1. De soi un concile oecuménique ne ressortit pas de la seule infaillibilité pontificale, c'est-à-dire du pape seul, mais de l'infaillibilité de l'Eglise, c'est-à-dire des évêques avec le pape et non pas sans lui. Encore une fois, vous réduisez l'infaillibilité dans l'Eglise aux seules définitions ex cathedra solennelles : très lourde omission que voilà ! Les jugements solennels des conciles oecuméniques ainsi que le magistère ordinaire et universel sont eux aussi infaillibles (cf. point 4).
2. Les concepts de "concile pastoral" et de "concile dogmatique" ne veulent pas dire grand chose si on les considère comme exclusifs l'un de l'autre.
Exemple :
Le Concile de Nicée fut un "concile dogmatique", au sens où le premier concile oecuménique a promulgué un fameux Symbole et défini des vérités de foi.
Mais ce même concile a également promulgué des décrets proprement disciplinaires, décrets d'une importance majeure et faisant autorité. En ce sens, le Concile de Nicée fut éminemment un "concile pastoral" et non des moindres.
On pourrait reprendre l'argument avec les autres conciles oecuméniques, et notamment les Conciles du Latran ou le Concile de Trente qui est
aussi un concile éminemment pastoral, avec ses fameux décrets de réformation.
3. L'affirmation selon laquelle les Pères du Concile Vatican II ont concomitamment ou antérieurement signifié que ledit concile ne serait en aucune façon "dogmatique", c'est-à-dire relatif aux vérités de foi, est rigoureusement inexact. Toute la préparation dudit concile témoigne du contraire. Tout le travail accompli lors des quatre sessions témoigne également du contraire. Et à ce sujet les empoignades entre "majorité" et "minorité" eurent lieu non pas tant sur la "manière de pratiquer la religion" que sur des questions "directement" ou "indirectement" de foi. Et si lesdites empoignades eurent également comme objet la "manière de pratiquer la religion", c'est précisément parce que cette dernière ne saurait en aucune façon être arbitrairement déconnectée desdites vérités de foi.
4. S'il est établi que le Concile Vatican II n'a pas promulgué de jugement dogmatique solennel, cela ne suffit pas à "disqualifier" ledit concile comme "concile dogmatique". Est de caractère directement "dogmatique" ce qui se réfère au Dogme, c'est-à-dire au Donné Révélé. De ce point de vue, il va sans dire qu'un décret conciliaire qui a pour objet les sources de la Révélation (
Dei Verbum) ou la constitution divine de l'Eglise (
Lumen gentium) est de caractère éminemment "dogmatique". De surcroît, lorsque l'on traite de la liberté religieuse, de l'"unité des chrétiens", ou de "l'Eglise dans le monde moderne", les principes qui se trouvent d'une manière ou d'une autre en cause pour arriver à des conclusions relativement aux sujets invoqués sont bel et bien au moins indirectement relatifs au Dogme. Le droit à la liberté religieuse est notamment explicitement attesté comme fondé sur la Révélation. De ce point de vue, c'est-à-dire relativement au caractère de ce qui est objectivement proposé et relativement au mode de proposition ("en deça" du jugement dogmatique solennel), le Concile Vatican II est ni plus ni moins "dogmatique" que les encycliques de Pie XII, Pie XI, saint Pie X etc.
5. Ce qui, dans un concile oecuménique, n'est pas jugement dogmatique solennel n'en fait pas moins autorité. Certes, il y a différent degrés d'autorité, et partant différents degrés d'assistance divine en faveur de l'autorité. Mais le Concile Vatican I nous enseigne dans sa Constitution
Dei Filius que les évêques avec le pape proposent infailliblement l'objet de la foi tant au moyen de leurs jugements solennels que de leur magistère ordinaire et universel. Et donc quand bien même un concile oecuménique ne promulguerait pas de jugement dogmatique solennel, reste à savoir si ce même concile ne promulgue pas cependant des jugements solennels qui ne sont pas à proprement parler des définitions dogmatiques (jugements dogmatiques solennels) ou s'il n'atteste pas telle ou telle proposition comme objet de foi ou connexe au Donné Révélé, au moyen d'un magistère alors simplement ordinaire mais néanmoins infaillible dans ces conditions (c'est-à-dire lorsqu'il atteste une proposition comme révélée ou liée nécessairement à la Révélation). On sait - ou l'on devrait savoir - que s'il est d'un côté des théologiens qui tiennent qu'un concile oecuménique peut engager l'infaillibilité du magistère ordinaire et universel (MOU), ceux qui au contraire tiennent que le MOU ne s'exerce pas en concile mais seulement lorsque l'épiscopat se trouve dispersé tiennent également que toute attestation - qu'une proposition est révélée ou connexe à la Révélation - émanant d'un concile est par soi un jugement solennel infaillible.
