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JUILLET 2003 A MARS 2011

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Le problème n'est pas résolu, loin de là,... Imprimer
Auteur : Abel
Sujet : Le problème n'est pas résolu, loin de là,...
Date : 2007-11-21 19:26:50

… la distinction de l’Abbé Lucien est inopérante.

Reprenons le second paragraphe de Dignitatis Humanæ dans lequel est définie la liberté religieuse telle que l’entend Vatican II :

« Le Concile du Vatican déclare que la personne humaine a droit à la liberté religieuse. Cette liberté consiste en ce que tous les hommes doivent être soustraits à la contrainte de la part tant des individus que des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience ni empêché d’agir selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres, dans de justes limites. »

L’Abbé Lucien souligne que seul le droit tel qu’il est défini dans ce passage est présent comme objet direct de l’enseignement conciliaire et comme fondé sur la Révélation, et qu’il est donc seul décisif. C’est vrai, à la condition de préciser qu’un document d’une telle importance doit être lu comme un tout cohérent (ce qu’il est), et qu’en particulier les développements et les conséquences qui sont tirés de cette première affirmation vont nous permettre d’en préciser le sens, et de déterminer la signification de l’expression « selon sa conscience » qui fait ici question. Cela est d’autant plus nécessaire qu’au paragraphe 9 de la déclaration, après que ces conséquences aient été énoncées, il est réaffirmé que cette doctrine a ses racines dans la Révélation.

Or tout le document montre que Vatican II entend bien ne pas faire dépendre le droit à la liberté religieuse d’une disposition subjective, du fait qu’on suit sa conscience ou qu’on ne la suit pas, du fait que la conscience est erronée ou ne l’est pas, du fait que l’erreur de la conscience est moralement imputable ou non.

C’est ce qu’affirme la fin du même second paragraphe de la déclaration conciliaire :
« Ce n’est donc pas dans une disposition subjective de la personne mais dans sa nature même qu’est fondé le droit à la liberté religieuse. C’est pourquoi le droit à cette immunité persiste en ceux-là mêmes qui ne satisfont pas à l’obligation de chercher la vérité et d’y adhérer… »

Voici un commentaire autorisé de cette précision, puisqu’il émane du Cardinal Béa, alors président du Secrétariat pour l’union des chrétiens, qui était chargé de la rédaction de Dignitatis Humanæ (Revisia del clero italiano, mai 1966, La Documentation Catholique du 3 juillet 1966, col. 1186) :

« En d’autres termes, également le droit de celui qui erre de mauvaise foi reste complè¬tement sauf, à condition de respecter l’ordre public, condition qui vaut pour l’exercice de n’importe quel droit, comme on le verra plus loin. Et le document conciliaire en donne cette raison péremptoire ce droit “ne se fonde pas […] sur une disposition subjective de la personne mais sur sa nature” ; il ne peut donc pas se perdre à cause de certaines conditions subjectives qui ne changent ni ne peuvent changer la nature de l’homme. »

Plus autorisée encore est l’interprétation qu’en donne Jean-Paul II dans un discours au cinquième colloque international d’études juridiques :

« Ce droit est un droit humain et donc universel car il ne découle pas de l’action honnête des personnes ou de leur conscience droite, mais des personnes mêmes, c’est-à-dire de leur être intime qui, dans ses composantes constitutives, est essentiellement identique dans toutes les personnes. C’est un droit qui existe dans chaque personne et qui existe toujours, même dans l’hypothèse où il ne serait pas exercé ou violé par les sujets mêmes où il est inné. » (10 mars 1989. La documentation catholique n°1974, page 511.)

Il faut donc tenir que l’expression « selon sa conscience » qui figure dans l’affirmation du droit à la liberté religieuse a le sens qui lui est généralement donné dans le monde contemporain « selon sa décision intime et personnelle, dont on n’a pas à rendre compte aux hommes », quelle que soit la qualification morale de cette décision. C’est dans ce sens que s’exprime le premier paragraphe de la déclaration :

« La dignité de la personne humaine est, en notre temps, l’objet d’une conscience toujours plus vive ; toujours plus nombreux sont ceux qui revendiquent pour l’homme la possibilité d’agir en vertu de ses propres options (proprio suo consilio) et en toute libre responsabilité ; non pas sous la pression d’une contrainte mais guidé par la conscience de son devoir. »

Cette équivalence entre « selon sa conscience » et « selon sa propre volonté » se retrouve tout au long du document, qui est d’ailleurs incompréhensible si on ne l’admet pas. En effet, Dignitatis Humanæ déclare le droit à la liberté religieuse pour les groupes et communautés – qui, en tant que tels, n’ont pas de conscience – autant que pour les individus. Cela est précisé dans le titre et développé dans les paragraphes 4 et 5 du document conciliaire.

