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JUILLET 2003 A MARS 2011

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Le Poème de la Sainte Liturgie Imprimer
Auteur : Bertrand Decaillet
Sujet : Le Poème de la Sainte Liturgie
Date : 2004-06-25 18:58:50

Je crois que le Cal Journet avait pas mal de choses à reprocher à l'abbé Zundel du point de vue théologique.

Incompétent dans ce débat, et bien qu'on sente quand même "le vent" d'un certain oecuménisme au fil des pages de Zundel, je vous livre ici ce qui fut pour moi une des plus puissantes lectures jamais faite.

Cela s'intitule Le Poème de la Sainte Liturgie La bonne édition date de 1934, car hélas, mille fois hélas, une nouvelle édition "impie" a été faite dans les années 90, qui "adapte" le texte de l'abbé Zundel au nouveau rite... et ça en devient insipide d'entorse et de malhonnêteté, dans le genre Ah, si Bach avait connu le piano..., comme quoi les progressiste aussi ont leur manière de nostalgie et d'intégrisme...

Voici les première page de l'édition authentique. Ca peut parraître décourageant... mais imprimer et lisez tout, vous verrez ! Et ensuite trouver-le chez un bouquiniste pour la suite!

Autre nostalgie : Ah si le BTAG existait toujours, voilà qqch à scanner... et mettre en ligne.



*********************


UNE VISION SACRAMENTELLE
DE L'UNIVERS

AUX SOURCES DU « BENEDICITE »

