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JUILLET 2003 A MARS 2011

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Ovide, le retour. Imprimer
Auteur : Yves Daoudal
Sujet : Ovide, le retour.
Date : 2009-09-16 16:03:39

Suite à certains fils, je ne résiste pas au plaisir de vous faire connaître ce texte de Jacques Trémolet de Villers, dans Présent daté d'aujourd'hui. En ajoutant que c'est toujours une joie de lire ce qu'écrit ce cher Trémolet chaque semaine dans Présent.

L'art d'aimer
ou épître réparatrice à Ovide

AINSI mon cher Ovide, le poète choisi de mon adolescence, l'initiateur aux drames de Pyrame et Thisbée, jeunes inventeurs - par amour - du téléphone, avant d'être, par amour, la préfiguration de Roméo et Juliette, ainsi, vous êtes attaqué par mes amis, mes lecteurs, mes proches, parce que l'Education nationale, en mal d'auteur latin, vous a désigné, cette année, pour l'épreuve du baccalauréat.
Les professeurs ont choisi, pour l'épreuve de version latine, L'art d'aimer.
On s'est ému, on pétitionne, dans les meilleurs milieux, et on vous accuse, cher poète exilé, du péché de luxure ; je vous fais grâce des autres. Je pense que, là où vous devez être, dans les champs élyséens où, en bon païen que vous fûtes, vous attendez la venue de celui que vous n'avez pas connu, mais pour qui, sans le savoir, vous avez travaillé, l'affront vous est indifférent. Si je le relève, pour vous défendre, ce n'est pas davantage pour vous que pour moi, ou plutôt c'est par piété envers vous, envers votre art, envers votre œuvre, envers ce que nous vous devons.
Laissons Les Métamorphoses que mon ami et confrère Olivier Sers vient de traduire - vers pour vers, onze mille vers latins, onze mille alexandrins français qui se répondent mot pour mot - nous en parlerons un autre jour, de cette gigantesque Histoire universelle du paganisme, monument dressé pour la mémoire de ce qui fut avant. Avant quoi ? Avant la Révélation que vous ne pouviez pas connaître, mais dont le souffle qui passe dans votre épopée est comme une attente en haleine, où l'on voir, à l'état de germe ou d'accomplissement, les espérances, les absurdités, les monstruosités et aussi les beautés d'un univers qui, pour ne pas connaître le vrai Dieu, vit au rythme d'un désir qui ne peut être que la face cachée de son amour.
Ovide, c'est certain, poète de l'amour, connaît mieux le petit dieu Eros que la douce, pure et chaste Agapé. Mais il en parle avec une telle expérience, une telle sagesse, un tel amour de l'amour humain que, face à la bestialité, à la brutalité, à l'inhumanité toujours renaissante et menaçante, son Art d'aimer sonne comme une proclamation de l'honneur de l'homme. Son préambule le dit : « S'il est quelqu'un de notre peuple à qui l'art d'aimer soit inconnu, qu’il lise ce poème, et, instruit par sa lecture, qu'il aime. » L’œuvre est trop importante, trop complète pour qu'ici j'en dise tout. Mais comment ne pas voir, en comparaison de l'immense majorité de films, de romans, d'émissions de radio ou de télévision où ce qui n'est plus que la caricature de l'amour humain est ramené à une brève pulsion, à quelques borborygmes et à la violence machinale - cinématographique, décalquée de soi disant modèles - de quelques gestes, toujours les mêmes - le trésor, je dis bien le trésor, qu'est l'art d'aimer ?
Dans notre époque où les liaisons sont si brèves, si intermittentes, que ce terme même de « liaison » n'est plus employé, où, au gré des humeurs, des envies, des dégoûts ou des illusions, au gré des modes, les couples, mariés ou non, se défont- pour se refaire ailleurs, et encore se défaire, dans une inconstance vraiment mortifère, quelle leçon donne mon poète quand il écrit : « Ce n'est pas assez que mes vers aient amené à toi celle que tu aimes : mon art te l'a fait prendre, mon art doit te la conserver. Et il ne te faut pas moins de talent pour garder les conquêtes que pour les faire ; dans l'un, il y a du hasard, l'autre sera l’œuvre de l'art. »
