“Aucun acte de l’Église, du moins au XIXe siècle, n’a suscité autant de controverses, chez les catholiques comme chez les non-catholiques, que le Syllabus (ou « Recueil renfermant les principales erreurs de notre temps ») qui fut publié, le 8 décembre 1864, en annexe de l’encyclique Quanta cura.” (Yves Chiron, Pie IX, Pape moderne, p. 322.)

Soit dit en passant, nombreux sont les auteurs qui insistent sur le Syllabus, que ce soit pour le louer ou le critiquer, et beaucoup moins sur l’encyclique Quanta Cura, alors que c’est dans cette dernière que le pape engageait pleinement son autorité : “En conséquence, nous réprouvons par notre autorité apostolique, nous proscrivons, nous condamnons, nous voulons et ordonnons que tous les enfants de l’Église catholique tiennent pour réprouvées, proscrites et condamnées, toutes et chacune des mauvaises opinions et doctrines signalées en détail dans les présentes Lettres.”

Plus de vingt ans après, dans la préface de son livre Le droit chrétien et le droit moderne, Mgr d’Hulst écrivait : “Jamais je n’oublierai la surprise, l’émotion, l’inquiétude où me jeta la lecture de ce document doctrinal. Je vis clairement qu’il y avait quelque chose à changer dans ma conception de la société.” Hélas ! D’autres, moins bien inspirés, s’oublièrent jusqu’à imaginer, non seulement qu’ils étaient investis de la mission de sauver l’Église, mais qu’ils devaient le faire malgré elle.

Mais le plus étonnant est peut-être l’effet de “surprise” dont parle Mgr d’Hulst, surprise d’ailleurs partagée par bon nombre de ses contemporains : en effet, toutes les propositions qui étaient condamnées par Pie IX avaient été tirées des condamnations antérieures d’un pontificat déjà long de dix-neuf années, et c’est comme si presque personne n’en avait rien su !

Autre sujet d’étonnement : alors qu’il suffisait de se reporter aux lettres, constitutions et allocutions d’où les propositions condamnées avaient été tirées, pour en avoir le commentaire le plus autorisé, beaucoup se sont demandés ce que le pape avait voulu dire exactement, et plusieurs évêques se sont crus obligés de fournir des explications pas toujours fidèles, au point que celle de Mgr Dupanloup a pu être qualifiée d’éloquent escamotage par son ami Montalembert et d’anti-syllabus par son adversaire l’abbé Morel : “Le pape croit, comme l’évêque, à la nécessité d’une pondération du pouvoir qui menace toujours de verser dans la tyrannie d’un seul ou de la multitude. Mais cette pondération, au lieu de la placer, comme l’évêque, dans l’usage des libertés publiques, il va la chercher où elle a toujours été depuis la formation de la république chrétienne, dans l’union des pouvoirs ecclésiastique et civil, et la subordination du second au premier.” (Abbé Morel, Somme contre le catholicisme libéral, t. I, p. 157.)

Cette divergence explique pourquoi Pie IX, tout en remerciant très diplomatiquement l’évêque, l’encourageait à transmettre “à votre peuple avec d’autant plus de soin le sens propre de notre lettre, que vous avez stigmatisé avec plus de véhémence les interprétations calomnieuses dont elle a été l’objet”...

J’ajouterais que l’Église, pas plus que Lamennais, n’a jamais dédaigné les véritables “libertés publiques”, mais qu’elle se garde bien de les confondre avec les prétendues “libertés modernes”. À l’époque de la condamnation des idées de Lamennais, le chancelier autrichien Metternich écrivait (lettre du 2 novembre 1832 au Secrétaire d’État du Vatican) : “Sous l’emprise des doctrines politiques de cette école, toutes les libertés ne pourraient manquer de disparaître, et là où toutes les libertés disparaissent, celle du culte catholique ne saurait faire exception à la règle générale.”

V.
 

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