La vie nous révèle à nous-même comme une capacité d'infini. C'est là le secret de notre liberté. Rien n'est à notre taille et l'immensité même des espaces matériels n'est qu'une image de notre faim. Toute barrière nous révolte et toute limite exaspère nos désirs.
C'est aussi la source de notre misère. Une capacité n'est qu'une aptitude à recevoir. Une capacité d'infini est une indigence infinie, qui exige d'être comblée avec une urgence proportionnelle à ses abîmes.
Il est d'ailleurs évident que ce n'est pas à notre corps, qui n'est qu'un point dans l'univers, que nous devons cette ampleur illimitée du vouloir. Notre âme s'y révèle, et la qualité des nourritures qui doivent nous combler : C'est dans l'invisible seulement qu'elles se peuvent rencontrer dans l'univers intérieur de l'Esprit.
Notre chair même y doit trouver accès et s'assouplir à ses exigences immatérielles, si toute une part de nous-même ne doit point rester étrangère à notre suprême réalisation. Mais le monde invisible l'épouvante et la déconcerte; elle se sent dépossédée à son approche et s'attache avec d'autant plus de violence à son domaine.
Ne parvenant pas à réaliser notre unité par en-haut, nous nous efforçons de l'atteindre par en-bas. Par un transfert de notre appétit sur les objets sensibles, nous leur prêtons la séduction infinie qui répond à l'immensité de nos désirs.
Quoi de plus naturel dès lors que de céder à leurs promesses et de subir l'envoûtement de leur attrait ? Comment pourrions-nous résister à leur appel, affamés d'infini, quand l'infini semble à portée de la main ?
Nous ne voyons pas que ce qui nous fascine et nous enivre, c'est la projection sur les choses du besoin infini qui nous travaille, le scintillement de l'esprit sur la croupe mobile des vagues fuyantes. Nos mains gardent de leur capture autant qu'un enfant qui s'efforce de saisir l'iris d'une bulle de savon. Nos désirs s'exaspèrent, nos raffinements se dépassent et notre vide s'accroît.
Il faudrait, à ce point, nous montrer ce que nous poursuivons réellement, plutôt que de nous accabler sous la vanité des objets qui nous séduisent. Car ce ne sont pas eux qui nous ensorcellent, mais le chatoiement de l'infini dans les plis de leur étoffe : nos pires excès témoignent encore de notre vocation divine, et ne représentent souvent que l'élan désespéré de notre cœur vers un bonheur insaisissable.
Quelle blessure est souvent, en vérité, la révélation de notre grandeur, et quelle résonance illimitée donne à toutes nos émotions cette capacité d'infini qui est le fond de notre nature ! Nos douleurs et nos joies sont sans bornes, comme nos tendresses et nos admirations. Et pourtant nos réalisations semblent si précaires et si vaines.
Nos gestes seront-ils éternellement des simulacres dont l'éclat des mots couvrira le vide, ou faudra-t-il admettre avec un tranquille scepticisme, pour échapper à la magie du lyrisme, que la vie se limite aux accidents incohérents d'une physique et d'une chimie délirante ?
On n'expliquerait pas alors ce besoin de comprendre qui dépasse tellement en nous l'utilité que nous pouvons tirer des choses, ni comment nous serions intelligents si l'univers était inintelligible.
La Science a fondé toute son oeuvre géniale, patiente, héroïque, immortelle, sur cette conviction que la nature est capable de répondre aux questions qu'elle suscite en nous, qu'elle est sujette au nombre et pénétrée de raison, comme elle est génératrice de pensée. Et si la science n'atteint jamais le fond du réel, elle ne cesse pourtant point de le poursuivre et de s'en approcher, en écoutant la confidence inépuisable des choses.
L'Art a constamment senti que la matière passait infiniment la matière, et il s'est servi de la matière même pour exprimer ce dépassement. Les dimensions du monde sensible se sont dilatées sans mesure, ses contours se sont assouplis en la fluidité d'une atmosphère transparente, et sous des traits innombrables, un Visage unique a surgi: un Visage dont l'intensité enivrante et déchirante n'a jamais laissé percevoir le dessin.
L'Amour est une éternelle extase au berceau de la vie. Il s'est enchanté de tous les espoirs, il a connu tous les sanglots, il s'est meurtri de toutes les blessures, il a poussé jusqu'à la mort l'ivresse de la vie. Il s'est approprié le langage de l'adoration : tellement il était sûr d'être aux prises avec l'Infini. Mais il est rare qu'il en ait reconnu la véritable nature. Comme l'art et comme la science, il a subi, le plus souvent, l'aimantation qui l'entraînait sans cesse au-delà, sans en discerner la source; et il a soumis l'homme à d'indicibles tortures, dont celui-ci était souvent lui-même, avec une aveugle frénésie, la victime et le bourreau.
