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La bombe latine + Interview Mgr Claude Dagens (La Vie) Imprimer
Auteur : Bernard Joustrate
Sujet : La bombe latine + Interview Mgr Claude Dagens (La Vie)
Date : 2006-10-27 07:19:08

Ceci a déjà été diffusé sur le forum en pdf. Voici les articles en format texte. Merci à ML.
BJ
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La Vie 19 octobre 2006



La bombe latine de Benoît XVI



LA MESSE D'AVANT VATICAN II, JUSQU'ICI RÉSERVÉE A QUELQUES CAS PARTICULIERS, POURRAIT RETROUVER TOUS SES DROITS. CETTE MESURE RISQUE POURTANT DE REMETTRE EN CAUSE L'UNITÉ DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE. ELLE SUSCITE DÉJÀ DE TRÈS BRÛLANTES QUESTIONS.



1 Que se passe-t-il à Rome ?

Le pape s'apprête à faire paraître un document sur la libéralisation de la messe de Saint-Pie V (en latin, prêtre dos à l'assemblée, prière eucharistique à voix basse) fixée dans le sillage du concile de Tren­te (achevé en 1563). Ce texte devrait prendre la forme d'un motu proprio, c'est-à-dire d'une lettre émise par le pape de sa propre initiative - et non en réponse à une sollicitation. Il serait en cours de relecture par différentes congrégations vaticanes. Dont la congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, où il se heurterait à des oppositions. Dans le droit fil de Vatican II (1962-1965), le rite de Saint-Pie V a été remplacé par la messe Paul VI (promulguée en latin mais usuellement célébrée dans la langue du pays, prêtre face au peuple, avec lecture systématique de l'Ancien Testament, prière eucharistique à voix haute). Refusant cette réforme - mais plus encore les avancées du Concile sur l'œcuménisme, la liberté religieuse, la séparation de l'Église et de l'Etat, le dialogue interreligieux-, Mgr Marcel Lefebvre avait fondé au début des années 1970 un séminaire, pour sa Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, où les prêtres continuaient à être formés à l'ancienne messe. En 1988, il avait été excommunié pour avoir sacré quatre évêques sans l'autorisation de Rome. Pour retenir les fidèles rétifs à la messe Paul VI, Jean Paul II avait alors fait paraître le motu proprio « Ecclesia Dei adflicta», autorisant les communautés souhaitant rester dans le giron de l'Église à conserver, à titre exceptionnel, le rite Saint-Pie V. Dès lors se retrouvaient derrière Marcel Lefebvre ceux qu'on appelle « intégristes » et derrière Jean Paul II, sous la bannière Ecclesia Dei, les traditionalistes fidèles à Rome. Le nouveau texte préparé par Benoît XVI rendrait obsolète le motu proprio de 1988. Il permettrait à n'importe quel prêtre de célébrer la messe ancienne, alors que le précédent s'appliquait à titre exceptionnel, avec l'autorisation de l'évêque.



2 Pourquoi cette volonté?

Benoît XVI entend sans doute sortir les traditionalistes de la marginalité et favoriser la réintégration des lefebvristes dans l'Église. L'événement ferait suite à la création, le 8 septembre, de l'institut du Bon-Pasteur pour plusieurs prêtres anciens lefebvristes (La Vie n° 3185) auto­risés à célébrer exclusivement selon le rite ancien. La «libéralisation» répondrait également au souhait de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (intégristes) qui demande, depuis la reprise des négocia­tions avec Rome, en août 2005, que la célébration selon l'ancien missel ne connaisse plus aucune restriction. En leur concédant le rite préconciliaire, le pape espère faire revenir les intégristes indécis vers l'Église. Benoît XVI songe peut-être aussi à réparer la rupture qu'il n'avait pas réussi à éviter en 1988. Alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, il avait orchestré les négocia­tions avec Mgr Lefebvre. Sans succès. Le cardinal Ratzinger était enfin connu pour ses réserves sur l'application des réformes liturgiques apportées par le Concile. En 1989, il écrivait que «la ré­forme liturgique, dans sa réalisation concrè­te, s'est éloignée toujours plus de ce que vou­lait Vatican II. On a une liturgie dégénérée en show où l'on essaie de rendre la religion intéressante à l'aide de bêtises à la mode et de maximes moralisatrices aguichantes. » Avant de poursuivre en 1997, dans le Sel de la terre (Flammarion) : «Je suis certes d'avis que l'on devrait accorder beaucoup plus gé­néreusement à tous ceux qui le souhaitent le droit de conserver l'ancien rite. On ne voit d'ailleurs pas ce que cela aurait de dangereux ou d'inacceptable. Une communauté qui déclare soudain strictement interdit ce qui était jusqu'alors pour elle tout ce qu'il y a de plus sacré et de plus haut et à qui l'on présente comme inconvenant le regret qu'elle en a, se met elle-même en question. »



