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JUILLET 2003 A MARS 2011

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Si cela peut servir à la réflexion, Imprimer
Auteur : Yves Daoudal
Sujet : Si cela peut servir à la réflexion,
Date : 2009-10-28 13:01:42

voici un article que j'avais publié dans le n° 2 de Daoudal Hebdo.

Le cerveau, le cœur et la mort

Un article de l’Osservatore Romano, souvent qualifié de « journal du pape », relance le débat sur le signe qui permet de conclure à la mort, en battant en brèche le dogme actuel de l’encéphalogramme plat. Le Vatican a aussitôt pris ses distances. Mais la question n’est pas réglée pour autant. Le fait que l’article soit paru en une du journal officieux de l’Eglise n’est pas anodin. Et la question dépasse de loin les considérations scientifiques et même morales.

Le 3 septembre, l'Osservatore Romano a publié en première page un article de Lucetta Scaraffia, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Rome "La Sapienza", qui remet en cause l’idée aujourd’hui communément admise que le signe de la mort clinique n’est pas la fin de l’activité cardiaque mais l’encéphalogramme plat.
Lucetta Scaraffia écrit cet article à l’occasion du 40e anniversaire du « rapport de Harvard », qui a été à l’origine de ce choix.
Il convient d’emblée de préciser que ce rapport, et toutes les décisions qui ont suivi, ne s’intéressent à la définition de la mort que dans une perspective utilitariste. Le rapport disait :
« Notre premier objectif est de déterminer le coma dépassé comme un nouveau critère de mort. Il y a deux raisons à la nécessité d’une telle définition :
1. Les progrès en réanimation ont conduit à des efforts de plus en plus importants pour sauver ceux qui sont désespérément atteints. (…) Cela représente une grande charge pour les patients, (…) pour leurs familles, pour les hôpitaux, et pour ceux qui ont besoin des lits occupés par ces patients comateux.
2. Les critères obsolètes de la définition de la mort peuvent conduire à des controverses lors de l’obtention des organes pour la transplantation. »
David Rodríguez-Arias, professeur de philosophie morale à l’université de Salamanque, commentait crûment : « Ce changement de législation a permis de résoudre le double problème que posait, d’une part, la surcharge des lits occupés par des patients qui ne retrouveraient plus la conscience et, d’autre part, la demande croissante d’organes pour la transplantation. La définition de la mort cérébrale permet d’annuler les obstacles auparavant légaux de deux pratiques désormais très courantes en fin de vie : la greffe d’organes et l’arrêt des soins. »
Le philosophe juif Hans Jonas disait de même que la nouvelle définition de la mort était motivée, plus que par un réel progrès scientifique, par l'intérêt, c’est-à-dire par le besoin d’organes à transplanter.

L’occasion de rouvrir la discussion

L’article de Lucetta Scaraffia s’inscrit également dans cette problématique. Le but de l’auteur est de mettre en doute la légitimité du prélèvement d'organes tel qu'il est pratiqué depuis qu’on a choisi de prendre comme critère de la mort l’encéphalogramme plat, et elle évoque de « nouvelles recherches » qui remettent en question la « certitude » que l’on croyait avoir que le « donneur d'organes » est bien mort quand on lui prélève ses organes.
Citant des cas de femmes enceintes dans un coma irréversible ayant été maintenues en vie pour permettre la naissance de l'enfant, elle affirme que « l'idée que la personne humaine cesse d'exister quand le cerveau ne fonctionne plus (...) entre en contradiction avec le concept de la personne de la doctrine catholique et avec les directives de l'Eglise face aux cas de comas persistants ».
Elle conclut : « Le quarantième anniversaire de la nouvelle définition de la mort cérébrale semble l'occasion de rouvrir la discussion sur les plans scientifiques comme au sein de l'Eglise catholique. »

Le rappel du Vatican

Le Père Federico Lombardi, directeur de la salle de presse du Vatican, a aussitôt déclaré que cet article est « une contribution intéressante et de poids (...) mais ne peut être considéré comme une position du magistère de l'Eglise ». Le critère adopté pour déclarer avec certitude la mort, rappelle-t-il, est « la cessation complète et irréversible de toute activité cérébrale » et doit être « correctement appliqué ».
Il cite le discours de Jean-Paul II du 29 août 2000 aux participants du congrès international de la Société des transplantations. Le pape avait alors affirmé que « l'on peut dire que le critère adopté récemment pour déclarer avec certitude la mort, c'est-à-dire la cessation complète et irréversible de toute activité cérébrale, s'il est rigoureusement appliqué, ne semble pas en conflit avec les éléments essentiels d'une anthropologie sérieuse ».
Dans son blog Chiesa, Sandro Magister précise que l’Eglise catholique a fait sienne, en effet, l’orientation donnée par le discours de Harvard, par une déclaration de l’Académie Pontificale des Sciences, en 1985, puis à nouveau en 1989 par un nouvel acte de la même académie, confirmé par plusieurs discours de Jean-Paul II.
On remarque toutefois la modération du propos cité de Jean-Paul II : on peut dire… ne semble pas…