L'Art et la Science se sont généralement déchaînés avec moins de violence; mais ils se sont contaminés parfois au contact de l'homme qui les pratiquait, en perdant, dans le tumulte de ses passions, leur transparence et leur docilité, jusqu'à devenir les enseignes de son orgueil et de sa vanité.
Le mystique a sondé ces plaies avec un indicible respect et une magnanime compassion. Il a compris que l'élan magnifique devait retomber sur soi, ou trébucher sur une idole, que cette sortie triomphale ne pouvait qu'aboutir à la pire captivité, si l'extase ne rencontrait son objet véritable, si l'infini ne se révélait indubitablement comme un Autre : à qui tout l'être pût être réellement donné, avec toutes les exigences de sa vie intérieure, toute la richesse de ses désirs, et toute l'immensité de son cœur. Un Autre, mais qui fût de l'ordre de l'Esprit, et tellement intérieur que la personne acquît sa véritable autonomie en lui cédant et en s'y abandonnant comme à son vrai moi. Un Autre en nous, qui ne fût pas nous, et sur qui notre être moral pût être fondé, dans un altruisme qui consacrât son unité.
Le mystique saisit du premier coup la nature divine du problème, et l'immensité des valeurs en-gagées dans ces erreurs tragiques, dont un être spirituel est seul capable. Il sait d'ailleurs que les blessures de l'âme sont aussi les points d'insertion de ses ailes, et que nos instincts les plus profonds, ressaisis dans toute leur pureté, et réalisés selon toute l'ampleur de leur élan, aboutissent d'eux-mêmes aux régions silencieuses de la prière. Il est ouvert à tous les êtres, et tous les gémissements de l'univers, toutes les recherches de l'esprit, tous les rêves de l'art, tous les émois et toutes les blessures de l'amour ont trouvé un refuge dans son cœur. Il entend toutes ces voix en leur résonance intérieure, en leur « De Profundis », en leur divine clameur; et les mots de la parabole lui deviennent mystérieusement lisibles comme le dénouement positif de toutes ces angoisses : « mon ami, monte plus haut » .
Il vous faut entrer encore plus avant dans vos recherches, vous identifier plus intérieurement avec l'objet qu'elles poursuivent, en vous effaçant davantage, en vous démettant plus profondément de vous-même, en écoutant avec plus d'humilité; car c'est dans la mesure où le moi est crucifié que «l'Autre» se fait jour en nous et que l'Infini, sur lequel tout être est ouvert, se laisse identifier comme une Présence spirituelle et comme une Vie débordante. Vos bras doivent s'ouvrir pour accueillir et non pour prendre, pour donner votre vie et non pour posséder celle d'autrui.
Et c'est là justement le secret de la Croix, qui est le berceau mystérieux d'un monde nouveau, l'arbre de vie miséricordieusement enraciné dans nos cœurs, dont la Sainte Liturgie évoque et réalise à tous les instants du jour, sur quelque point de la terre, l'inépuisable fécondité.
Comment dire, dès qu'elle est réellement vécue, quand elle s'élève comme le chant divin du Silence, entre les portiques du recueillement, son ineffable pouvoir de réconciliation ?
Tout s'assouplit paisiblement aux exigences rédemptrices de l'Amour crucifié : les gestes s'intériorisent, les paroles deviennent silencieuses, les chants écoutent, les couleurs magnifient les saisons de l'âme, l'encens fait monter sa prière, et toute matière offre les abîmes de son cœur comme reposoir à l'Esprit. La Création apparaît du dedans, translucide en l'unité vivante de l'Amour. La Lumière du monde scintille dans la flamme du cierge, et son cœur bat dans le mystère de la lampe. L'Univers, en état de Contemplation, n'est plus qu'un immense sacrement . On le découvre enfin avec ses trois dimensions d'être , en l'ouverture infinie de ses trois ordres, comme la suprême offrande de la Charité divine à la Charité humaine et comme la suprême action de grâces de la Charité humaine à la Charité divine. L'Infini est là, a portée de l'Esprit, au cœur de la matière transfigurée, qu'on ne peut plus voir que par les yeux de l'âme : à mesure qu'on goûte au divin Ferment qui incorpore à notre vie, sous le voile du pain, le Mystère infini de l'Amour crucifié.
Notre regard s'insère au centre le plus intime des choses et s'épanouit du dedans au dehors suivant le mouvement de la source - saisissant ce dehors même dans la lumière du dedans, épelant la pensée divine dans l'alphabet glorieux des signes. La plus humble réalité luit à l'horizon de l'âme comme un ostensoir, et chaque rencontre ajoute une note nouvelle, en nos cœurs, au Cantique du Soleil.