Mais c’est surtout le sixième paragraphe qui rend impossible de comprendre « selon sa conscience » dans un sens classique et restrictif. Ce paragraphe énonce en effet la liberté (civile) d’apostasier :

« Il s’ensuit qu’il n’est pas permis au pouvoir public, par force, intimidation ou autres moyens, d’imposer aux citoyens la profession ou le rejet de quelque religion que ce soit, ou d’empêcher quelqu’un d’entrer dans une communauté religieuse ou de la quitter. »

Or, selon la théologie catholique la plus certaine, il est impossible à un catholique de quitter « selon sa conscience » la sainte Église ; ainsi enseigne le Concile Vatican I :

« La condition de ceux qui ont adhéré à la vérité catholique grâce au don céleste de la foi est totalement différente de celle de ceux qui, conduits par des opinions humaines, suivent une fausse religion ; ceux qui ont reçu la foi sous le Magistère de l’Église ne peuvent jamais avoir un juste motif de changer ou de révoquer en doute cette foi. » (20 avril 1870. Denzinger n°1794)

Ce même paragraphe 6 de la déclaration s’oppose à la pratique séculaire de l’Église qui exige qu’une discrimination sociale soit faite pour un motif purement religieux, à savoir l’exemption du service des armes et des tribunaux civils pour les clercs :

« Le pouvoir civil doit veiller à ce que l’égalité juridique des citoyens, qui relève elle-même du bien commun de la société, ne soit jamais lésée, de manière ouverte ou larvée, pour des motifs religieux et qu’entre eux aucune discrimination ne soit faite. »

L’Abbé Lucien montre lui-même qu’il fait une lecture erronée de la définition conciliaire de la liberté religieuse lorsqu’il affirme :

« Correctement comprise, l’affirmation de Dignitatis Humanæ ne met pas en cause de façon essentielle la pratique de l’Église dans la Chrétienté. »

Cette pratique, qui consistait à s’opposer à la liberté religieuse des non-catholiques, est pourtant explicitement récusée par le paragraphe 6 de la déclaration conciliaire :

« Si, en raison des circonstances particulières dans lesquelles se trouvent des peuples, une reconnaissance civile spéciale est accordée dans l’ordre juridique d’une cité à une communauté religieuse donnée, il est nécessaire qu’en même temps le droit à la liberté en matière religieuse soit reconnu et respecté pour tous les citoyens et toutes les communautés religieuses. »

Nous pouvons donc en conclure que l’affirmation de Vatican II n’est pas « correctement comprise » par l’Abbé Lucien. L’expression « selon sa conscience » n’est pas une restriction de liberté religieuse – qui est « pour tous les citoyens et toutes les communautés religieuses » (§ 6. 2).

L’ensemble du déroulement de la doctrine sur la liberté religieuse fait abstraction de la clause « selon sa conscience » et contredit même le sens traditionnel de cette expression. Après quoi, Vatican II déclare (§ 9) :
« Cette doctrine de la liberté a ses racines dans la Révélation divine, ce qui, pour les chrétiens, est un titre de plus à lui être saintement fidèles. »

Les condamnations de Grégoire XVI et Pie IX

L’Abbé Lucien affirme que les papes du xixe siècle ont condamné le droit à la liberté d’agir comme on veut. L’expression ne se trouve pas chez eux, aussi l’Abbé Lucien recourt-il à l’enquête lexicographique de son ouvrage sur la liberté religieuse (pages 27 à 32) pour affirmer que la locution « liberté de conscience » a bien ce sens à leur époque ; il y voit du moins une « forte présomption ». Si pourtant on la reprend point par point, on peut s’apercevoir que sur 14 références, 5 précisent « selon ce qu’on croit vrai » ou quelque chose d’équivalent, 2 précisent « comme on veut » et 7 ne précisent rien. Cela montre que l’expression passe facilement de l’une à l’autre (comme Vatican II pour la liberté religieuse) et fait en réalité abstraction du fait qu’on suive ou non sa conscience.

Cela nous semble d’ailleurs tout à fait normal, puisque l’ordre législatif et juridique de la société ne peut être fondé sur un état de la conscience, ni conditionné par lui ; le droit public ne se réfère qu’au bien commun et objectif.

