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"De la dignité de l'islam" : plusieurs remarques APRES lecture.
par Scrutator Sapientiæ 2011-12-06 23:07:14
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Bonsoir Michel ORCEL,

J'ai lu votre livre deux fois, une première fois, hier lundi, la deuxième fois, aujourd'hui mardi, et je suis donc à présent pleinement en mesure de formuler quelques remarques, qui ne sont pas des reproches, et qui sont moins des regrets que des souhaits.


Je rappelle ici le titre et le contenu de chacun des chapitres :

« I. La provocation de Ratisbonne » est consacré à la critique de la position exprimée par Benoît XVI, en septembre 2006 ;

« II. Une « conspiration » » est consacré à l’identification des inspirateurs et des animateurs de l’islamophobie catholique contemporaine : Lammens, Théry, Bonnet-Eymard, Luxenberg, Brague, Gilliot, de Prémare, Moussali, Gallez, Delcambre, Urvoy.

« III. Mahomet, histoire et légende » est consacré à la critique des positions exprimées par Gallez et par de Prémare, à propos de l’historicité de Mahomet, de La Mecque, et du milieu natal de l’islam.

« IV. Quelques remarques à propos du Coran » est consacré à la critique des mêmes auteurs, mais aussi et surtout à celle de Luxenberg, en ce qui concerne leurs tentatives respectives d’éxégèse du Coran.

« V. Droit, sexe et violence » est consacré à la critique de l’ouvrage « l’islam des interdits », de Madame Delcambre.

«VI. Distinguer pour mieux…désunir » est consacré à la critique des positions exprimées par Madame Urvoy, qui considère que les chrétiens et les musulmans n’ont pas le même Dieu.

Enfin, « VII. Et que dire du christianisme ? Le réel et l’archétype » est une tentative de renversement de la charge de la preuve, à destination des catholiques, en ce qui concerne l’historicité de Jésus-Christ et la signification des Evangiles.


A. Quelques remarques sur la forme, tout d'abord :

1. je vous souhaite de devenir beaucoup plus diplomate, quand vous évoquez ceux dont vous voulez contrecarrer ou contredire les idées ; ainsi, vous mettrez votre manière de bien construire vos positions, votre méthode pour "déconstruire" celles de vos adversaires intellectuels, à distance de toute tendance à confondre, ou de toute tentation de confondre, analyse et invective, critique et diatribe, indignation sans nuances et lucidité équilibrée, au sens de : appropriée et proportionnée.

2. je vous souhaite également de devenir beaucoup plus pédagogue, car vous voulez, en tout cas, dans ce livre, dire beaucoup trop de choses, en surface et en vitesse, contre plusieurs erreurs commises par plusieurs auteurs, alors que vous auriez gagné à dire moins de choses, avec lenteur et en profondeur, en vous limitant à l'analyse, plus complète et précise, de moins d'erreurs et /ou de moins d'auteurs, erreurs ou auteurs que vous auriez eu ainsi la possibilité de présenter plus à fond et de dénoncer beaucoup plus sur le fond.

3. je vous souhaite, enfin, d'écrire, à l'avenir, non « un pamphlet contre des savants », mais un véritable « pamphlet savant », qui serait beaucoup plus offensif, contre des savoirs erronés ou infondés, et beaucoup moins agressif, contre des savants qui ont certainement des défauts et des excès, et, possiblement ou probablement, des préjugés, des prénotions, des préventions, en l'occurrence sur ou contre l'islam, mais qui ne sont, dans leur domaine, ni des incultes, ni des ignorants.


B. Quelques remarques sur le fond, ensuite :

1. Je vous ai déjà invité, il y a quelques jours, à distinguer entre islamocritique et islamophobie ; je vous assure que votre ouvrage aurait été plus convaincant, sur le fond, car il aurait été plus nuancé, sur la forme, si vous y aviez fait apparaître une telle distinction : la critique savante du Coran, de Mahomet, de l'islam, dans l'ordre de la foi comme dans celui des moeurs, dès lors qu’elle est effectuée sans malhonnêteté intellectuelle caractérisée, est un droit, et non un tort ; et cette critique n'est pas nécessairement génératrice d'une diabolisation, d'une ringardisation ou d'une stigmatisation des hommes, des femmes, des enfants qui sont musulmans.

2. Encore faut-il, me direz-vous, que cette critique soit effectivement savante ; mais c'est à vous à nous dire, d'une manière plus analytique et moins panoramique, non avant tout en quoi les auteurs que vous citez vous déplaisent, mais avant tout en quoi ces auteurs sont dans l'approximation ou l'inexactitude, l'erreur d'analyse ou d'appréciation, la méconnaissance de telle ou telle distinction, nuance ou précision, voire dans l'ignorance intégrale de telle ou telle question ; je ne dis pas que vous ne le faites pas du tout, mais je dis que vous le faites trop « en surface », et pas assez « en profondeur ».