L'EAU LUSTRALE

L'ASPERSION
Quelle admirable promotion de l'eau, quelle tendresse, quel respect, quelle charité !
Le poète déjà avait chanté les sources, les fleuves et les mers. Et de cette eau qui est la nourrice féconde de tout ce qui vit sous le ciel, il avait retracé le cycle merveilleux, toute l'immense aventure qu'elle ne cesse de courir — dans la fraternité des astres et du vent, et sous la conduite éclatante du soleil et l'aimantation silencieuse de la lune — pour être tour à tour le torrent qui dévale ou le ruisseau qui murmure, le lac rêveur ou l'océan déchaîné, le fleuve puissant ou la paisible fontaine, la pluie lourde et drue ou la rosée diaphane qui a son berceau dans le cœur de la rose.
Le poète déjà avait recueilli dans ses odes le soupir des vapeurs et la tristesse des brouillards, et fait entrer dans des vers héroïques la procession magnifique des nuages.
Il semblait que l'eau eût reçu sa part de gloire et qu'elle eût accompli tout son destin dans ces cycles jumeaux : le cosmique et le poétique.
Une plus sublime élévation lui était pourtant réservée, par l'interférence mystérieuse de la Source Divine.
L'eau est une créature, et ce trait si banal est sa plus haute noblesse. Etre une créature, en effet, c'est être dans la pensée et dans l'Amour de Dieu. Et c'est donc déjà en quelque manière avoir part à sa vie. Mais peut-on avoir part à la vie de Dieu sans participer, au même degré, à Son action ?
Non, sans aucun doute, et tout être a son degré d'efficience , où joue quelque rayon de la causalité divine, en vue des fins suprêmes de l'univers auxquelles toute action doit concourir. La bonté de Dieu les résume toutes, en ouvrant à toute créature les richesses inépuisables de Son cceur. Qui pourra limiter l'effusion de ces trésors, quand l'amour infini est fa seufe mesure du don ?
Dieu sans doute ne peut pas créer un être qui soit son égal par son essence même. Etre créé implique une dépendance inconcevable en une Essence infinie. Aussi bien l'Etre divin n'est-il communiqué dans Sa plénitude qu'au sein de la Divinité même, en la génération du Verbe et la procession de l'Esprit Saint. Toute éclosion d'être au dehors comporte une limite inévitable qui restreint l'ampleur de l'être aux capacités infiniment diverses mais toujours bornées de l'essence qui le reçoit. Mais, cette dépendance réservée — qui est notre création même à laquelle Dieu lui-même ne pourrait nous soustraire sans nous refuser l'être — il semble qu'Il ait mis tous Ses soins à en compenser les limites et à en annuler les effets, par cette assomption merveilleuse de Sa grâce, qui nous ordonne à Sa vie intime comme à notre suprême Bien.
Il a voulu, par la surabondance de Sa lumière, effacer l'ombre de notre origine. Au lieu de serviteurs, I1 a voulu des fils et à la place de la crainte anéantie devant la majesté du maître, I1 a suscité en nos cœurs l'amour qui répond à l'amour, avec toute la gratuité du Don.
« Je ne vous appelle plus mes serviteurs, je vous appelle mes amis » . Cette parole, adressée d'abord à des êtres spirituels, s'étendait cependant, dans le dessein de l'Amour sanctificateur, à toute créature, pour autant qu'elle était capable d'en entendre l'appel.
Et sans doute seul un esprit pouvait être associé consciemment à l'intimité de la vie divine et donner son libre consentement à la dilection infinie qui se propose si mystérieusement à notre choix. Mais, si les créatures sans raison ne pouvaient pénétrer par elles-mêmes dans le sanctuaire ineffable de l'Esprit, elles pouvaient devenir, du moins, les messagères de Son amour et les signes vivifiants de Sa grâce.
Ainsi, par le don qu'elles communiqueraient, sans pouvoir se l'assimiler, elles auraient part, à leur manière, à la noblesse infinie de la Source, à Sa spiritualité sans ombre, à Sa tendresse la plus intime.