L'art d'aimer, pour lui, est plus exigeant encore que l'art de la guerre. Il demande plus de constance et plus de sacrifices. J'ai envie de recommander à tous les couples ébranlés par la lassitude, de suivre le conseil d'Ovide : les hommes pour la patience, la bienveillance, l'admiration infatigable, la disponibilité absolue, l'oubli de soi, de ses goûts, de ses préférences, de ses habitudes, de son confort, des satisfactions, jusqu'au détachement suprême qui est de tenter de contenter un être qui ne se contente pas. Les femmes, pour le travail incessant que demande l'entretien de leur esprit et le soin de leur corps : les cheveux, le regard, le visage, le teint, les habits, la démarche, la voix, les intonations, les rires et le sourire, le soin des dents, le parfum du souffle, bref une attention à elle-même dont le seul but est de retenir l'amour - toujours volage de celui qu'elles aiment.
La masse énorme et ennuyeuse de toute une littérature, soi-disant pieuse et en même temps pédante, sur le couple et le mariage vole en éclats à la lecture de ces vers enlevés. Evidemment, Ovide ne fait pas la morale. Ce n'est pas un Père de l'Eglise. Comment l'aurait-il été puisqu'il ne connaissait que certaines réunions, le septième jour de la semaine, « des juifs de Syrie », à Rome, où il observa que les jeunes filles étaient nombreuses et belles ?
Mais parce qu'il est poète, poète romain, poète de haute civilisation, et comme pour parler de l'amour il faut être poète, il a écrit cette œuvre unique : L'art d'aimer.
L'art d'aimer ! On dit qu'Héloïse, celle qu'aima Abelard, lequel « châtré fut et puis moine / pour son amour eut cette essoine », quand elle était supérieure de son couvent, donnait à étudier ces vers - au moins certains - à ses moniales qui, par fraîcheur de cœur et d'esprit, les appliquaient spontanément à l'amour de Jésus-Christ. Je pense qu'elle voulait leur apprendre que le véritable amour ne se paie pas de sensations, de sentiments, d'illusions et de rêveries mais veut des actes, des sacrifices, des souffrances, des efforts, la mise en œuvre de tout un art dont il est le seul but et la raison d'être.
L'expérience chrétienne, le Moyen-Age avec ses cours d'amour, les grands moralistes que l'Eglise a donnés au monde ont accru, anobli et porté à la perfection cet art d'aimer, qui est la seule justification et le vrai sens de la morale. Mais ces transfigurations postérieures ne doivent pas faire oublier ceux qui, marchant dans l'ombre et les ténèbres ont cependant jeté la lumière de leur talent et de leur raison sur cette seule occupation, seule passion, seule raison de vivre des hommes : aimer.
Comment aimer ? Comment bien aimer ? Comment mieux aimer ? Ovide, un peu rusé, un peu malin, un peu cynique, mais aussi vrai connaisseur de psychologie, et vrai poète, le premier a donné à l'univers, cette oeuvre vraiment humaine : l'art d'aimer.
Que nos éducateurs sourcilleux ou inquiets s'apaisent ! Qu'ils relisent attentivement ces vers et qu'ils les comparent à ce qui pullule dans notre culture en décomposition ! Ils ne tarderont pas à convenir que si, par miracle, quelques adolescents venaient à s'y intéresser, leur conduite amoureuse trancherait, d'une telle façon, sur celle de leurs contemporains que certains, ou plutôt certaines, admiratives, voudraient en faire un nouveau style, un genre, une mode. Alors, on verrait, au cinéma, au théâtre, dans la rue, sur les places et dans les parcs, dans les trams et les métros, dans les salles de classe, sur les bancs des facultés, les jeunes hommes rivaliser de prévenances, de soins et d'attentions délicates à l'égard des jeunes filles qui, elles, s'efforceraient d'être toujours souriantes, affables, parlant bien et sentant bon. Si, par miracle encore, les parents de ces adolescents, stupéfaits de la conduite de leur progéniture, venaient à étudier, eux aussi, ce poète qui inspire à leurs enfants une telle conduite, nous les verrions, ces vieux mariés, s'attacher à redoubler, elles, d'attention à plaire à leurs époux, eux, de redécouverte de ce qui peut les faire sourire, rire, ou les séduire. Les familles ne seraient plus « les cellules de base de la société » - « le régime cellulaire, disait André Gide, très peu pour moi », mais les foyers où se cultive, de génération en génération, « l'art d'aimer ».
J.T.V.