3. Nous sommes assez nombreux à savoir d'où vient une partie du problème : certains islamologues sont avant tout des philosophes, ou des théologiens, ou des historiens, ou des juristes, ou des conjoncturistes - prospectivistes en géopolitique ; l'islam étant à la fois une réalité multidimensionnelle, multi-régionale, multi-sectorielle, et une donnée passionnelle, une donnée qui attire ou que l’on redoute, ces islamologues sont amenés

- à s'exprimer, en tant qu'enseignants éclaireurs s'adressant à des citoyens qu'ils veulent éclairer,

- à intervenir publiquement, plus ou moins à partir de leur camp de base académique, disciplinaire, ET plus ou moins en direction d'un domaine qu'ils connaissent beaucoup moins…sinon pas du tout.

4. Certains de ces auteurs ne sont pas seulement éclairés, ils sont également alarmés,

- par le conformisme et la démagogie ambiantes,

- au contact de la montée en puissance de l’islam-isme légaliste et du communautarisme identitariste musulman,

- sur les sujets qui sont susceptibles de fâcher les représentants ou responsables des musulmans,

et ils entendent alarmer, à raison ou à tort, les citoyens, en précisant ou en rappelant plusieurs réalités, contrariantes ou dérangeantes, sur l'islam, ce qui ne veut pas nécessairement dire que ces rappels sont effectués contre les musulmans, ni qu’une économie pulsionnelle maladive ou un imaginaire fantasmagorique relevant de la paranoia ou de la paraphrénie les inspire.

5. Vous semblez tenir ces tentatives de clarification, de mise en lumière et en transparence, de ces réalités dissensuelles, pour autant de dispositifs de falsification, d'obscurcissement ou d'opacification ; mais c'est à vous à nous dire que l'islam n'est pas avant tout "l'islam des interdits", mais est, au contraire, avant tout "l'islam des libertés", pour ne prendre qu'un exemple.

6. Par ailleurs, vous semblez considérer qu'il est lamentable que des islamologues catholiques soient, selon moi, islamocritiques, selon vous, islamophobes, alors qu'ils devraient s'aligner et obéir, en quelque sorte, à l'option préférentielle en faveur du dialogue qui est celle de l'Eglise catholique, depuis le Concile Vatican II ; mais c'est oublier un peu vite que cette option préférentielle n'est pas un dogme, et que la formulation de cette position de principe, de cette stratégie globale, telle qu'on la trouve dans ce qui n'est qu'une déclaration "pastorale", Nostra Aetate, est subordonnée à ce que l'on trouve dans ce qui est une constitution "dogmatique," Lumen Gentium, notamment au n° 17 de LG, ce que même des catholiques ne savent pas.


C. J’en viens à quelques remarques quasiment conclusives.

1. Quand je dis que les chrétiens et les musulmans ont à la fois le même Dieu et pas du tout le même Dieu, je dis simplement ceci :

- d’un point de vue "métaphysique", il n’y a qu’un seul Dieu, créateur de l’univers, et commun à toutes les créatures qui vivent sur terre ; en ce sens, mais seulement en ce sens, nous avons le même Dieu ;

- d’un point de vue "théologique", il y a

- la manière de se représenter Dieu qui est propre aux chrétiens, en général, aux catholiques, en particulier, et qui découle d’une auto-manifestation divine surnaturelle et théologale

- la manière de se représenter Dieu qui est propre aux musulmans, en général, à tels ou tels, en particulier, qui comporte, d’un point de vue catholique, plusieurs éléments de vérité, mais aussi plusieurs erreurs, et qui ne découle pas, d’un point de vue catholique, d’une auto-manifestation divine surnaturelle et théologale.

Même l’Eglise catholique chronologiquement "post-conciliaire" ne dit pas autre chose, dans la déclaration Dominus Iesus, même si elle dit, en quelque sorte, en se tenant "sur la pointe des pieds" et en chuchotant "dans le creux de l'oreille".

2. Vous ne pouvez ignorer le problème linguistique, ou la question linguistique, qui fait, par exemple, qu’il existe certainement des islamologues qui ne sont pas assez, pas beaucoup, voire pas du tout, arabisants ; mais c’est à vous à nous dire quels islamogues, éventuellement islamocritiques, mais certainement pas islamophobes, sont susceptibles de trouver grâce à vos yeux, et de nous faire apprendre ou comprendre des choses, de la manière la plus objective possible, à propos de Mahomet, du Coran, de l’Islam.