La Vie qui ne peut demeurer en elles passerait du moins par elles, et la Sainte Trinité qui en est l'éternel Foyer, deviendrait ainsi le lien mystérieux et le secret ineffable de toute créature.
C'est avec cette ampleur que l'on peut entendre le mandat confié par Jésus à ses apôtres : « Allez dans tout l'univers, et annoncez l'Evangile à toute la création . »
C'est dans cette perspective, en tous cas, qu'il convient d'entendre toute l'économie sacramentelle, pour autant qu'elle assume des créatures sans raison, comme instruments de notre sanctification. Elles deviennent un langage qu'emplit le Verbe de Vie, pour qui dire c'est faire. Elles deviennent elles-mêmes d'agissantes paroles, et l'eau, sur laquelle plane la divine colombe, est pour l'âme qui s'y prête, une source qui jaillit en vie éternelle.
C'est ainsi que nous regardons les sacrements comme des signes qui opèrent ce qu'ils représentent.
Non certes, que nous soyons disposés à méconnaître le moins du monde les dispositions intérieures requises pour les bien recevoir : la lumière n'éclaire point la maison dont les volets sont clos. Nous savons que Dieu est Esprit et qu'il faut que ceux qui l'adorent, l'adorent en esprit et en vérité.
Nous ne pouvons donc pas non plus concevoir la vertu divine qu'ils nous transmettent, comme enclose matériellement dans le signe qui la représente. Ce sont là des imaginations qui nous font horreur. Nous croyons simplement qu'il y a au cœur de toute créature un vestige de la Très Sainte Trinité, et que les éléments les plus matériels renferment, à l'état de possibilité tout au moins, quelque disponibilité spirituelle dont Dieu peut, suivant Ses desseins, actualiser un jour l'ineffable attente.
Si nous pouvons avec la matière des sons, dont est fait le bruit, construire la fluide et diaphane architecture de la musique ; si l'encre et le papier peuvent évoquer dans l'âme d'autrui les subtiles intonations de notre pensée ; si un baiser peut révéler au lépreux la plus sublime charité, faut-il s'étonner que Dieu daigne susciter en nous, par un langage cosmique, les résonances les plus intimes et les pulsations les plus secrètes de Sa propre vie ?
Allons-nous nous scandaliser et prétendre qu'Il semble nous assujettir ainsi aux éléments matériels — sur lesquels Sa tendresse pourtant ne refuse pas de se pencher — et serons-nous moins fraternels à l'univers qu'Il ne lui est paternel ?
Ne serons-nous pas plutôt transportés de joie de ne pouvoir échapper à sa tendre poursuite, et de retrouver en toute créature le visage tendu vers nous de l'éternel Amour ?
Car si tout n'est pas Sacrement au sens rigoureux du terme, d'ailleurs analogique , réservé aux sept signes qui portent ce nom, tout est cependant, ou peut devenir sacramentel : signe inducteur du Divin, en représentant et en suscitant de quelque manière en nous l'éclosion de la grâce divine :
Depuis l'air parfumé d'Angelus jusqu'au buis discret des Rameaux, depuis la montagne illuminée par une croix jusqu'à la mer sanctifiée aux Pardons, depuis les lents troupeaux que le prêtre a bénits jusqu'a l'avion mangeur d'espace que la prière a dédié au service des justes causes.
Il n'est rien de ce qui est bon, aussi bien, qui ne puisse être investi par la bénédiction de l'Eglise du mystérieux halo de la divine Tendresse.
Et comme tout ce qui est en tant que tel est bon — le mal n'étant que privation d'être — c'est tout l'univers, pour finir, qui tend à devenir Sacrement, comme l'immense ostensoir de la Présence divine.
O terre nouvelle, ô monde translucide, ô sources lumineuses qui êtes le chant de la Source, ô torrents argentés qui portez la blancheur de la cime, ô rives d'allégresse où court le fleuve de vie :