Il y a donc bien identité entre la liberté de conscience des condamnations de l’Église, et la liberté religieuse de Vatican II. Nulle part, en effet, Grégoire XVI ou Pie IX excluent, des condamnations qu’ils portent, le droit de celui qui suit sa conscience ou quelque chose de similaire ; leurs condamnations ont une portée générale, tout comme l’affirmation de Dignitatis Humanæ. Il s’agit dans les deux cas de la liberté religieuse, purement et simplement.

Confirmations

De nombreux passages du livre de l’Abbé Lucien sur la liberté religieuse conservent toute leur force pour montrer la perversité de la liberté religieuse, même si l’on admet la distinction qu’il propose maintenant :

« Selon la doctrine traditionnelle, la vérité religieuse, et concrètement la possession en commun de cette vérité ainsi que la pratique commune de la vraie religion sont un élément majeur du bien commun. Et c’est pourquoi, de soi, la propagande de l’erreur religieuse est contraire au bien commun : d’où l’impossibilité d’un droit naturel, d’un droit de la personne, à la liberté en matière religieuse » (page 283).

« Grégoire XVI ne se contente pas de rejeter une liberté illimitée des opinions, sans autre précision. Il indique on ne peut plus explicitement comment déterminer la juste limite : ce qui est funeste, c’est la liberté de l’erreur ; il faut un frein, l’autorité avec son pouvoir coercitif, pour maintenir les hommes dans le chemin de la vérité » (page 38).

Puisqu’il s’agit du bien commun et de l’ordre législatif, les dispositions subjectives ne rentrent pas en ligne de compte. Si l’erreur religieuse est prêchée, la bonne foi du prédicateur ne diminuera pas les ravages dans les âmes et dans la société (au contraire peut-être). Le bien commun n’en sera pas moins lésé, et c’est pourtant lui que la loi doit promouvoir.

Conclusion

La distinction proposée par l’Abbé Lucien est d’une part absente des condamnations portées par l’Église, et d’autre part purement verbale. Elle est réelle de soi, bien sûr, mais elle ne saurait l’être ni dans les affirmations de Vatican II, ni par rapport à l’ordre juridique et législatif – car c’est bien de cela qu’il s’agit – qui ne peut être fondé sur un état de la conscience ou conditionné par lui, ni par rapport au bien commun que la loi doit promouvoir.

La contradiction entre Vatican II et la doctrine catholique reste donc entière.

Abel

PS : On trouvera confirmation de la réfutation de l’Abbé Lucien dans l’article d’un partisan résolu de la liberté religieuse, mais qui garde une certaine modération, le Père John Courtney Murray s.j. (Nouvelle revue théologique, 1966, n° 1, pp. 41-67).

Page 47 : « Dans la formule de la déclaration juxta conscientiam ou contra conscientiam, le sens du terme conscience rejoint le sens de la formule initiale selon son jugement propre et librement. Le sens n’est donc pas technique, mais large ; il est suffisamment sanctionné par l’usage populaire.

Ibid. « La question de la vérité ou de l’erreur de la conscience n’a aucun rapport avec le problème juridico-social de la liberté religieuse. Cette liberté s’exerce dans la société civile. Or, il n’y a aucune autorité dans la société civile, pas même le pouvoir de l’État, qui soit en mesure de porter un jugement sur la vérité ou l’erreur de la conscience des hommes. »



La discussion

 le cas crucial de la liberté religieuse, de Pax [2007-11-21 18:33:19]
      Intéressant..., de Justin Petipeu [2007-11-21 18:43:00]
          en lisant l'article de l'abbé Lucien, de Chouette [2007-11-21 18:45:13]
              Evident !, de Justin Petipeu [2007-11-21 18:49:46]
          Ou en lisant Saint Thomas, de JacqHou [2007-11-21 18:57:23]
              Bien sûr !, de Justin Petipeu [2007-11-21 19:01:44]
      Amusant, de NB [2007-11-21 18:51:51]
      Le problème n'est pas résolu, loin de là,..., de Abel [2007-11-21 19:26:50]
          Merci, de Une Ame [2007-11-21 21:52:10]
          Deux petites questions de détail pour maider, che [...], de Paterculus [2007-11-21 23:27:23]
              Ave Patercule !, de Abel [2007-11-22 14:43:30]
                  St Thomas, de Une Ame [2007-11-22 15:03:38]
          Quelques questions, de JacqHou [2007-11-22 10:18:32]
              Ca m'aurait étonné...., de Une Ame [2007-11-22 14:29:30]
          La distinction reste valable, de dominique bontemps [2008-11-08 18:02:12]
              Raisonnement étrange..., de Meneau [2008-11-08 23:19:23]
              Changement de fil de discussion, de dominique bontemps [2008-11-09 00:11:58]
      Bref,, de l'Hermitte [2007-11-22 14:34:28]