3 L'unité ecclésiale est-elle menacée ?

Selon certaines sources vaticanes, le motu proprio, affirmerait qu'il n'y a qu'un ri­te latin avec deux formes : « ordinaire » (Paul VI) et «extraordinaires (Saint-Pie V) et que «ces deux formes ont égalité de droit». Théo­riquement, un rite extraordinaire répond à des particularités territoriales, pasto­rales ou canoniques, comme les différents rites orientaux concédés à des Églises au patrimoine ancestral, unies à Rome. Dif­ficile cependant d'admettre qu'une pra­tique puisse être à la fois extraordinaire et généralisée... Cette égalité de droit entre les deux messes donnerait naissance à une Église biriruelle. Une telle institution au­rait peut-être le mérite de satisfaire toutes les sensibilités. Qu'adviendrait-il alors de l'universalité et de la communion ecclé-siales ? Car la messe de Saint-Pie V n'est pas qu'un ensemble de gestes et de textes, mais détermine une vision de l'Église et du rapport de l'homme à Dieu bien dif­férente de celle introduite par Vatican II (voir encadré p.70). Cette libéralisation implique finalement que Vatican II peut être lu de deux manières que tout semble opposer.



4 En quoi le pouvoir épiscopal est-il fragilisé ?

La marge de manœuvre de l'évêque va fondre sous l'effet du motu proprio. La lettre Ecclesia Dei de 1988 instituait la messe tridentine comme une exception soumise à l'autorisation épiscopale. Le texte à pa­raître en ferait un rite de plein droit, à la portée de tout prêtre. Quel refus pourront y opposer les évêques? Si Rome générali­se le droit de célébrer l'ancienne messe, les évêques n'auront plus lieu d'être consul­tés en amont. Peut-être pourront-ils mettre leur veto à des cas problématiques. Mais il y a une différence réelle entre s'abstenir d'accorder une autorisation exception­nelle (situation actuelle) et devoir justifier une interdiction (situation envisagée).



5 La décision du pape est-elle arrêtée ?

L'affaiblissement du pouvoir de l'évêque suscite des inquiétudes au sein de la hié­rarchie. À Rome et en France, certains cardinaux et évêques œuvrent à une ap­proche plus restrictive du texte. Dans l'idéal, ce dernier pourrait « simplement » obliger chaque évêque à accueillir une messe Saint-Pie V dans son diocèse, les dérogations supplémentaires restant sou­mises à l'autorisation épiscopale. Sinon, les cardinaux réticents pourraient exi­ger qu'un nombre minimal de requérants soit nécessaire à la célébration de la messe Saint-Pie V.



6 Quelles suites aurait la libéralisation de la messe de Saint-Pie V?

Prêtres soumis aux pressions des fidèles, ou assemblées astreintes au rite ancien selon le bon vouloir des célébrants... L'Église diocésaine risque de voir éclore lobbys et conflits si le choix du missel est laissé à l'arbitraire des prêtres et des fi­dèles. Qu'adviendra-t-il des sacrements autres que l'eucharistie? Le motu pro-prio de 1988 autorisait les communautés Ecclesia Dei à faire usage des livres litur­giques préconciliaires, dont le missel, le bréviaire (utilisé par les prêtres et les religieux pour dire l'office), et le « rituel », concernant les sacrements du baptême, de la pénitence ou réconciliation, de l'ex-trême-onction et du mariage. Les prêtres relevant des instituts Ecclesia Dei peu­vent donc, depuis 1988, administrer les sacrements selon le rite ancien. Pourtant, dans les diocèses où la messe de Saint-Pie V est assurée par un prêtre diocésain non traditionaliste nommé par l'évêque, ce dernier peut limiter la pratique à la seule eucharistie. Une libéralisation totale permettrait donc aux prêtres, quels qu'ils soient, de baptiser, marier, etc., librement avec le rite ancien.



7 Qu'en pensent les traditionalistes ?

À la Fraternité Saint-Pierre, la plus im­portante des structures traditionalistes, on explique qu'un pareil texte aurait plu­tôt tendance à «faciliter la mission» des com­munautés Ecclesia Dei. Ce qui semble vrai­semblable. Toutefois, les monastères et sociétés de vie apostolique bénéficiant de ce statut courent aussi le risque de voir leurs rangs diminuer si la pratique du rite ancien est rendue accessible hors de leurs structures.