Vidi aquam egredientem de templo
a latere dextro :
Alleluia.
J’ai vu l'eau sortir du Sanctuaire
sur le côté droit :
Alleluia.
Et tous ceux auxquels elle parvint
ont été sauvés par cette eau,
et ils chantent :
Alleluia, alleluia.

L'eau ne t'est-elle pas plus proche maintenant, ne sens-tu pas trembler en elle le mystère de l'Amour qui te la donne, et ne l'aimes-tu pas déjà comme une sœur ?
Elle t'accueille à l'entrée de l'église, l'eau de ton baptême, l'eau de ta candeur, l'eau de ton enfance divine. Et voici que le prêtre, par surcroît, avec un sceptre humide la diffuse dans l'air, pour qu'elle retombe sur ton front en rosée d'allégresse :
Asperges me, Domine, hyssopo :
et mundabor.
Vous m'aspergerez, Seigneur, avec l'hysope,
et je serai pur.
Vous me laverez, et je deviendrai
plus blanc que la neige.





I
LA MESSE DES CATECHUMENES
OU LITURGIE DE LA SYNAGOGUE


1. PREPARATION


LE SIGNE DE LA CROIX

Nous entrons dans la Divine Liturgie en nous signant : au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Nous traçons sur nous la figure de la Croix dont nous allons vivre le Mystère. Nous appelons l'éternelle Charité dont elle est, au carrefour des siècles, la sanglante extase. Nous invoquons l'indivisible Trinité à laquelle le Sacrifice est offert par l'Humanité sainte qui subsiste dans le Verbe.
Nous adorons le Père qui s'exprime en disant le Verbe, le Verbe qui s'affirme en exprimant le Père, et l'Esprit qui se veut comme la flamme éternelle du baiser qui les joint. Nous confessons la mystérieuse fécondité de l'Unité suprême et la sainteté infinie des relations personnifiantes, où la Vie divine ne subsiste, n'émerge en foyer personnel que sous forme d'élan vers un autre, où le soi de chaque personne est tout extase et tout altruisme, où l'incommunicabilité du moi est fondée sur une éternelle communication, où l'appropriation est l'absolue diffusion de tout l'être, où nul égoïsme n'est concevable, nul repli, nulle complaisance et nulle « possession », où la limpidité éternelle de l'Amour sans rivage laisse entrevoir, dans « le trésor de ses abîmes » le Visage ineffable de la très Sainte et très Magnanime Pauvreté .
C'était peut-être à nos yeux une simple formule enregistrée dans notre mémoire, un pur problème méta physique, où une distinction subtile et d'ailleurs véritable, accordait la multiplicité du Trois à l'unité de l'Un.
C'est bien autre chose au regard de la Foi : le mystère de l'éternelle Sainteté dans l'altruisme infini d'une éternelle charité. N'est-ce pas ce que suggère S. Jean dans sa première épître : « Pour nous, nous connaissons la Charité que Dieu a pour nous et nous y croyons : Dieu est charité » .
Faut-il s'étonner dès lors que la parabole temporelle de la Vie divine, en l'incarnation du Verbe, s'achève sur la Croix, dans l'anathème de la plus atroce pauvreté — et dans l'ouverture infinie des bras étendus ?
L'Abîme appelle l'Abîme dans l'échange incompréhensible d'ineffables « De Profundis » .
Avec quel respect, quelle ferveur, quelle ouverture de coeur et d'esprit ; quelle profonde admiration et quelle joyeuse reconnaissance ; quelle indicible confusion et quelle universelle Charité; quelle sobre lenteur et quelle totale intériorité, il convient donc de faire le signe de la Croix, partout et toujours, mais avec un recueillement plus intime encore, en entrant maintenant dans la divine Liturgie :
Au nom de Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Amen.



JUDICA ME


J'irai à l'autel de Dieu,
Vers Dieu qui est la joie de ma jeunesse.

Cette antienne nous reporte au temps où le psaume 42 était récité à titre privé par le prêtre, avant de se rendre à l'Autel. Elle est chargée de toute l'ardeur et de toute la nostalgie du psalmiste exilé aux sources du Jourdain, loin de la sainte montagne de Yaweh.
C'est l'antienne de la Messe, qui est le fruit mûr de l'arbre de vie planté sur le Calvaire : le Mystère de la douleur créatrice de Joie dans l'ascension de l'Amour.
II est si Facile de prononcer les mots qui signifient le don de soi-même, et il est si difficile d'en remplir la promesse.
Quand il n'y a plus rien à recevoir, quand vient l'heure de donner, c'est-à-dire, en vérité, quand vient l'heure de l'Amour, nous ne reconnaissons plus le visage dont notre ferveur implorait la présence. Nous repoussons le calice d'amertume, nous nous détournons de la Croix, et notre coeur n'est qu'une plainte contre l'injustice du sort.
Juge-moi, Elohim, arbitre ma querelle, Et d'une nation impie, de l'homme de fraude et d'iniquité, délivre-moi. Car c'est Toi, mon Dieu, ma forteresse. Pourquoi m'as-Tu rejeté, et pourquoi suis-je errant dans le deuil, tandis que l'ennemi m'opprime ?
Cette plainte, Dieu la comprend si bien qu'Il en a Lui-même épelé les mots sur les lèvres du chantre inspiré, pour que nous ne doutions jamais qu'Il est éternellement ouvert à nos gémissements. Il ne se lasse point de nos cris, Lui qui a donné à la solitude humaine le refuge mystérieux d'une angoisse infinie : « Père, si c'est possible, que ce calice s'éloigne de moi » .
Mais ce n'est pas tou jours possible, hélas ! Il y a des biens si grands, que notre cœur doit se rompre pour leur donner accès. Comment l'Infini, pour s'intégrer à notre vie, n'en ferait-il pas éclater les limites ?
Notre être chancelle d'épouvante sous les coups de cette mort qui nous enlève brusquement tous les appuis familiers, en nous rendant étranger jusqu'à notre propre visage. Ah ! que du moins naisse en nous la Vie véritable, et que l'âme ressuscite en la divine Clarté :
Envoie Ta Lumière et Ta Vérité ! Elles me conduiront et m'amèneront Vers Ta Sainte Montagne, Et vers Ton Tabernacle.

L'âme peu à peu se dégage d'elle-même, et le centre de sa vie se transpose en Dieu, dans ce regard où tout son être est tendu :
J'irai à l'Autel d'Elohim, Vers El , la lumière de ma joie.
Et maintenant, elle ne songe plus à soi, et déjà elle est entrée dans cette sollicitude mystérieuse qui fait de chaque âme l'humble pourvoyeuse de la Gloire de Dieu :
Je Te louerai sur le Kinnor, Elohim, mon Dieu.