La discussion

 Ovide, le retour., de Yves Daoudal [2009-09-16 16:03:39]
      Beau texte, merci de cet hommage, de Glycera [2009-09-16 16:31:49]
          J'imagine que les "frileux" dont vous , de Elzéar [2009-09-16 16:46:20]
              profondeur des sexes., de Savonarole [2009-09-18 09:13:14]
          Facile, de Meneau [2009-09-16 21:20:00]
      Merci Monsieur Daoudal, de Elzéar [2009-09-16 16:39:45]
      Le problème n'est pas vraiment là, de Toussaint [2009-09-16 16:43:33]
          Ah bon!?, de Don Henri [2009-09-16 17:13:42]
              Il y a choix et choix, de Vianney [2009-09-16 17:17:37]
          Le véritable problême..., de Arf [2009-09-16 17:47:55]
              Mais il n'y a aucun problème!, de Souris verte [2009-09-16 20:47:58]
      Gloire soit rendue à Ovide, de Tibère [2009-09-16 17:56:00]
          Ad multos annos !, de Stylus Phantasticus [2009-09-16 18:44:41]
      Hommage dithyrambique, de Meneau [2009-09-16 21:14:16]
          L'avez-vous seulement lu ?, de Stylus Phantasticus [2009-09-16 21:22:13]
              Pas entièrement., de Meneau [2009-09-16 21:42:15]
              Mille fois d'accord avec vous, de Tibère [2009-09-17 08:53:06]
                  Et l'argument, il est où ?, de Meneau [2009-09-17 20:57:43]
      Je n'avais rien signé !, de Ennemond [2009-09-16 21:26:15]
          Hou !, de Meneau [2009-09-16 21:47:07]
      oui ou non ?...., de Chataigne [2009-09-16 23:33:08]
          Apologie du viol ..., de Pellicanus [2009-09-16 23:51:50]
              Non, ce n'est pas une apologie du viol., de Yves Daoudal [2009-09-17 14:56:03]
                  Pourquoi ne la citez-vous pas..., de Vianney [2009-09-17 15:18:28]
                      Voilà., de Yves Daoudal [2009-09-17 16:15:29]
                          Merci..., de Vianney [2009-09-17 17:06:20]
                  ah !, de Chataigne [2009-09-17 15:22:48]
          moi de même, de le prochain [2009-09-17 15:59:46]
              Hé !, de Ennemond [2009-09-17 16:02:37]
              en effet... je suis en colère, de le prochain [2009-09-17 16:11:38]
                  Au passage..., de Etienne [2009-09-17 16:53:14]
                      Un peu avant il y a ceci:, de Yves Daoudal [2009-09-17 17:25:10]
                          Ne vous fatiguez pas Monsieur Daoudal, de Tibère [2009-09-17 17:52:01]
                              Ne vous inquiétez pas, de abbé F.H. [2009-09-17 19:08:55]
                      Tout cela va se terminer en bacchanales..., de Gentiloup [2009-09-17 21:59:00]
                          En moins "monstreux", certes, mais loin  [...], de Glycera [2009-09-17 22:28:09]
                              Fahrenheit 451, de Tibère [2009-09-18 07:47:27]
                                  Merci de relever..., de Etienne [2009-09-18 08:23:22]
                                      Point Godwin, de Un modérateur [2009-09-18 08:25:36]
                                          Moui, de Etienne [2009-09-18 08:30:03]
                                              Si on n’a même plus le droit..., de Vianney [2009-09-18 12:45:41]
                              Beauté?, de Gentiloup [2009-09-18 12:55:56]
                          Le Cantique des cantiques, de Yves Daoudal [2009-09-18 11:02:21]
                              Oui..., de Gentiloup [2009-09-18 13:20:02]
                                  Vous n'avez jamais entendu ces versets, de Yves Daoudal [2009-09-18 15:45:25]
                                      Dans le Cantique des cantiques se trouve la plus h [...], de Gentiloup [2009-09-18 17:32:27]
                                          Bah..., de Tibère [2009-09-18 18:04:05]
      Cher Daoudal..., de Jeanne Smits [2009-09-17 17:55:36]
          Je comprends très bien, de Yves Daoudal [2009-09-17 18:42:50]
              Eh oui..., de Jeanne Smits [2009-09-17 18:57:00]
          Si les écoles sont solides..., de Glycera [2009-09-17 21:33:23]
              Merci, de Jeanne Smits [2009-09-17 21:43:05]
              Nous sommes d'accord, mais..., de Meneau [2009-09-17 21:59:27]
          Les liaisons dangereuses ont fait partie de mon pr [...], de Athanase [2009-09-18 00:07:41]
      Merci à M. Trémolet de Villers, de Vassilissa [2009-09-17 21:12:55]
          Question d'âge et de maturité intellectuelle, de Scribe [2009-09-17 21:23:02]
              Pour un autre livre, avec des élèves plus jeunes, de Glycera [2009-09-17 21:37:27]
                  et..., de Parvula [2009-09-18 12:36:40]
                      Ah ça..., de Yves Daoudal [2009-09-18 13:01:50]
          Quelle juste remarque !, de Athanase [2009-09-17 22:19:42]
      Que connaissez-vous de la jeunesse ?, de Ennemond [2009-09-17 22:12:54]
          "De l'amour libre à la liberté pour aimer&q [...], de Gentiloup [2009-09-18 13:36:10]