3. Comparaison n’est pas raison, mais je vous rappelle qu’il fut un temps, il était quasiment obligatoire d’être (philo)marxiste, et impossible, ou interdit, d’être critique face au marxiste, au point que, si l’on émettait ou formulait une critique, l’on se faisait aussitôt traiter « d’anti-marxiste primaire » ; des hommes et des femmes qui connaissaient et comprenaient l’allemand, qui connaissaient et comprenaient Marx, Engels, et le marxisme, parfois bien mieux que bien des (philo)marxistes auto-proclamés, ont été des clarificateurs, dans la mesure où ils ont montré, à ceux de leurs collègues qui ont bien voulu les lire, à leurs étudiants, et aux citoyens, les points forts, car il y en a, mais aussi et surtout les points faibles, car il y en a, du marxisme.

4. Accepteriez-vous que des islamologues islamocritiques adoptent à l’égard de Mahomet, du Coran, de l’Islam, un positionnement critique, à la fois éclairé et éclairant, et non pas aveuglé ni aveuglant, comparable au positionnement qu’avait, par exemple, Raymond ARON, à l’égard de Marx et du marxisme ?

En ce qui me concerne, j’accepterais sans hésiter un positionnement christianocritique, à condition qu’il soit objectif, le plus possible, et qu’il soit enrichissant et non appauvrissant pour des lecteurs, chrétiens ou non.

Mais vous-même, accepteriez-vous sans hésiter un positionnement islamocritique, qui serait assorti des mêmes conditions, et qui déboucherait sur le même objectif : davantage d’enrichissement objectif que d’appauvrissement partisan ?

Il se fait tard et je me vois dans l’obligation de mettre un terme à ce message ; je vous remercie pour la perche que vous m’avez tendue, en me disant en substance que votre livre était à ma disposition, en amont de toute critique personnelle ; je vous remercie également pour tout l’intérêt que vous voudrez bien accorder à mes remarques, que j’ai voulu extrêmement constructives ; et je vous souhaite une excellente continuation, notamment intellectuelle.

Scrutator.

     

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 "De la dignité de l'islam" - Réfutation singulière de "la nouv [...] par Scrutator Sapientiæ  (2011-11-09 21:37:09)
      Merci par Castille  (2011-11-09 21:53:16)
          Nous manquons d'un "Kravchenko" ex-néomoderniste. par Scrutator Sapientiæ  (2011-11-09 23:58:40)
              [réponse] par John L  (2011-11-10 01:05:57)
                  Au moins deux générations, différentes, de néo-modernistes. par Scrutator Sapientiæ  (2011-11-10 21:43:29)
          Rép. à Castille par Michel Orcel  (2011-12-04 15:53:03)
              Concernant le point 3 par Meneau  (2011-12-04 23:23:30)
                  [réponse] par Michel Orcel  (2011-12-05 00:26:37)
      un chose est sûre avec l'Islam par jejomau  (2011-11-09 22:59:37)
          Rép. à jejomau par Michel Orcel  (2011-12-04 16:04:30)
              vous pouvez toujours essayer de faire semblant par jejomau  (2011-12-04 18:24:24)
                  [réponse] par Michel Orcel  (2011-12-05 00:38:30)
                      [réponse] par Michel Orcel  (2011-12-05 00:44:32)
                          n'êtes vous pas nihiliste avec la réalité des faits par jejomau  (2011-12-05 07:20:04)
                              [réponse] par Michel Orcel  (2011-12-05 10:59:33)
                                  je vous renvoie aux derniers propos du par jejomau  (2011-12-05 11:18:18)
      Sur cette question, à l'opposé, un livre de Jacques Ellul. par Scrutator Sapientiæ  (2011-11-10 21:56:50)
      Deux références et une mise au point à propos de mon livre "De la dignit [...] par Michel Orcel  (2011-12-03 18:31:37)
          Une précision et deux remarques. par Scrutator Sapientiæ  (2011-12-04 00:33:13)
              "Dignité de l'islam", rép. 2 par Michel Orcel  (2011-12-04 12:53:42)
                  Ces historiens sont de sinistres farceurs par Vianney  (2011-12-04 14:45:49)
                  Citation tronquée ! par Paterculus  (2011-12-04 17:20:19)
                  Faisons tous attention aux anachronismes axiologiques. par Scrutator Sapientiæ  (2011-12-04 17:23:07)
      Si vous êtes aussi honnête dans votre livre... par Paterculus  (2011-12-03 22:29:14)
          Réponse à Paterculus par Michel Orcel  (2011-12-04 15:12:44)
              Grousset n'ignorait pas les sources arabes par Paterculus  (2011-12-04 16:55:16)
              "De la dignité de l'islam" : plusieurs remarques APRES lecture. par Scrutator Sapientiæ  (2011-12-06 23:07:14)


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