La Charité a trouvé son ordre qui est d'aimer soi pour Dieu, et Dieu pour Lui-même dans la gratuité d'une adhésion qui dépasse infiniment notre bonheur. La tristesse désormais ne sera plus ce repliement de l'âme qui se retranche dans ses blessures, mais la douleur de voir l'Amour méconnu et son Règne retardé. Et comme rien ne peut limiter l'élan de la Charité dans le silence du coeur, les sources de joie demeurent au plus intime de l'âme, quand même elles ne viennent point au jour :
Pourquoi être abattue, ô mon âme, Et pourquoi gémir sur moi ? Espère en Elohim, puisqu'encore je Le louerai, Lui, le salut de ma face Et mon Dieu .
C'est ainsi que l'exil prend fin et que l'âme retrouve sa patrie dans la louange désintéressée de la pure contemplation :
Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit. Comme il était au commencement, Maintenant et tou jours : Aux siècles des siècles. Amen.




CONFITEOR

On restreint trop facilement le domaine du péché aux transgressions extérieures, d'ailleurs de plus en plus limitées, qui blessent le sens des convenances morales. Cependant, outre que la conscience collective est souvent très arbitraire, aveugle même sur des points aussi essentiels que la juste répartition des biens indispensables à la vie, elle ne soupçonne pas, généralement, la gravité des fautes intérieures, leur caractère de sources par rapport aux autres et la nécessité d'appliquer le remède au centre de l'âme.
S'attacher à soi en se détournant de Dieu, voilà l'essentiel du drame dont Dieu Lui-Même est la mystérieuse victime. Son règne, aussi bien, ne peut, sans nous, ni s'établir en nous, ni s'étendre à l'univers, pour autant que l'homme ou la nature sont tributaires de notre âme.
C'est pourquoi tout ce qui obscurcit en nous la splendeur du Visage divin, ou limite le rayonnement de son amour, tout ce qui intercepte le courant de grâce qui rend les âmes intérieures les unes aux autres en les rendant intérieures à Dieu, est un attentat contre l'ordre essentiel de l'univers.
Nous nous croyons justes, parfois, quand nous faisons inconsciemment de Dieu même le serviteur de nos desseins, quand Son Royaume n'est que le prétexte de notre ambition et le manteau de notre orgueil. Nous sommes, sans doute, plus ignorants que coupables, et il suffit peut-être de nous y rendre attentifs, pour que nous commencions à entrevoir toute la profondeur du mal que nous avons fait et toute l'étendue du bien que nous n'avons pas fait.
Non, la vie ne se limite pas à ces aventures extérieures qu'une observation superficielle enregistre, elle ne manifeste, au contraire, sa réalité qu'aux suprêmes profondeurs de l'esprit, dans le déroulement d'une tragédie mystique.
Toutes les fois que notre moi s'est affirmé, c'est à Dieu même, en effet, que nous avons barré la route, dans l'obscurité d'un cœur qui ne laissait plus passer Sa lumière : car nous n'avons jamais moins que l'Infini à donner en l'humilité d'une action transparente à Sa Présence.
Nous serions terriblement coupables, en vérité, si nous n'étions si profondément inconscients.
Aussi bien ne sentons-nous vraiment la nature monstrueuse de notre orgueil qu'au moment et dans la mesure où l'Amour de Dieu, tout ensemble nous en révèle l'horreur et nous en guérit . La conscience la plus aiguë de notre culpabilité est donc liée à l'espérance indéfectible du pardon, et la contrition la plus profonde exclut pourtant tout accablement, dans le renouvellemeni d'une confiance filiale, car
Notre secours est dans le nom du Seigneur qui a fait le ciel et la terre.

