio en quoi les "nouveautés" de Vatican II constituent un développement homogène du dogme et de la doctrine catholique. Au mieux, elle laisse faire ce travail à des théologiens ou apprentis théologiens plus ou moins bien mandatés, mais qui parlent en tout et pour tout de leur propre chef... et qui de surcroît et surtout ne sont pas d'accord entre eux ! Les praticiens de "l'herméneutique de continuité" ne font que prolonger la querelle des interprétations.
Pendant ce temps, l'autorité apparente ne lève pas les indéterminations : elle est concrètement démissionnaire.
On pourra objecter que sur d'autres questions - que les questions brûlantes soulevées par Vatican II et par la réforme des rites sacramentels - l'autorité apparente est loin d'être démissionnaire, notamment sur le chapitre de la loi naturelle. Mais est-ce si sûr ? Surtout à l'heure du synode de "pape François", l'ami des lapins.
Depuis Vatican II, on a vu se multiplier les prises de parole les plus aberrantes possibles chez les théologiens en place. Quelques uns - c'est vrai - ont été interdits d'enseignement. Ils ne sont pas si nombreux à avoir été "sanctionnés" au regard de l'ampleur du phénomène. Outre quoi, combien ont été dûment condamnés par l'autorité apparente en raison des hérésies publiquement professées ? Un seul cas vraiment notable : le théologien sri-lankais Tissa Balasuriya, condamné en 1997... et réintégré l'année suivante après une vague rétractation. Suite à quoi l'intéressé s'est empressé de déclarer publiquement qu'il n'avait aucunement changé de convictions ! Mais alors, là aussi, quid de l'autorité apparemment engagée ? N'y a-t-il pas là encore démission de l'autorité apparente ? Y compris (et surtout ?) dans ce qu'elle tente de maintenir.
Sous ce double rapport - absence de tout enseignement autorisé manifestant ex officio en quoi il y a continuité dans les thèses controversées de Vatican II ; carence de condamnations doctrinales pour rétablir l'unité doctrinale ad intra - l'autorité apparente manifeste suffisamment qu'elle n'est pas la parole de l'Eglise.
Par conséquent, nous ne pouvons pas ne pas voir qu'il y a depuis une cinquantaine d'années un collapsus de l'autorité dans ce qui se présente comme la hiérarchie de l'Eglise.
C'est-à-dire que le schisme n'est pas le fait des "intégristes" de telle ou telle fraternité ou chapelle. Le schisme, au moins objectivement, est le fait des personnes en place.
Et, je le répète, du point de vue de la foi, on ne peut pas souscrire à ce qui se présente, au moins apparemment, comme autant de propositions contradictoires avec ce que nous croyons déjà dans la lumière de la foi. Souscrire de cette façon reviendrait à croire non plus dans la lumière de l'Autorité incréée de Dieu révélant (motif formel de la foi), mais par la médiation supposée d'une herméneutique non autorisée parmi d'autres. La foi ne serait plus la foi divine. Ce serait une espèce de foi humaine et rien d'autre.
P.S. : Excusez-moi d'avoir été trop long à mon tour.