6. Par ailleurs, pour tout ce qui ne relève pas de la proposition de l'objet de la foi et des objet attestés comme "connexes", c'est-à-dire notamment pour la part proprement "pastorale" d'un concile oecuménique, pour cette part qui est "pastorale" et "réformable" donc, on n'a jamais entendu dire ni cru que le concile oecuménique pouvait "dérailler" en la matière au point d'être directement préjudiciable au bien des fidèles, directement, c'est-à-dire par la teneur même des décisions prises. De surcroît, on n'a jamais envisagé que de telles décisions dûment promulguées puissent être considérées comme en quoi que ce soit facultatives, dans la mesure où elles sont présentées comme faisant autorité. Et de ce point de vue, force est de reconnaître que le Concile Vatican II globalement parlant n'a pas été promulgué avec la note "facultatif", contrairement à ce que beaucoup aiment à croire... J'en veux pour preuve ceci :
« Afin que le souvenir en demeure à jamais. – Réuni dans l’Esprit Saint et abrité sous la protection de la Bienheureuse Vierge Marie, que Nous avons proclamée Mère de l’Église, de saint Joseph son illustre Époux et des saints Apôtres Pierre et Paul, le Concile Œcuménique Vatican II doit être incontestablement compté parmi les plus grands événements de l’Église. Il compta une très nombreuse participation de Pères qui, de toutes les parties du monde, et même de celles où la Hiérarchie est d’institution récente, se rassemblèrent au Siège de Pierre. Il a traité un grand nombre de sujets et il l’a fait avec soin et avec zèle durant les quatre sessions. Il fut excellent que, prenant note des nécessités que l’époque commande, il plaça en premier lieu les besoins pastoraux et que, brûlant de charité, il s’employa grandement à rejoindre dans un sentiment fraternel les chrétiens, encore séparés de la communion avec le Siège Apostolique et même la famille humaine dans son universalité. Maintenant tout ce qui incombait à ce saint Concile Œcuménique, par l’aide de Dieu, est achevé ; toutes les Constitutions, les Décrets, Déclarations et Vœux ont été approuvés dans les délibérations conciliaires et promulgués par Nous. Ce même Concile Œcuménique, décrété par Notre Prédécesseur d’h. m. Jean XXIII le 25 décembre 1961, commencé le 11 octobre 1962, et après la très pieuse mort de ce Pape, continué par Nous, de par Notre autorité apostolique, Nous avons décrété et fixé de le clôturer, à tous effets de droit. Aussi Nous commandons et enjoignons que tout ce qui a été établi synodalement en ce Concile soit observé religieusement par tous les fidèles du Christ à la gloire de Dieu, à l’honneur de la sainte Église notre Mère et pour la tranquillité et la paix de tous les hommes. Ainsi en avons-Nous décidé et décrété, fixant que ces Lettres demeureront fermes, valides, et efficaces toujours ; qu’il faut leur attribuer et qu’elles doivent recevoir leur effet plein et entier ; qu’on y recourra, maintenant et à l’avenir de façon complète, pour tous ceux qu’elles concernent ou pourront concerner ; qu’il faudra en juger et en conclure ainsi ; que dès maintenant est sans valeur et nul ce qui pourrait être attenté contre elles sciemment ou non par quelque individu ou quelque autorité que ce soit.
« Donné à Rome, près Saint-Pierre, sous l’anneau du Pêcheur, le 8 décembre, en la fête de l’Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge Marie de l’année 1965, de Notre Pontificat la troisième.
« PAULUS PP. VI »
Paul VI, Bref In Spiritu Sancto, 8 décembre 1965 [AAS 58 (1966) 18-19]
7. Je le répète : on n'a jamais entendu dire ni cru que le concile oecuménique pouvait "dérailler" en la matière au point d'être directement préjudiciable au bien des fidèles, directement, c'est-à-dire par la teneur même des décisions prises. Pourquoi cela ? Hé bien pour les raisons suivantes...
Dans l'article 16 du Quodlibet IX, saint Thomas d'Aquin distingue une assistance infaillible en matière dogmatique d'une part et une assistance prudentielle en matière "pratique" d'autre part. On retrouve cette distinction chez Jean de Saint-Thomas et Franzelin. Marin-Sola et Journet s'y sont également et longuement arrêtés. On retrouvera un écho chez le Père Pègues, distinguant infaillibilité positive et infaillibilité négative, ou chez le R.P. Guérard des Lauriers, distinguant infaillibilité théorétique et infaillibilité pratique. Journet parle d'assistance infaillible absolue et d'assistance prudentielle infaillible.
"Certum est quod judicium Ecclesiae universalis errare in his quae ad fidem pertinent, impossibile est."