A cette profondeur et dans cette lumière, le langage de la conscience qui s'accuse est aussi le seul qui puisse trouver issue dans les mots, et l'humilité du coeur s'épanche naturellement dans l'aveu, où tout l'univers spirituel est pris à témoin de fautes qui offensèreni toute créature en interceptant le rayonnement de la Source.
Je confesse à Dieu tout puissant, à la bienheureuse Marie tou jours Vierge, au bienheureux Michel Archange, au bienheureux Jean Baptiste, aux Saints apôtres Pierre et Paul, à tous les Saints, et à vous mes frères, que j'ai beaucoup péché en pensée, en parole et en action : par ma faute, par ma faute, par ma très grande faute.
C'est pourquoi je prie la bienheureuse Marie tou jours Vierge, le bienheureux Michel Archange le bienheureux Jean-Baptiste, les Saints apôtres Pierre et Paul, tous les Saints, et vous mes frères, d'intercéder pour moi auprès du Seigneur notre Dieu.
Les fidèles comprennent-ils, en entendant cette confession du prêtre, que la sainteté de son sacerdoce, qui relève du Christ, ne l'exempte pas de la fragilité commune, qui relève de l'homme ?
Ils trouveraient dans cette pensée une source de prière, qui les dispenserait d'une critique toujours stérile, en apportant le seul remède efficace aux défaillances qu'ils peuvent déplorer. C'est peut-être le côté le plus tragique de la destinée humaine, en effet, que des pécheurs soient appelés à sauver des pécheurs, mais aussi, sans doute, le plus admirablement rédempteur : puisqu'il n'est pas au monde d'exigence de vertu plus irrésistible qu'un regard d'enfant interrogeant silencieusement son père et sa mère, avec la sécurité limpide d'une question qui n'admet qu'une seule réponse : « Vous faites, n'est-ce pas, vous-mêmes, tout ce que vous me demandez ? ». C'est ainsi que les âmes souvent nous révèlent la splendeur du Visage qu'elles cherchent en nous.
L'alternance des deux confiteor exprime de la manière la plus émouvante ce double courant d'assistance mystique, tour à tour donnée et reçue dans l'audition silencieuse de l'aveu, et dans l'intercession confiante de la prière :
Que le Dieu tout puissant ait pitié de vous et qu'en vous remettant vos péchés Il vous conduise à la vie éternelle. Amen.
Comment pourrait n'être pas exaucée une prière nourrie d'humilité, offerte à Dieu par la Charité ?
Sûr qu'elle est ratifiée dans les Cieux, le prêtre se signe, disant :

Que le Seigneur tout puissant et miséricordieux nous accorde l'indulgence, l'absolution et la rémission de nos péchés. Amen.

Alors, approfondi par la contrition et rajeuni par le pardon, l'amour, avec un élan nouveau, reprend son ascension, au rythme du dialogue rapide où demandes et réponses se recoupent, ardentes et brèves, comme des javelots de feu, pour faire le siège du Coeur de Dieu :

En Vous tournant vers nous, mon Dieu, Vous nous donnerez la Vie Et Votre peuple en Vous trouvera sa joie. Montrez-nous, Seigneur, Votre miséricorde Et donnez-nous Votre Sauveur. Seigneur, écoutez ma prière Et que mes cris montent jusqu'à Vous.
La montée à l'Autel va consommer cet appel. Avant d'en gravir les degrés, le prêtre adresse au peuple fidèle le salut qui le ralliera à toutes les étapes de la Sainte Liturgie, en établissant le contact entre lui et le célébrant, en l'intimité du Christ, invisible Officiant, à l'Action duquel les fidèles ne sauraient prendre une part moins grande que le prêtre qui en est seulement le ministre :

Le Seigneur soit avec vous !
Et avec votre esprit !

Le prêtre s'est relevé de l'inclination où l'avait maintenu la supplication, il étend les mains dans le geste de l'orante antique et monte les degrés qui conduisent à la Table Sacrée où l'Eglise a son véritable sanctuaire, dans le mystère de Foi :

Enlevez-nous nos iniquités, nous vous en prions, Seigneur, afin que nous puissions, avec un coeur pur, entrer dans le Saint des Saints. Par le Christ Notre-Seigneur. Amen.


[...]

Abbé Maurice ZUNDEL, Le Poème de la Sainte Liturgie, Oeuvre St-Augustin et Desclée de Brouwer, 1934.




La discussion

 L'intuition de l’intériorité, de Basam Damdu [2004-06-25 17:46:49]
      Le Poème de la Sainte Liturgie, de Bertrand Decaillet [2004-06-25 18:58:50]
      Virgo Virginans, de Assum [2004-06-26 10:25:40]