Réplique à l’abbé Grosjean (source)
Dans une interview à la Vie, l’abbé Pierre-Hervé Grosjean nous explique, en toute charité chrétienne et communion ecclésiale, que la jeune génération catholique est en train de tirer un trait définitif sur les chrétiens honteux que nous avons été.
Je n’avais pas prévu de reprendre l’écriture de ce blogue avant mon retour en région parisienne. Non que l’été ne m’ait offert, hélas, une actualité tragique qui eût justifié tel ou tel commentaire. Mais que dire de très original sur le martyre des minorités chrétiennes ou non-chrétiennes, victimes de la barbarie islamiste au Proche Orient, que dire de plus sur l’interminable conflit armé entre Israël et le peuple Palestinien ? J’ai fait, à chaque fois, ce qu’en conscience je croyais devoir faire pour manifester ma solidarité. Point ! Et que l’on m’excuse de n’avoir pas signé, ici ou là, telle ou telle pétition. Pour ce qui me concerne, je n’ai pas le cœur à plaider l’envoi de troupes françaises au contact d’hommes sans foi ni loi qui égorgent et décapitent leurs prisonniers !
Reste à aborder le motif de ma sortie du mutisme. J’ai pris l’habitude, sur ce blogue qui n’a pas vocation à aborder tous les sujets, de commenter l’actualité qui concerne mon Eglise et ses relations avec la société dans laquelle nous vivons. Sujet facilement polémique et passionnel comme l’on sait. Il se trouve que je viens de lire, sur le site de la Vie, l’interview accordée à mon confrère Henrik Lindell par le Père Pierre-Hervé Grosjean qu’il n’est plus besoin de présenter aux familiers de la catosphère. Et cela à propos de la tenue à Fontainebleau, d’une session de formation à l’engagement politique de 200 jeunes chrétiens de 20 à 25 ans. D’autres initiatives similaires existent, qu’évoque par ailleurs le journaliste de la Vie, notamment à l’initiative du Ceras des pères Jésuites ou des Semaines sociales de France. Et pour ma part, je ne puis que m’en féliciter.
De jeunes catholiques… entre tradis et charismatiques
En revanche, ce sont les commentaires du père Grosjean qui, pour le coup, appellent… à réagir. Que ces jeunes, tels qu’il les dépeint et l’explique, se recrutent majoritairement parmi les mouvements scouts (on imagine qu’il s’agit ici des Scouts d’Europe…) et plus précisément dans le milieu étudiant ayant pris une part active aux Manifs pour tous et aux rassemblements ultérieurs des Veilleurs n’est pas une réelle surprise et ne représente pas un problème en soi. Pas même le fait qu’il les situe ecclésialement comme se baladant quelque part «entre tradis et charismatiques».
Non, une fois de plus, car le père Grosjean est sur ce point multi-récidiviste, l’insupportable, est cette prétention à nous présenter cette «jeunesse-là» comme la seule cohérente avec sa foi, ce type d’engagement comme le seul compatible avec l’enseignement des papes et les exigences de l’Evangile ; ce qui l’autorise, au passage, une fois de plus, à ringardiser les générations «aînées». Admirez l’élégance d’analyse : «Le vrai clivage n’est pas entre tradis et charismatiques mais entre ceux qui prennent le tournant du christianisme identifié et décomplexé et ceux qui restent dans l’Eglise des années 80 où il faut s’excuser d’être chrétien.»
Je suis, et d’autres avec moi, de cette Eglise des années 80 et, n’en déplaise au père Grosjean qui parle ici de ce qu’il n’a pas vécu, je ne me suis jamais excusé d’être chrétien. Si j’ai fait le choix d’une carrière dans la presse catholique c’est parce que j’y voyais un moyen d’être cohérent avec ma foi. Et je ne pense pas que Jean Boissonnat, Noël Copin, Jacques Duquesne, Bruno Frappat pour évoquer quelques confrères journalistes ou, aujourd’hui François Soulage et Guy Aurenche dans le secteur de l’action caritative, aient jamais été des catholiques honteux.
Un catholique conséquent descend dans la rue défendre la famille
Mais lorsque l’abbé Grosjean poursuit : «Les catholiques pratiquants qui pensent que leur engagement est basé sur leur foi sont ceux qui sont descendus dans la rue l’an dernier.», le loup sort du bois. Que ceux des chrétiens qui se battent sur les fronts du chômage, du mal-logement, de l’exclusion, de l’immigration, de la pauvreté, de la solidarité avec le Tiers monde et interpellent en ce sens la classe politique ou s’engagent eux-même en politique aillent se rhabiller. Ce ne sont que des chrétiens «complexés», adeptes de «l’enfouissement» qui, semble-t-il, n’est plus au goût du jour (1). Les «décomplexés», eux, les seuls vrais se recrutent exclusivement parmi les «défenseurs» de la famille et de l’éthique. Voilà les chantres du non-négociable repartis dans leur croisade d’épuration ethnique intra-ecclésiale et leur revendication d’un droit d’exclusive sur l’agir chrétien.
Que le cardinal Barbarin pour lequel le père Grosjean semble avoir une affection toute particulière soit «descendu dans la rue» à plusieurs reprises avec ces «bons jeunes» et fasse partie des intervenants à ce séminaire, c’est son droit le plus strict. Mais je persiste à contester que l’on ne soit «chrétien conséquent» qu’à la condition de descendre dans la rue pour défendre les valeurs familiales. Il est d’autres combats qui justifieraient notre mobilisation, comme il est d’autres manières de se positionner «en chrétien» dans ces débats de société.
Nous voici rangés… à la périphérie
Le plus insupportable enfin est cette insistance à nous expliquer que «le discours de ces jeunes est celui du pape» comme s’ils étaient les seuls à recevoir l’enseignement du pape François. Et parce que tout feu d’artifice comporte un bouquet final, voici l’éblouissement : «La grande majorité des évêques français se sont engagés sur la même ligne. Cela ne veut pas dire qu’il faut ignorer ceux qui sont dans la périphérie. C’est le rôle des prêtres de faire la communion». Nous voilà rangés parmi les périphériques à évangéliser. Merci pour cette pressante invitation à l’humilité et à la conversion. Pour le reste, vu l’engagement unilatéral de l’abbé Grosjean, je m’interroge sur sa réelle capacité à être ce qu’il prétend : homme de communion.
Comme si le sel de la terre ou le levain dans la pâte n’avaient pas pour vocation d’être enfouis. Essayez donc de vous nourrir de sel et de levain, ou d’en recouvrir vos plats d’une couche décomplexée pour leur donner de la visibilité !
J’observe par ailleurs que cet entretien est publié dans la Vie au moment même où les éditions Salvator publient un petit livre du jésuite américain Matt Malone intitulé Catholique sans étiquette qui développe une pensée convergente avec celle de l’abbé Grosjean. Et cela, semble-t-il, sur la suggestion de journalistes de la Vie dont le directeur de la rédaction Jean-Pierre Denis préface l’ouvrage. Faut-il y voir un repositionnement de l’hebdomadaire catholique ?