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Assise : article de l'abbé Barthe en même sens Imprimer
Auteur : La Favillana
Sujet : Assise : article de l'abbé Barthe en même sens
Date : 2011-01-10 12:59:28

Présent,n° 7259, Vendredi 7 janvier 2011
L'article que j'ai annoncé vendredi et disponible avec l'autorisation de Présent.

Assise, où la terre a tremblé

Comme en 1986, comme en 1992, en 2011. Le 1er janvier, le Pape a parlé du pèlerinage qu’il voulait accomplir à Assise, en octobre prochain, pour deux motifs : « faire mémoire » du geste historique accompli en ce lieu par Jean-Paul II, et « renouveler solennellement l’engagement des croyants de toute religion à vivre leur foi religieuse comme un service de la cause de la paix ». Pour ce faire, il a invité à se joindre à son pèlerinage, les « chrétiens des différentes confessions, les représentants des traditions religieuses du monde, et, idéalement, tous les hommes de bonne volonté".

Tempête dans un verre d’eau ?

C’est peu dire que la 1re journée d’Assise, la plus spectaculaire, avait été pastoralement catastrophique. La seconde, à laquelle le cardinal Ratzinger n’avait accepté de participer que la mort dans l’âme, avait été entourée d’une pluie de déclarations destinée à glacer les enthousiasmes des théologiens « de rupture ». Alors, pourquoi aujourd’hui une 3e ?
Ce type d’événement joue sur deux registres, l’un restrictif des textes explicatifs, l’autre dévastateur des images répercutées dans le monde entier. Du point de vue des textes, Assise III sera assurément une manifestation aussi verrouillée que l’avaient été les deux premières : Jean-Paul II avait expliqué que les représentants des religions étaient « ensemble pour prier » et non pour « prier ensemble » ; Benoît XVI fait un pèlerinage auprès de saint François, auquel il invite les représentants des religions à se joindre. Mais en revanche, l’homme et le catholique de la rue seront dangereusement confortés dans leur indifférentisme pratique. Même si le catholicisme de l’époque de Benoît XVI refuse les catégories imposées par les Lumières, il donne l’impression de se positionner pour survivre, dans le monde qu’elles ont bâti et de récupérer son langage : le service de la paix dans le mondialo-démocratisme qui couvre, pour le dire faiblement, la plus égoïste des sociétés. Sauf que, assez probablement, l’événement risque de tomber à plat, hésitant entre le rassemblement liturgique « recentré » qui est le charisme de ce pape et les formules pastorales spectaculaires du pape précédent.
Alors, tempête dans un verre d’eau ? Hélas oui ! Car si du côté de l’événement, on aura possiblement un soufflé vite retombé, on aura surtout du côté des déclarations qui vont expliquer que tout cela est dans la continuité avec la tradition, une espèce d’usure : comme si, depuis qu’avance le post-Concile, Rome donnait et se donnait l’impression que tout cela au fond n’est pas très important.
Je reste pourtant optimiste, quant à cette annonce d’Assise. On a vu le cardinal Ratzinger revenir à plusieurs reprises de manière très édifiante sur certaines prises de position hasardeuses (1), qui donnent l’impression que chez lui la réflexion théologique la plus fulgurante (je pense, entre autres, à ses digressions sur la primauté apostolique dans La Parole de Dieu, Parole et Silence, 2007), laisse parfois apparaître quelques restes d’une formation de séminaire un peu indigente.