8 Quant aux lefebvristes...

Depuis la reprise des discussions avec Rome, Mgr Fellay, chef de file de la Fra­ternité Saint-Pie X exigeait, en préalable à toute discussion doctrinale et cano­nique, la libéralisation de la messe Saint-Pie V. Ce qu'accomplirait le motu proprio. Mgr Fellay attendait aussi la levée des sanctions d'excommunication pesant sur ses évêques. Si le supérieur général de la Fraternité se résolvait à demander la le­vée des sanctions, la porte serait ouverte à une réintégration éventuelle des le­febvristes. Cela entraînerait la multipli­cation de structures équivalentes à celle de l'institut du Bon-Pasteur, dirigée par l'abbé Laguérie, difficiles à gérer pour les évêques. Une telle réintégration pro­voquerait, comme l'a déclaré Mgr Fellay au Figaro, «une guerre dans l'Église [d'un retentissement} identique à celui d'une bombe atomique ».



Constance de Buor

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Interview Mgr Claude Dagens

«Grave et préoccupant»



Il y a 12 ans pa­raissait le Rapport Dagens. Ce texte clé inaugurait une ère nouvelle dans les rapports entre l'É­glise catholique et la société et révélait, au sein de l'épiscopat français, une voix majeure, indépendante de tout clan... In­tellectuel et pasteur, Mgr Claude Dagens est aussi un latiniste passionné, spécia­liste des Pères de l'Église. Il vient de pré­facer le 500e volume de la collection Sources chrétiennes aux éditions du Cerf, le célèbre traité De l'Unité de l'Église catho­lique de Cyprien de Carthage, où il livre sa vision du ministère épiscopal.



On évoque un « motu proprio » du pape évoquant la possible libéralisation de la messe de Saint-Pie V ? Qu'en savez-vous ?

Claude Dagens. Je suis dans l'incerti­tude de ce qui va être publié. La réalité est que nous, les évêques, nous souhai­tons être informés pour exercer notre discernement avec l'évêque de Rome et sous son autorité.



Cette mesure a pour but la réintégration des intégristes. Qu’en pensez-vous ?

CD. L'Église est comme une famille. Dans une famille, on ne peut se résigner à une rupture sans fin. Il est normal de souhai­ter la réconciliation. Mais comme le dit le cardinal Ricard, elle doit se faire dans la charité et la vérité. Ce sont des mots très lourds. Or, avec la création de l'institut du Bon-Pasteur, Rome procède par un ral­liement partiel de prêtres. Est-ce un acte de réconciliation?J'ai plutôt l'impression que cela réveille des rapports de force, où il y aurait un gagnant et un perdant. Pourtant je ne crois pas que les rapports de force soient la loi qui détermine la vie selon le Christ et l'Évangile. On ne peut pas laisser croire que la raison de la rup­ture de Mgr Lefebvre avec l'Église ait uniquement été causée par la liturgie, et donc que la solution à cette rupture soit de ré­tablir la liberté de la messe de Saint-Pie V. Il y a des raisons très profondes et doulou­reuses dans ce schisme - j'emploie ce mot bien à regret - qui sont théologiques. Je ne suis pas sûr que ceux qui ont suivi Mgr Lefebvre aient compris la vraie na­ture sacramentelle de l'Église. Ils ne voient souvent celle-ci que comme une force po­litique et sociale. Or, comme l'a proclamé le concile Vatican II avec Lumen gentium, l'Église est d'abord le sacrement du Christ. Elle a sa source dans le mystère de Dieu et elle passe par nous.



Est-il possible d'envisager le biritualisme de l'eucharistie?

CD. Si jamais on voulait, de manière au­toritaire, imposer un biritualisme, on se rait dans une situation grave et préoc­cupante. La liturgie n'est pas un objet qui peut être manipulé. Les rites ne sont pas les propriétés de groupes humains. Il serait dommageable pour l'authenti­cité chrétienne et la vie de l'Église que deux rites différents soient les propriétés de groupes catholiques qui les bran­diraient comme des étendards. Ou sinon, on n'est plus dans la logique catholique. Car on ne peut pas séparer une question d'ordre disciplinaire (concernant la réintégration des intégristes) de la vérité de l'Église.



La question de l'unité de l'Église est-elle en jeu ?