Des notes de plus en plus discordantes

Depuis lors, toutes les déclarations publiques émanant du Saint-Siège ont été en accord avec le rapport de Havard.
Mais si l’on cherche un peu, on trouve facilement des voix discordantes. « Déjà en 1989, écrit Sandro Magister, quand l’Académie Pontificale des Sciences a traité la question, le professeur Josef Seifert, recteur de l'Académie Internationale de Philosophie du Liechtenstein, a soulevé de fortes objections contre la définition de la mort cérébrale. »
Seifert était alors isolé. Mais quand l’Académie Pontificale des Sciences a de nouveau traité des signes de la mort, en février 2005, les positions s’étaient renversées : « Les experts présents – philosophes, juristes, neurologues de divers pays – se sont accordés pour estimer que la seule mort cérébrale n’est pas la mort de l'être humain et que le critère de la mort cérébrale, n’étant pas crédible scientifiquement, doit être abandonné. »
Ce fut un choc, et Mgr Marcélo Sánchez Sorondo, chancelier de l’Académie Pontificale des Sciences, décida que les actes ne seraient pas publiés. Beaucoup d’intervenants ont alors remis leurs textes à un éditeur extérieur, Rubbettino. Cela a donné un livre publié sous le titre latin : Finis Vitæ, sous la direction du Pr Roberto de Mattei.

Robert Spaemann et Joseph Ratzinger

Parmi les auteurs, on relève le nom du philosophe allemand Robert Spaemann, qui avait participé au colloque. Or Robert Spaemann est depuis longtemps un proche de Joseph Ratzinger.
Sandro Magister constate que Benoît XVI ne s’est jamais prononcé directement sur la question, pas même en tant que théologien et cardinal, mais on sait qu’il apprécie ce qu’écrit son ami Spaemann.
Au Consistoire de 1991, le cardinal Ratzinger avait tenu des propos qui sont plutôt contraires au rapport de Harvard. Après avoir dénoncé la façon dont on utilise le diagnostic prénatal « pour éliminer systématiquement tous les foetus qui pourraient être plus ou moins malformés ou malades », il disait : « Plus tard, ceux que la maladie ou un accident feront tomber dans un coma “irréversible” seront souvent mis à mort pour répondre aux demandes de transplantations d'organes ou serviront, eux aussi, aux expériences médicales, en tant que “cadavres chauds”. » Or la décision de définir la mort par l’arrêt des fonctions cérébrales avait précisément servi à justifier les prélèvements d’organes sur des personnes dont le cardinal Ratzinger disait qu’on les mettait à mort…
Dans un livre récemment publié en Italie sous le titre Mort cérébrale et transplantations d’organes, une question d’éthique juridique, Paolo Becchi, professeur de philosophie du droit aux universités de Gênes et de Lucerne, écrit :
« Puisqu’il y a aujourd’hui de bons arguments pour considérer que la mort cérébrale n’équivaut pas à la mort réelle de l'individu, les conséquences en matière de transplantation pourraient être vraiment graves. Et l’on peut se demander quand elles feront l’objet d’une prise de position officielle de l’Eglise. »
Il est donc bon que le débat soit relancé.

Mais qu’est ce que le cœur ?

Je voudrais ajouter qu’il ne s’agit pas seulement d’une question scientifique et morale, mais aussi d’une question symbolique. Et je relève que personne ne paraît s’en soucier.
Il n’est pas anodin que le centre de la personne humaine, dans toute la Sainte Ecriture, soit le cœur, conformément au fait que le cœur est au centre du corps humain. On pourrait multiplier les citations. Prenons seulement ce que dit le Christ dans l’évangile de saint Marc : « Ce qui entre dans l’homme, en venant du dehors, ne peut pas le rendre impur, parce que cela n’entre pas dans son cœur, mais dans son ventre, pour être éliminé. (…) Ce qui sort de l’homme, c’est cela qui le rend impur. Car c’est du dedans, du cœur de l’homme, que sortent les pensées mauvaises. »
Quand on dit que quelqu’un a le « cœur pur », on ne veut pas dire que son sang est sans toxine.
La Bible parle sans cesse du cœur de l’homme. Elle ne parle jamais de son cerveau. Au contraire, l’homme moderne fait le plus grand cas du cerveau, qu’il voit comme l’organe qui lui permet d’être comme Dieu et de pouvoir se passer de Dieu, parce que, croit-il, c’est l’organe de sa pensée souveraine, alors que ce n’est qu’une sorte d’interface entre l’âme et ses propres mécanismes physico-chimiques, permettant d’exprimer des pensées et des sentiments et d’avoir une conscience consciente de soi .
Les auteurs spirituels ont toujours mis en garde contre cette tentation. A cause du péché originel, la personne humaine est éclatée entre son cœur, son cerveau et son sexe, les deux derniers se battant pour prendre le pouvoir. Les pères montraient qu’il fallait dompter le cerveau (l’intellect), et le « faire descendre » dans le cœur, de même qu’il faut « faire monter » le sexe (la libido) dans le cœur, afin de recentrer la personne sur ce qui la relie directement à la Vie.

