Bonsoir Bernard Joustrate,
Depuis déjà plus de vingt ans, Joseph MOINGT est aux Jésuites ce que Claude GEFFRE est aux Dominicains ; je le précise ou le rappelle, à l'attention de tous ceux qui voudraient savoir ce que produit un discours "théologique" soucieux de coller, le plus possible, à la post-modernité.
C'est souvent très bien écrit, très intéressant, mais également très préoccupant, ne serait-ce que pour des raisons gnoséologiques, et donc pas uniquement à cause de l'hétérodoxie : en effet, s'agit-il encore de théologie, et ne s'agit-il pas plutôt d'un discours philosophique, sur Dieu, sur l'Homme, sur la ou les religions ?
1.
C'est une chose de dire : "j'y crois parce que c'est vrai, solidement, avant tout ou notamment pour des raisons d'ordre événementiel, historique".
C'est une toute autre chose de dire : "c'est vrai parce que j'y crois, sincèrement, avant tout ou notamment pour des raisons d'ordre intentionnel, "anthropique"".
2. Il me semble que nous sommes ici en présence d'un criticisme fidéiste, qui s'élève, "par lui, avec lui et en lui", au rang de dogme, de nature à démanteler ou à dénaturer la Foi catholique.
3. Le risque est en effet que tout soit soumis à la critique : l'Ecriture, la Tradition, le Magistère, les miracles, les prophéties, l'histoire, la doctrine ; tout, sauf ce criticisme fidéiste lui-même, ainsi que le fidéisme attribué aux croyants non chrétiens, ou constaté chez les croyants non chrétiens, puisque l'on peut penser, alors, qu'eux aussi considèrent que leur croyance est vraie, parce qu'ils y croient, avant tout ou notamment pour des raisons de même nature, intentionnelles et "anthropiques".
4. On peut être tenté de voir dans ce criticisme fidéiste une alchimie intellectuelle paradoxale : en effet, un esprit exclusivement critique ne serait pas croyant, et un esprit exclusivement fidéiste n'aurait pas une croyance très étayée, très étoffée, faute de recours à la critique.
5. Mais si le christianisme est la religion du paradoxe, il n'est pas la religion de l'oxymore, or, là, en tout cas, à la lecture de cet article, j'ai bien peur que nous ne soyons en présence d'un oxymoron théologique.
6. J'ose espérer que les propos transcrits dans cet article ne sont pas représentatifs de la quintessence de la pensée de l'auteur dont il est question ici ; en tout cas, pour avoir lu un de ses livres, "L'homme qui venait de Dieu", j'ai l'excessive gentillesse de penser qu'il lui arrive par ailleurs d'écrire et de s'exprimer sans difficultés avec davantage de sagacité et de subtilité. C'est l'impression que j'ai ressentie, en lisant son livre.
7. A la limite, je ne sais pas si ses propos, repris par Le Progrès, reflètent l'essence de sa pensée, mais je sais en revanche que pour beaucoup, aujourd'hui, la religion chrétienne est vraie, mais d'une vérité toute relative et toute subjective, car dans la mesure où il y croient.
8. Je vois dans la conformation de bien des catholiques à la mentalité dominante, herméneutiste et historiciste, le risque qu'elle aboutisse à la réduction du christianisme à une axiologie "homo-thétique" et humanitaire, id est à une relation aux valeurs et à un système de valeurs qui offrent de nombreux points de concordance, de convergence, de ressemblance, de similitude, avec l'axiologie hégémonique, "contemporaine" "démocratique".
9. Même si la mentalité qui est celle de Joseph MOINGT n'est pas exactement la même que celle que je viens de décrire, j'ai l'impression, à la lecture de cet article, que le risque qu'elle fait courir est à peu près le même, quand on passe de l'ordre du croire à celui de l'agir.
10. Porteuse de cet état d'esprit, l'Eglise ne serait plus une fenêtre ouverte sur Dieu, mais ne serait plus qu'un miroir tendu vers l'homme, et dans lequel il pourrait contempler ce qu'il y a de plus sincère en lui. Tout à loisir.
Bonne soirée.
Scrutator.