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Portrait de la femme de Staline Imprimer
Auteur : Vianney
Sujet : Portrait de la femme de Staline
Date : 2008-03-05 20:53:58

...par un des anciens collaborateurs de celui-ci, Boris Bajanov :

Sa vie familiale était pénible. Chez lui, Staline était un tyran. Devant constamment se retenir dans ses relations avec les étrangers, il ne se gênait pas avec les siens. Nadia me dit plus d’une fois en soupirant : « Ça fait le troisième jour qu’il ne dit rien, ne parle à personne et ne répond pas quand on lui adresse la parole : quel homme difficile à vivre ! » Mais j’essayais d’éviter les conversations touchant à Staline : je le voyais déjà tel qu’il était ; la pauvre Nadia, apparemment, commençait seulement à découvrir qu’il était amoral et inhumain, et elle ne voulait pas croire à ce qu’elle découvrait.
Au bout de quelque temps, Nadia disparut et j’appris qu’elle était allée passer les derniers mois de sa nouvelle grossesse chez ses parents, à Léningrad. Lorsque je la vis à son retour, elle me dit : « Admirez mon chef-d’oeuvre. » Le chef-d’oeuvre avait environ trois mois, c’était une petite boule ridée : Svetlana. En signe de confiance particulière, je fus autorisé à la tenir dans mes bras (pas longtemps à peine quinze secondes — les hommes sont si maladroits !).
Après que j’eus quitté le secrétariat de Staline, je ne rencontrai plus Nadia que rarement, et par hasard. Lorsque Ordjonikidzé devint le président de la Commission centrale de Contrôle, il engagea Nadia comme troisième secrétaire : le premier était Traïnine, un géant débonnaire. Je rencontrai Nadia pour la dernière fois un jour où j’entrai chez Ordjonikidzé. Nous eûmes un long et amical entretien. Elle s’était épanouie en travaillant chez Ordjonikidzé : l’atmosphère y était agréable, et le patron était un homme de coeur. Il prit part à notre conversation. Ordjonikidzé et moi nous nous tutoyions, ce qui me gênait un peu : il avait vingt ans de plus que moi (il tutoyait d’ailleurs tous ceux pour qui il éprouvait un minimum de sympathie). Je ne revis plus Nadia.
Sa fin tragique est connue, mais probablement pas dans tous ses détails. Elle était allée étudier à l’Académie de l’Industrie. Malgré ce nom ronflant, c’étaient simplement des cours de recyclage et d’instruction générale pour les communistes locaux, anciens ouvriers et paysans, qui dirigeaient des entreprises industrielles et avaient des difficultés à venir à bout de leur tâche, par manque d’instruction. C’était en 1932, lorsque Staline mit en marche sa gigantesque moulinette, à l’époque de la collectivisation forcée, lorsque des millions de familles de paysans furent envoyées dans les camps pour y être exterminées. Les auditeurs de l’Académie, qui venaient de province, avaient vu de leurs propres yeux cet anéantissement épouvantable de la paysannerie. Bien sûr, apprenant que la nouvelle auditrice était la femme de Staline, ils se turent. Mais peu à peu, il apparut que Nadia était une femme bonne et compatissante et qu’on pouvait lui faire confiance. Les langues se délièrent, et on se mit â lui raconter ce qui se passait effectivement dans le pays (auparavant elle pouvait seulement lire les comptes rendus pompeux et mensongers des journaux soviétiques sur les brillantes victoires remportées sur le front de l’agriculture). Nadia fut horrifiée, et alla faire part de ses informations à Staline. J’imagine comment elle fut reçue — dans leurs discussions, il ne se gênait pas et la traitait d’imbécile et d’idiote. Staline affirma évidemment que ces renseignements étaient faux, et que c’était de la propagande contre-révolutionnaire des koulaks. « Mais tous les témoins disent la même chose. — Tous ? demanda Staline. — Non, répondit Nadia, il y en a un qui dit que tout cela est faux. Mais il ment visiblement, et dit cela par peur ; c’est le secrétaire de la cellule de l’Académie : Nikita Khrouchtchev. » Staline se souvint de ce nom. Par la suite, au cours de nouvelles discussions domestiques, Staline affirma que les déclarations citées par Nadia étaient sans fondement et exigea qu’elle donne des noms : dans ce cas on pourrait vérifier ce qu’il y avait de vrai dans ces témoignages. Nadia donna les noms de ses interlocuteurs. Si elle avait encore le moindre doute sur ce qu’était Staline, ce fut le dernier. Tous les auditeurs qui lui avaient fait confiance furent arrêtés et fusillés. Bouleversée, Nadia finit par comprendre avec qui elle avait fait sa vie et, sans doute aussi, ce qu’était le communisme. Et elle se suicida. (Bien sûr, je n’ai pas été témoin de ce que je rapporte ici, mais c’est ainsi que je comprends son suicide, d’après les données qui sont parvenues jusqu’à nous.)
Quant au camarade Khrouchtchev, c’est à partir de cet épisode qu’il a commencé sa brillante carrière. Dès qu’il y eut à l’organisation de Moscou du Parti une réélection des comités d’arrondissement et de leurs secrétaires, Staline dit au secrétaire du Comité de Moscou : « Vous avez un excellent militant, le secrétaire de la cellule de l’Académie de l’Industrie, Nikita Khrouchtchev. Nommez-le secrétaire d’arrondissement. »


Bajanov révèle Staline, Gallimard, p. 139-140.


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