Le Sacré Cœur, pas le Cerveau Sacré

On sait comment, y compris dans l’Eglise, certains se moquèrent du culte du Sacré Cœur. Ils appelaient les propagateurs de cette dévotion des « cordicoles », et trouvaient absurde qu’on puisse adorer ce qui n’était qu’un muscle, même chez le Christ.
Pourtant le culte du Sacré Cœur est devenu un élément capital dans l’Eglise latine. Et il n’y a jamais eu de tentative d’instaurer une dévotion au « Cerveau Sacré » du Sauveur. Jamais. Alors que selon la pensée moderne, c’est de son cerveau que venait son enseignement. Mais le chrétien, même moderne, ne peut qu’être mal à l’aise devant une telle formule. Car il sait que cet enseignement venait de Dieu. Et il ne pouvait venir de Dieu que par le centre de l’humanité du Christ : son cœur, dont est sorti, après le coup de lance, l’eau du baptême et le sang de l’eucharistie, c’est-à-dire la vie de l’Eglise et du chrétien.
Le Christ étant une personne divine, son cœur (son Sacré Cœur) est véritablement le lieu de la communication divine (comme cela apparaît clairement dans les visions de sainte Gertrude), donc la voie de l’amour, car Dieu est amour.
Dans la pensée biblique, le sang est la vie. Le cœur est l’organe vital par excellence. En envoyant le sang, il donne la vie au corps. Et le sang du Christ, qu’épanche son Sacré Cœur, donne la vie divine.
Le cerveau ne donne pas la vie. Donc il ne met pas fin à la vie quand il s’arrête de fonctionner. C’est quand le cœur ne donne plus la vie que la mort intervient. Ou plus exactement la vie est alors transférée du cœur humain au Cœur de Dieu.
Quand il s’agit de la vie et de la mort, les considérations scientifiques et morales sont insuffisantes. Il est à espérer que le débat rouvert par l’article de l’Osservatore Romano se poursuive. Et prenne de la hauteur. Il va falloir que la mort aussi redescende du cerveau vers le cœur.


La discussion

 Adversaire du don d'organes: un prêtre FSSP viré, de Presbu [2009-10-28 12:09:59]
      Sujet très intéressant, de Gentiloup [2009-10-28 12:22:48]
          Qu'entendez vous, de Donapaleu [2009-10-28 12:46:47]
              Cela fait partie du problème, en effet, de Vianney [2009-10-28 13:01:36]
              on repart...., de Pol [2009-10-28 13:03:53]
                  Il s'écoule plusieurs heures , de Donapaleu [2009-10-28 14:05:01]
                      Plusieurs heures..., de Pol [2009-10-28 15:24:57]
          Ayant travaillé dans ce domaine, de Zombie [2009-10-28 18:58:45]
          Toujours vivant ? ..., de Cath...o [2009-10-28 19:16:54]
              Si une infirmière, de Gentiloup [2009-10-28 20:11:02]
      Si cela peut servir à la réflexion,, de Yves Daoudal [2009-10-28 13:01:42]
          Imagine-t-on le Sacré-Coeur ..?, de Gentiloup [2009-10-28 14:05:07]
              Pas simple, de Nemo [2009-10-28 18:36:51]
                  Différent, de Gentiloup [2009-10-28 20:39:49]
              Un corps glorieux, nous ressusciterons avec un cor [...], de Pom [2009-10-28 19:21:17]
                  Certes, de Gentiloup [2009-10-28 20:45:20]
          Question disputée... et brûlante, de Jeanne Smits [2009-10-28 16:05:34]
              Petit témoignage, de Scribe [2009-10-28 20:52:28]
                  C'est une belle, très belle histoire !, de Athanase [2009-10-28 22:12:00]
                  Un témoignage de plus..., de Gentiloup [2009-10-29 10:44:02]
                      Sauf que ..., de Cath...o [2009-10-29 10:55:39]
                          La vraie question..., de Jeanne Smits [2009-10-29 11:38:04]
                              Tout à fait d'accord, de ViktoriaStaalAusWien [2009-10-30 18:24:02]
              [réponse], de Pic-vert [2009-10-28 21:15:09]
      En fait il aurait donné sa démission., de Wallenstein [2009-10-29 11:36:51]
          "qu'il ne pouvait plus célébrer" ? Pou [...], de Luc Perrin [2009-10-29 14:57:19]
              La liberté est pleine de limites., de Wallenstein [2009-10-30 14:06:59]