CD. Oui. Et ce n'est pas la première fois que se livre le combat spirituel qui consiste à souffrir pour et par l'Église. Au IIIe siècle, Cyprien, évêque de Carthage, fait face à la question de la réintégration dans l'Église des lapsi (ceux qui ont renié leur foi) lors de la persécution de l'empereur Dèce (en l'an 250). Il y a à Carthage des gens qui veulent les réintégrer à peu de frais. Mais Cyprien ne l'accepte pas. Il veut que la réintégration dans l'Église se fasse selon des exigences très profondes. Cette expérience fait partie de la vérité catholique.

Cette vérité est celle de la communion de l'Église, qui passe par le travail per­manent de l'Esprit-Saint au milieu des crises de l'Histoire, et aussi par des confrontations et des dialogues réels entre tous les responsables de l'Église. Je me reconnais dans la Passion qu'a connue Cyprien, sa grande souffrance et son inquiétude, dans sa lutte spiri­tuelle vécue pour la communion de l'Église.



Le « motu proprio » consacrerait la possibilité, pour les fidèles et les prêtres, de choisir un rite plutôt qu'un autre ?

CD. On parle de la «libéralisation» de la messe de Saint-Pie V... Cette expression me laisse perplexe. Peut-on critiquer le libéralisme dans la société civile et inci­ter à le pratiquer dans le corps du Christ en laissant à chacun la liberté de choisir selon sa sensibilité ? Est-ce cela la foi ? Est-ce qu'on se fait sa religion à soi? La litur­gie est au-delà des libertés individuelles, elle est don de Dieu pour l'Église.



Va-t-on vers une relance de la guerre de la messe ?

CD. Je célèbre tous les jours l'eucharistie, et quand je prononce «Ceci est mon corps, livré pour vous, ceci est mon sang, versé pour vous», je suis apaisé et renouvelé. Il est fondamentalement inacceptable que l'eucharistie soit la source de blessures aggravées.

Nous avons à vivre de vraies réconcilia­tions, je suis disposé à cela, mais dans la vérité et la charité, dans le respect de la grande tradition de l'Église. De tout mon cœur, j'espère la paix, je souhaite que ces réalités extrêmement sensibles ne nous fassent pas perdre de vue l'essentiel : vivre du Christ dans notre monde et pouvoir en témoigner, être comme son signe, le signe de sa vérité, de son amour dans le mon­de. Là est le vrai enjeu, et il est énorme.



Propos recueillis par Jean Mercier



D'une messe à l'autre, le grand écart



Du récit de la Cène livré par saint Paul vers l'an 55 au concile Vatican II, la liturgie catholique n'a cessé d'évoluer.

Le missel de Saint-Pie V de 1570 entérine le rite tridentin fixé au concile de Trente, en 1563. La messe est vécue comme le «renouvellement non sanglant du sacrifice de la croix», sacrifice réel qui permet aux fidèles d'expier leurs péchés et de se concilier la miséricorde de Dieu. Elle insiste également sur l'adoration de la Présence réelle.

Le nouveau missel romain de Paul VI, lui, a été promulgué, en 1969, dans le sillage du concile Vatican II. En latin, langue universelle de l'Église. Ainsi, le terme de «messe en latin» ne désigne pas de rite particulier, et la messe de Paul VI peut être célébrée dans cette langue, comme lors de l'enterrement de Jean Paul II. Moins travaillée par la dialectique du péché que la messe de de Saint-Pie V, celle de Paul VI ne nie pas la dimension du sacrifice, mais réinterprète celui-ci à la lumière de la résurrection. Elle demande surtout aux fidèles de «participer consciemment, pieusement et activement à l'action sacrée». La réforme liturgique a mis en valeur la «Parole de Dieu» par l'accès aux textes de l'Ancien Testament, un roulement des lectures sur trois ans, la célébration en langues locales. Elle a aussi exigé que l'homélie éclaire la Bible. Le prêtre officie face à l'assemblée. La prière eucharistique est dite à voix haute et dialoguée. La communion dans la main est permise et les laïcs peuvent la donner si les prêtres manquent. »

C. de B.


La discussion

 La bombe latine + Interview Mgr Claude Dagens (La  [...], de Bernard Joustrate [2006-10-27 07:19:08]
      D'une messe à l'autre, le grand écart , de vermisseau [2006-10-27 08:29:53]
      Certes !..., de Widor [2006-10-27 13:22:55]
      Inquiétude, de Thomas [2006-10-27 14:09:11]
          d'autant plus que les prêtres ont du discernement, de Michel [2006-10-27 19:26:38]
              ben peut-être, de abbé F.H. [2006-10-27 19:28:29]
                  Oh,Oh, de Ottaviani [2006-10-27 20:37:24]