Le dialogue interreligieux selon Benoît XVI et sous Benoît XVI

Les développements du discours de Ratisbonne du 17 septembre 2006 font partie de ces fulgurances. Il en résultait que, selon lui, la vraie signification du dialogue interreligieux était la suivante : le christianisme des origines avait dialogué non avec les religions de l’époque, mais avec les philosophies antiques, qui selon le mot de Pascal préparaient au christianisme ; ensuite, depuis l’âge moderne, l’exercice de la raison est devenu rationaliste ; dès lors, il s’agit de mettre en évidence l’attente profonde qui peut se trouver au fond des religions, frottées depuis deux millénaires au christianisme, et de dialoguer avec les hommes religieux sur le plan de la saine raison.
Tout ceci dirigé contre le dialogue interreligieux « de rupture », que Joseph Ratzinger avait épinglé dans la déclaration Dominus Jesus, du 6 août 2000. Ce dialogue interreligieux « avancé » a non seulement cessé d’être missionnaire, mais il est même devenu missionnaire de la modernité : le christianisme, au lieu de chercher à remplacer les autres religions comme jadis, aurait désormais cette vocation de débarrasser toutes les autres religions de leur prétention à l’absolu représenté par leurs dogmes et leurs interdits.
La question est cependant de savoir s’il ne peut pas y avoir de relativisation du dogme au second degré dans la recherche d’une raison naturelle antérieure, en tout cas extérieure, à la raison théologique. En l’espèce, dans une raison pratique : l’idée que la religion du Christ et les religions du monde peuvent œuvrer ensemble comme telles à des objectifs humains, comme réduire la pauvreté dans le monde, faire reculer le sida, propager la démocratie, faire avancer la cause de la paix, en mettant entre parenthèses le Christ, âme même de la charité – à supposer que ces objectifs soient en tout ou partie structurés par elle – suppose l’oubli de l’idéal de chrétienté (tout ramener à l’empire pacifique du Christ).
Certes, faire agir les hommes selon le Christ, même s’ils ne le connaissent pas, est éminemment louable. Ce qui pose problème c’est d’œuvrer ensemble, à religions égales, si j’ose dire, dès lors qu’il s’agit pour elles de la paix dans un monde meilleur. Cette relativisation modérée du christianisme par la reconnaissance d’une existence des religions, un peu plus que sociologique et un peu moins que surnaturelle, est au cœur du débat autour de Nostra aetate, le texte conciliaire sur les fondements d’un nouveau dialogue interreligieux, l’un des plus discutés de Vatican II.
Que les religions contiennent de fait d’éventuelles « semences du Verbe », pour parler comme certains Pères de l’Eglise le faisaient des philosophies engendrées par Platon, grâce auxquelles des hommes de bonne foi peuvent commencer un cheminement pour parvenir invisiblement au salut dans l’Eglise, est notoire. Mais cela n’élève pas pour autant ces religions du monde, en tant que religions, au rang de contenants de droit de ces éléments, en tant qu’éléments de salut. Bien au contraire : car leur qualité de systèmes religieux ayant prétention – souvent par imitation du christianisme – à conduire au salut ou à quelque équivalent –, fait qu’ils sont à cause de cela l’obstacle principal au seul salut possible que donne Jésus-Christ par son Epouse. Les membres des religions, s’ils parviennent au salut, y accèdent non pas par, mais malgré et même contre les religions. Et d’ailleurs, plus un système religieux contient d’éléments pouvant indiquer la voie du salut en Jésus-Christ – au maximum, le judaïsme post-christique – plus il est de soi, en tant que religion constituée – en l’espèce, une religion fondée sur le refus de la divinité du Messie – un obstacle pour entrer dans l’Arche du salut.
On peut le dire autrement : l’immense ambiguïté du dialogue interreligieux contemporain consiste en un jeu trompeur de miroirs. L’Eglise (les hommes d’Eglise, veux-je dire) prête (prêtent) à des réalités sociologiques, qui représentent objectivement, si notre Credo a un sens, des structures de péché intellectuel, des qualités qui lui sont propres, à elle l’Eglise, et qui découlent de son être surnaturel. En réalité, on fabrique des fantômes de religions à sa ressemblance pour lui donner des interlocuteurs, alors que ses seuls interlocuteurs possibles sont les hommes de bonne volonté.
Une conversation avec un prélat chargé du dialogue œcuménique, qui me parlait de manière très désabusée, tant de celui-là (le dialogue avec les chrétiens séparés), que de celui avec les religions du monde, m’a beaucoup éclairé. Dans les deux cas, le Saint-Siège, m’expliquait-il, fait comme si le catholicisme avait affaire à des réalités communionelles, unies institutionnellement et spirituellement, ainsi qu’est l’Eglise, avec un pape et des évêques, organes humains d’une infrangible Parole divine. Or, il n’en est rien : Eglises séparées et religions du monde sont des réalités éclatées parfois à l’extrême, sans hiérarchie unifiée, dont l’unité-continuité, à la différence de celle de l’Eglise, est aussi insaisissable dans le temps que dans l’espace.
Du coup, Rome a parfois la plus grande peine à faire émerger des partenaires, qui en définitive ne représentent qu’eux-mêmes. Cela devient même une aubaine, ajoutait-il, pour les confessions protestantes en faillite et pour un certain nombre de religions en péril de se voir redonner du lustre par le dialogue interreligieux avec l’Eglise de Rome.
Qui plus est, me semble-t-il, ce dialogue ignore des plages immenses de religions actuelles dont l’existence est très prégnante et en pleine expansion. Entre autres : les innombrables mouvements télévangélistes qui drainent des publics considérables, le pullulement des sectes syncrétistes d’Afrique et d’Amérique du Sud, le spiritisme, la voyance, les mille formes de religiosités « bricolées », qui ont au total plus d’adeptes que le bouddhisme et peut-être que l’islam.