"Pie credendum est quod nec etiam in his judicium Ecclesiae possit."
Cette distinction n'est bien évidemment pas étrangère au Magistère lui-même qui atteste de l'infaillibilité du pape dans ses définitions ex cathedra (Vatican I,
Pastor Aeternus) et de l'infaillibilité des jugements solennels ainsi que du magistère ordinaire et universel de l'Eglise (Vatican I,
Dei Filius) - voilà pour l'assistance infaillible en matière dogmatique - et Magistère qui atteste également que les lois et dispositions générales, disciplinaires et liturgiques de l'Eglise ne peuvent être en rien nocives (Pie VI, Constitution
Auctorem fidei, notamment) - voilà pour l'assistance prudentielle en matière "pratique".
"Comme si l'Eglise, qui est régie par l'Esprit de Dieu, pouvait constituer une discipline, non seulement inutile et trop lourde à porter pour la liberté chrétienne, mais encore dangereuse, nuisible, et conduisant à la superstition et au matérialisme"
Pie VI, Constitution Auctorem fidei, 28 août 1794 [Errores synodi Pistoriensis].
"Est-ce que l'Eglise qui est la colonne et le soutien de la vérité et qui manifestement reçoit sans cesse du Saint-Esprit l'enseignement de toute vérité, pourrait ordonner, accorder, permettre ce qui tournerait au détriment du salut des âmes, et au mépris et au dommage d'un sacrement institué par le Christ ?"
Grégoire XVI, Quo graviora (EP 173).
Thèse XII : La puissance législative de l’Eglise a pour matière aussi bien ce qui concerne la foi et les mœurs que ce qui concerne la discipline. En ce qui concerne la foi et les mœurs à l’obligation de la loi ecclésiastique s’ajoute l’obligation de droit divin ; en matière disciplinaire toute obligation est de droit ecclésiastique. Cependant à l’exercice du suprême pouvoir législatif est toujours attachée l’infaillibilité, dans la mesure où l’Eglise est assistée de Dieu pour que jamais elle ne puisse instituer une discipline qui serait de quelque façon opposée aux règles de la foi et à la sainteté évangélique."
Card. Billot, De Ecclesia Christi, Rome, 1927, tome 1, p. 477.
Pour ce qui regarde l'assistance prudentielle, le Magistère envisage donc une assistance prudentielle infaillible pour les lois et dispositions générales de l'Eglise. Générales, c'est-à-dire de destination universelle. Et notons que les théologiens, et Journet notamment, englobent dans cette assistance prudentielle infaillible les actes magistériels de destination universelle ne relevant pas de l'assistance infaillible absolue.
Qu'en est-il "en-deça" ? C'est-à-dire : qu'en est-il pour les actes de l'autorité suprême qui ne sont pas de destination universelle ?
Réponse de saint Thomas (toujours le Quodlibet IX, art. 16) :
"In aliis vero sententiis quae ad particularia facta pertinent, ut cum agitur de possessionibus, vel de criminibus, vel de hujusmodi, possibile est judicium Ecclesiae errare propter falsos testes."
Dans l'ordre "pratique", et notamment dans le gouvernement de l'Eglise, il n'est donc pas du tout impossible qu'un pape puisse effectivement se tromper dans le cadre de décisions portant sur des faits particuliers.
S'il s'agissait de disposition non point particulière mais générale, une telle erreur serait impossible, en raison de l'assistance prudentielle infaillible. Voilà pourquoi, entre autres, il est impossible qu'un pape promulgue un ordo missae "nocif", ou un code de droit canon "problématique".
Voilà pourquoi il également impossible qu'un concile oecuménique, même "pastoral", qui est par nature de destination universelle et d'ordre général, puisse être préjudiciable au bien de l'Eglise.
Néanmoins, pour revenir aux dispositions particulières, s'il est possible qu'un pape puisse commettre des erreurs, il semble bien impossible que ce même pape puisse commettre - toujours dans l'exercice de sa charge - un ensemble permanent et stable d'erreurs.
Pourquoi ? En raison de l'assistance habituelle dont jouit le pape dans l'exercice de sa charge.
Cf. Pie XII :
"Le divin Rédempteur gouverne son Corps mystique visiblement et ordinairement par son Vicaire sur la terre." (Encyclique Mystici Corporis)
Sont donc impossibles :
- Une défaillance ponctuelle dans l'ordre dogmatique, en raison de l'assistance infaillible absolue (cf. Vatican I) ;
- Une défaillance ponctuelle d'ordre général, dans l'ordre "pratique" ou "pastoral" en raison de l'assistance prudentielle infaillible (cf. Pie VI) ;
- Un ensemble permanent de défaillances d'ordre particulier, en raison de l'assistance habituelle (cf. Pie XII).
N.M.