Du pastoral au politique et retour

Benoît XVI aurait confié que, lorsqu’il avait donné la communion au Frère Roger, le fondateur de Taizé, le 8 avril 2005, à l’occasion des obsèques du pape Jean-Paul II, il s’était demandé : « Que va dire la Fraternité Saint-Pie X ? ». En tout cas, il ne peut pas ne pas y avoir pensé en annonçant un Assise III, sachant de quel poids avait pesé Assise I, en 1986, dans la décision prise deux ans après par Mgr Lefebvre de consacrer des évêques de manière autonome. Mais on peut imaginer – entrant pour le coup dans le domaine des pures hypothèses – que, bien décidé à tendre la main de manière décisive à Mgr Fellay, il veuille compenser auprès de son opinion « progressiste », par une réunion des religions spectaculaire et bigarrée, le geste au maximum restaurationniste que sera l’érection de quelque chose comme une Prélature Saint-Pie-X.
Elle est d’ailleurs d’autant plus urgente, avec d’autres mesures de ce type. Aussi longtemps, en effet, que l’Eglise n’aura pas retrouvé l’usage habituel des éléments fusionnels de sa communion de foi, que sont les prononcés doctrinaux définitifs et les déclarations d’exclusion de ceux qui s’écartent du Credo, la présence d’instances informelles de questionnement des Successeurs des Apôtres et du Successeur de Pierre – à savoir, la diffusion de la liturgie non réformée, la croissance d’un sacerdoce identitaire, la présence de communautés réfractaires aux novations mortifères, la structuration catéchétique d’un monde de familles chrétiennes – sera particulièrement précieuse.
Aussi bien, de l’amertume, Dieu peut tirer le miel. Qui sait si le rassemblement d’Assise ne pourra être entendu comme un appel du Vicaire du Christ à tous les hommes de bonne volonté (Lc 2, 14 : la paix aux hommes auxquels Dieu accorde sa bienveillance, son eudokia), pour diffuser ce don de la conversion et de la grâce divine qu’est venu proposer aux hommes qui voulaient le recevoir, le Prince de la Paix ? On ne verrait alors à Assise guère qu’une poignée de pèlerins seulement, qui n’intéresseraient aucune télévision, mais qui seraient prêts à embrasser la pénitence et la foi en Jésus-Christ.

Abbé Claude Barthe

(1) Dans Foi chrétienne hier et aujourd’hui, Mame, 1969, p. 192, Joseph Ratzinger estimait que la filiation divine de Jésus ne repose pas d’après la foi de l’Eglise sur le fait que Jésus n’a pas eu de père humain, et que la doctrine de la divinité de Jésus ne serait pas mise en cause, si Jésus était issu d’un mariage normal. Mais dans Die Tochter Zion, Einsideln, 1977, pp. 49-50, il avait corrigé ce curieux propos qui reviendrait à affirmer que, sans dommage pour la foi christologique, on pourrait tenir saint Joseph pour « Père de Dieu ».


La discussion

 Conférence de Mgr Fellay à la Maison de la Chimi [...], de Ennemond [2011-01-10 10:28:16]
      merci ennemond pour ces bonnes nouvelles, de jejomau [2011-01-10 11:31:14]
          Le témoignage du chanoine Escher, de Ennemond [2011-01-10 11:55:41]
      Oui il y a de bonnes nouvelles, de Adso [2011-01-10 11:42:23]
          Assise : article de l'abbé Barthe en même sens, de La Favillana [2011-01-10 12:59:28]
      Merci Monseigneur !, de Bertrand Decaillet [2011-01-10 11:49:08]
      Ah, je le savais, de Maïe [2011-01-10 12:23:52]
          Autrement plus raisonnable que vous, de Cléophas [2011-01-10 12:35:21]
              En espérant que Monsieur Perrin prendra le mal de [...], de Maïe [2011-01-10 13:56:52]
                  j'avais lu votre réponse en forme de, de Luc Perrin [2011-01-10 18:23:53]